À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Société

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Jean Dussault 

En Russie, les tribunaux sont inféodés au pouvoir.
Idem en Chine. Plus flagrant si possible.
Dans tant et tant de pays, dans trop et trop de pays, c’est le même constat généralisé : le pouvoir suprême porte son nom. Plus crûment exposé, une clique impose sa loi.

Ouf

Les démocraties libérales ont échappé, jusqu’ici, à ce viol flagrant de la justice et de l’équité. Poids, contre poids : les élus adoptent des lois et les tribunaux vérifient leur légalité, pas leur popularité. Pas plus l’orientation politique des élus.

Des institutions judiciaires ont été sagement mises en place pour éviter les abus jadis royaux et aujourd’hui dictatoriaux : des murailles fortifiées les séparent du pouvoir politique.

Oups

Comme l’eau et l’air, il y a de ces acquis dont des élus se fichent, disons royalement.

Les abus ne venant pas toujours du même côté, des juges d’ici ont aussi « ambitionné sur le pain béni ».

Par exemple, la pourtant érudite juge-en-chef de la Cour du Québec a confondu les rôles en prétendant être la ministre de la justice : elle et elle seule devait pouvoir déterminer combien de magistrats l’État devait nommer dans « sa » cour. Et la langue desdits honorables.

Elle a aussi, togée, contesté publiquement les orientations gouvernementales en matière de tribunaux pour crimes sexuels.

Son mandat non renouvelable de sept ans a pris fin l’automne dernier.

En haut de la magistrale liste de juges qui ont confondu le politique et le judiciaire, le juge  Marc-André Blanchard de la Cour supérieure (1) s’est récemment fait durement rappeler à l’ordre par la Cour d’appel sur son prétendu jugement sur la loi 21. (2) Il avait inventé une distinction constitutionnelle entre les écoles francophones et anglophones de Québec.

Il y a aussi eu des élus qui ont bêtement, dans plus d’un sens, abusé de leur propre pouvoir.

Ainsi, l’ancien premier ministre René Lévesque a fait avorter le procès d’un policier de la GRC en le déclarant coupable en pleine Assemblée nationale.

L’ancien ministre canadien des Sports Jean Charest a dû démissionner de son poste après avoir téléphoné à un  juge à propos d’une affaire reliée à une fédération sportive.

Deux erreurs de jugement qui n’avaient rien de tentatives de subversion du pouvoir judiciaire.

Le cheuf

En terrain plus dangereux que les anecdotiques dérapages de Messieurs Lévesque et Charest, une célèbre sortie de l’ancien premier ministre Maurice Duplessis illustre une tentation, sinon une tendance : une charge contre une institution judiciaire, canadienne, tellement suprême qu’elle en porte le nom même.

Parce que ladite Cour dite Suprême avait invalidé deux mesures discriminatoires du gouvernement du Québec, une contre les communistes et une autre contre les Témoins de Jéhovah, Duplessis avait déclaré solennellement que « comme la Tour de Pise, la Cour suprême penche toujours du même bord ». S’entend celui du « fédéral ».

Le recul permet de noter, même de condamner le sectarisme évident de ces signatures du duplessisme. Plus grave que la dérive législative, un premier ministre a remis en question la légitimité d’un tribunal légitime.

Le modéré et ouvert René Lévesque a, vingt ans plus tard, emprunté l’image de la Tour penchée de Duplessis après une décision technique et combien moins émotive sur les pouvoirs relatifs de la radio-télédiffusion. Quand même, encore là, du haut de son poste, un premier ministre du Québec a voulu disqualifier le plus haut tribunal du Canada.

Mr T

Aux États-Unis, la politisation des tribunaux a précédé l’élection de Donald Trump, et va sans doute s’accroître encore s’il est réélu en novembre.

Déjà depuis longtemps, des juges y sont tellement identifiés par leur allégeance politique/partisane qu’ils seraient rejetés comme jurés dans un procès équitable.

Le clivage partisan d’un tribunal est dramatique. D’abord pour les justiciables qui s’y présentent, ou qui y sont convoqués.  Et plus fondamentalement parce que, quand ils se limitent à faire leur job, les tribunaux s’assurent que les élus respectent les lois qu’ils ont adoptées. L’expression ‘garde-fou’ vient à l’esprit…

La population, le peuple, la société  a besoin d’experts qui décortiquent les textes de loi souvent incompréhensibles pour obliger les élus à rendre leur législation claire et nette.

Le job des juges est de corriger la dictée pour que tout le monde en comprenne le sens. Leur légitimité est donc essentielle.

C’est cette légitimité que Trump a miné en nommant des militants à la Cour suprême. C’est cette légitimé qu’il attaque constamment et violemment en attribuant toutes les très nombreuses décisions à son encontre à LA FAUTE DES JUGES DÉMOCRATES.

Le Pm

Les élus à l’Assemblée nationale sont responsables de la dégradation qualitative de ce qui est formellement appelé   « la période des questions et réponses orales ». Noble et nécessaire outil pour demander au gouvernement de rendre des comptes, la « pdq » est devenue aussi décevante pour la population que gênante pour les élus.

Parmi les trop nombreuses inepties qui y ont récemment fait office de réponse, le premier ministre Legault a reproché au chef du PQ de prendre parti pour « des juges nommés par le fédéral » plutôt que pour le gouvernement du Québec.

Criage/charriage  

Comme d’habitude à la pdq, le sujet n’avait aucune importance : il s’agissait de marquer des points. Donc, dans le complexe et délicat dossier des demandeurs d’asile, le premier ministre a choisi d’accuser M. St-Pierre-Plamondon de  « prendre pou r» Ottawa contre le Québec.

Libre à tout-un-chacun de décider si la Cour d’appel a eu tort ou raison de statuer comme elle l’a fait, grosso modo, à l’encontre de la volonté du gouvernement du Québec. Là n’est pas la question, la réponse du PM est que la décision est celle de méchants juges fédéraux. Soit.

Pourtant, le gouvernement Legault en a appelé de cette décision « scandaleuse » de juges fédéraux auprès de la Cour suprême du Canada, la ci-devant nommée Tour penchée fédérale.

Du théâtre, du mauvais théâtre.

Puis, reprenant à peine son souffle, le premier ministre s’est, deux jours plus tard, réjoui, félicité, ému que la Cour d’appel, la même instance  dénoncée la veille, ait reconnu la légalité et la légitimité de la Loi 21 sur la laïcité.

Pour lui, les tribunaux sont une bébelle partisane. Du bon bord quand il gagne, du mauvais côté quand il perd. (3)

Le fond sans fond

Plus largement, ou plus étroitement, le premier ministre du Québec  affirme que la population ne peut pas, ne doit pas se fier à des juges fédéraux quand ils ne lui donnent pas raison.

Des opposants à M. Legault l’ont souvent comparé à Maurice Duplessis. S’il ne veut pas en  plus être comparé à Donald Trump, il devrait cesser d’imiter l’un et l’autre.

  • 1) Voir En Retrait (en-retrait.com) 11-22
  • 2) LaPresse+ 28-02-24
  • 3) À mauvais entendeur, salut, le porte-parole du PQ en la matière, Pascal Bérubé, s’est lui aussi réjoui du jugement de la Cour d’appel sur la loi 21, mais il s’est dit inquiet qu’un éventuel appel soit entendu par la Cour Suprême dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral.

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