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Jean-Claude Bürger
Civils massacrés de sang-froid, villes délibérément rasées. Nos écrans nous mettent quotidiennement sous les yeux des images d’actes de barbarie d’une insupportable violence.
Cette violence est d’autant plus inacceptable qu’elle fait parfois résonner chez les spectateurs que nous sommes les harmoniques venues de cordes que nous préférions ignorer : des pulsions de colère, de haine.
L’indignation et les fantasmes de vengeance meurtrière côtoient et parfois même remplacent la compassion pour les victimes et l’horreur des crimes commis. De fait ce que nous appelons « la barbarie » qui étymologiquement implique une origine étrangère est probablement au cœur de chacun de nous.
Qu’on en soit mortifié ou exalté, c’est un inévitable rappel que la violence qu’elle soit individuelle ou collective est indissociablement liée à la nature humaine. On chercherait en vain dans l’histoire ou la géographie un territoire ou une période qui en est exempte.
Le sociologue et historien Charles Tilly la caractérisait avec une remarquable concision :
« Les individus se sont constamment engagés dans la violence collective dans le cadre de leurs luttes pour détenir, conserver ou rééquilibrer les leviers du pouvoir. Les opprimés ont frappé au nom de la justice, les privilégiés au nom de l’ordre et les catégories moyennes au nom de la peur. Les grands bouleversements dans la sphère du pouvoir ont ordinairement été la cause – et bien souvent le résultat – d’exceptionnels mouvements de violence collective. »1
Une violence organisée de longue date
Il semble bien que les violences actuelles, de celles de l’Europe orientale à celles du Moyen Orient en passant par le Haut Karabach entrent parfaitement dans ces catégories. Elles semblent se développer indépendamment et simultanément en des endroits géographiquement différents mais sont le fruit de « grands bouleversements dans la sphère du pouvoir ».
Elles sont issues d’un monde où de nouveaux équilibres cherchent à s’établir.
Le constat de la banalité de la violence collective n’implique par ailleurs aucunement qu’elle soit inévitable ou nécessairement spontanée. Le massacre perpétré le 7 octobre par le Hamas a été préparé de longue date et parfaitement planifié.
Le Hamas est soutenu financièrement depuis longtemps par l’Iran et le Qatar. Il semble fort probable qu’au moins du côté iranien l’aide financière se double d’un soutien stratégique en armes, en formation et en entraînement.
Dans cet Orient compliqué il serait bien présomptueux de fournir une explication simple soutenue par des faits indéniables.
Mais comme dans toute enquête, on peut toujours chercher à qui profite le crime.
L’Iran
En ce qui concerne l’Iran sa détestation des Américains, de l’État juif et de l’Arabie saoudite lui faisait voir d’un fort mauvais œil le rapprochement de ce dernier pays avec Israël.
L’attaque du Hamas va mettre, pour un temps du moins, sur une voie de garage la reconnaissance de l’État hébreu par le prince Mohamed Ben Salman. Elle va aussi probablement retarder le pacte de sécurité et de collaboration dans le domaine nucléaire avec les États-Unis que Joe Biden était sur le point de conclure.
Point n’est donc besoin d’être Sherlock Holmes pour, malgré ses dénégations, mettre l’Iran sur la liste des suspects d’autant plus que le Hamas lui a publiquement exprimé sa reconnaissance.
La Russie
Un deuxième acteur à qui le crime profite, vient d’être dénoncé par le président ukrainien qui, il faut bien le reconnaître, n’est peut-être pas la source d’information la plus objective lorsqu’il s’agit de son malcommode voisin.
Volodymyr Zelenski accusait le 10 octobre dans une entrevue accordée à la chaîne de télévision française France 2, Vladimir Poutine d’être derrière le Hamas.
Sans fournir de preuve tangible il soulignait cependant l’évidence du fait que la Russie est derrière toutes les opérations de déstabilisation en Afrique, dans les pays occidentaux et au Moyen Orient.
Il affirmait en outre que ses services de renseignement étaient convaincus de la collusion entre la Russie et l’Iran et que Moscou bénéficiait du conflit.
De fait, il est certain que l’explosion de violence qui vient d’éclater dans le conflit israélo-arabe, est une catastrophe de plus pour Kiev. Les Ukrainiens peuvent craindre qu’elle ne détourne l’attention du monde, de la guerre que mène contre elle la Russie.
Elle va mobiliser aux États-Unis des crédits et des livraisons d’armes à Israël. Ni les stocks, ni les crédits ne sont inépuisables. Ce fait peut encore compliquer les votes en faveur de l’aide à l’Ukraine.
Pour l’instant le vote des crédits promis à Kyiv par le président Biden est bloqué à la suite de la destitution du président de la chambre des représentants Kevin McCarty et du grand désordre du parti républicain. Les crédits déjà votés seront épuisés au mois de décembre prochain.
Alors la Russie fait elle aussi partie des suspects ?
Élémentaire mon cher, élémentaire ! Si elle n’est pas l’auteur du crime, elle ne peut que s’en réjouir ! Ces jours-ci, on a parfois envie de détourner la vieille blague sur la CIA qui avait cours dans les années 60 : accusez toujours la Russie, si vous ne savez pas pourquoi, elle, elle le sait !
Les extrémistes
Il y a un autre groupe qu’on ne saurait certes placer parmi les suspects mais dont les thèses vont bénéficier de l’horreur présente, c’est celui de certains religieux extrémistes qui en Israël prêchent l’épuration ethnique de l’État juif et dont la détestation de tout ce qui est arabe voire non juif, conduit à des discours racistes et haineux.
Ils sont une très petite minorité, mais jouent sur l’émotivité et les peurs d’un peuple polytraumatisé. En situation de crise leur audience augmente immanquablement.
Ils sont passés maîtres dans l’art d’influencer les politiques2 et ne manqueront pas d’essayer de le faire dans un gouvernement d’union nationale soudain resserré autour du premier ministre Netanyahou plus fort que jamais.
La tragique ironie de la situation est que si on veut être certain d’évoquer un groupe qui, en dehors des victimes israéliennes, n’a aucune chance de bénéficier de quelque façon que ce soit de cette explosion de violence, c’est bien celui des Palestiniens enfermés depuis des années dans la zone de Gaza et qui font face à la perspective d’être les prochaines victimes d’un pays qui crie vengeance.
Et c’est pourtant en prétextant vouloir prendre leur défense que des criminels partis de chez eux, ont commis leurs forfaits.
- La violence collective dans une perspective européenne. Charles Tilly dans Tracés revue de sciences Humaines 19-2010 2 ) « Why Racist Rabbi Meir Kahane Is Roiling Israeli Politics 30 Years After His Death ». Fevrier 21, 2019..