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Jean Dussault
La Ligue des Noirs du Québec a obtenu la permission d’intenter un recours collectif pour profilage racial contre la Ville de Montréal.
La Cour supérieure décidera de l’issue de l’affaire.
L’origine
En 1978, le gouvernement du Québec a brassé les règles de la confrontation juridique traditionnelle en matière civile. (Le code criminel relève d’Ottawa). Le gouvernement péquiste d’alors a mis en place un mécanisme de « recours collectif » qui allait bien au-delà des bonnes intentions : son objectif procédait d’une conviction progressiste et d’ambitions collectivistes.
La genèse
Le texte essentiel pour saisir l’ampleur des changements alors apportés au système de justice civile a été écrit par … une juge en 1998 (1). La juge Ginette Piché, de la Cour supérieure du Québec, y avait noté que la magistrature était plutôt conservatrice et qu’il fallait, vingt ans plus tard, fêter l’avènement au Québec de la procédure de recours collectif inspirée des pratiques en matière civile dans l’État de New York.
La base
La juge notait l’opposition ancrée des ténors et tenants de la tradition en précisant que l’idée même d’un recours collectif était « un coup de tonnerre dans l’édifice juridique ».
La juge « trouve intéressant de rappeler que c’est un tout nouveau gouvernement, se disant social-démocrate, qui est à l’origine de cette loi ». Plus loin : « On parlait donc de ‘ réforme sociale ’ au delà de réforme du droit tout court .»
L’objectif de ladite réforme avait été affirmé par le ministre de la justice, telle que cité dans le texte de la juge : « Donner aux citoyens un instrument, un recours, un moyen de procédure qui leur permette d’obtenir justice et aussi d’obtenir individuellement et collectivement le remboursement des sommes illégalement arrachées. »
En langage pas du tout juridique : mettre fin, ou en tout cas ralentir la règle du « au plus fort, la poche ».
Des cas
Dans les seules quelques dernières semaines, une femme a déposé une demande d’action collective au nom de toutes les adolescentes qui auraient été recrutées pour offrir des services sexuels à un milliardaire montréalais.
Une ex-détenue a déposé un recours contre le gouvernement du Québec pour le traitement qu’elle juge inhumain dans une prison provinciale.
Une cause contre Facebook montre son nez. Pour discrimination.
La Cour supérieure de l’Ontario a rejeté une demande de recours collectif par deux anciens joueurs de hockey junior de cette province pour discrimination, conduite homophobe, violences verbale, physique et sexuelle.
Tout ça est bien loin du « remboursement des sommes illégalement arrachées ».
La règle
Toujours, le premier critère est la similitude, voire la similarité entre les victimes présumées. Si le Tribunal reconnaît qu’une personne a été victime d’un tort similaire à celui subi par d’autres personnes dans une situation comparable, le recours est autorisé. Et, par la suite, une autre instance statuera sur l’issue.
L’exemple simpliste : un automobiliste a un accident parce que les freins de sa voiture ont manqué. Et que, et que les freins de cette même marque de voitures produites cette année-là ont manqué dans tant et tant de cas qu’il s’agit d’une carence généralisée qui peut être, qui doit être selon le juge, attribuée à la compagnie qui doit donc dédommager les conducteurs des autos de cette année de cette marque.
À la base donc, et même si le recours collectif était un coup de tonnerre dans le ciel bleu et calme des juristes, il ne s’agissait pas d’une partie de pêche où un pêcheur peut clamer que le poisson ne mord pas parce que la canne à pêche est défectueuse.
Le lien de cause à effet doit être évident aux yeux du juge, le rapport entre un cas présenté et d’autres doit être démontré. Ainsi, dans de nombreux cas de tentatives de recours collectifs pour abus sexuel d’une forme ou d’une autre, plusieurs ont été rejetées parce que le juge a statué que les cas étaient trop différents pour être traités en commun.
Les accusés aussi doivent avoir suffisamment de points en commun pour être, justement, accusés en commun. Par exemple, dans les présumés manquements des ligues de hockey junior du Canada, la Cour ontarienne a statué que toutes les ligues ne peuvent pas être juridiquement associées.
À l’origine donc, le recours collectif est une procédure judiciaire justifiable parce que et seulement si elle est adéquatement encadrée.
Recours à l’aide
Si la magistrature a, dans d’autres mots que ceux de la juge Piché, traîné de la patte, des membres du Barreau ont été moins réticents à surfer sur la vague naissante.
Le recours collectif a été à ce point utilisé qu’il a eu lui-même à un moment donné besoin d’aide. Le gouvernement du Québec, tiens, tiens, péquiste, a modifié la loi en 2014 : la loi sur le recours collectif est devenue la loi sur le Fonds d’aide aux actions collectives.
Le texte de la nouvelle loi (2) explique que, en fait, l’État financera les recours collectifs de A à Z : de A comme dans Avocats qui collectent à Z comme dans Zéro dépense pour le plaignant : « Le Fonds acquitte :
- a) les honoraires du procureur du bénéficiaire;
- b) les honoraires et les frais des experts et des avocats-conseils qui agissent pour le bénéficiaire;
- c) les frais de justice et les autres déboursés de cour y compris les frais d’avis, s’ils sont à la charge du bénéficiaire;
- d) les autres dépenses utiles à la préparation ou à l’exercice de l’action collecti »
La manne
Un féru chroniqueur en la matière (3) a déjà dénoncé le bar ouvert, sans oser noter que « bar » est la traduction anglaise de « barreau ».
Le floué présumé honnête lève la main, l’avocat présumé professionnel la lui prend ; le contribuable présumé généreux tend la sienne.
Dans les cas des recours collectifs pour viol de droits fondamentaux, visant souvent des administrations publiques, comme celui de La Ligue des Noirs du Québec, le « cochon de payeur de taxes », pour citer René Lévesque, paie un bureau d’avocats qui va faire imposer audit contribuable un dédommagement sans rapport avec le « remboursement des sommes illégalement arrachées » aux victimes.
Donc, donc
Une version de l’évolution de la notion de recours collectif conclut à une saine adaptation en fonction des besoins et droits des citoyens
Une autre version conclut qu’il y a eu diversion, voire dérive, de l’intention première du législateur québécois qui était le « remboursement des sommes illégalement arrachées ».
Le recours collectif mène maintenant souvent à une compensation pour droits violés ; une compensation proche de Z quand comparée au montant du dédommagement.
Encaissé par les A.
(1)
https://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/volume_29/29-12-piche.pdf
(2)F-3.2.0.1.1 – Loi sur le Fo#8AF
(3)L’obscène industrie de #204C099