À propos de l'auteur : Claude Lévesque

Catégories : International

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Claude Lévesque

Pendant la campagne référendaire sur le Brexit, puis lors des négociations qui se sont ensuivies, les Brexiters répétaient à qui voulait l’entendre que l’immigration, et l’immigration clandestine en particulier, menaçaient le Royaume-Uni.

Maintenant que le Brexit est chose faite, « now that it is done » comme dirait Theresa May, la première ministre du temps, les migrants qui atteignent le territoire britannique par des moyens irréguliers sont aussi nombreux qu’avant, et certainement plus nombreux si on parle de ceux qui franchissent la Manche à bord de canots pneumatiques, d’esquifs et autres coquilles de noix.

Mode de transport « de choix »

Les « small boats » (pour employer le jargon officiel) semblent être devenus le mode de transport de choix pour les migrants « clandestins » et les passeurs avec lesquels la plupart d’entre eux font affaire. C’est en partie parce que les autorités françaises font plus d’efforts pour empêcher les migrants de se faufiler dans les camions et les conteneurs, et en partie parce qu’elles en font peu pour empêcher les tombes flottantes de prendre le large. (1)

Le mois dernier, on a atteint le chiffre de 100 000 boat people ayant traversé la Manche dans de petits bateaux depuis qu’on a commencé à les compter en 2018. Pendant les six premiers mois de 2023, le chiffre s’élevait à 11 434 selon le Home Office, un petit peu moins que l’an dernier à pareille date. Négligeable avant 2018, le phénomène des «small boats» est en croissance depuis lors. (2)

C’est beaucoup, mais c’est beaucoup moins, il est vrai, que ce qu’on observe en Méditerranée, où l’on avait recensé un million de « boat people » dans la seule année 2015. Les chiffres pour les années suivantes sont beaucoup moins élevés, mais dépassent quand même, la plupart du temps, les 100 000 dans la Mare Nostrum. 

La mer de tous les dangers

La Manche est devenue le tombeau de nombreux « boat people ». Là aussi, on note qu’elle l’est moins que la Méditerranée, qui est beaucoup plus vaste et qui est bordée par deux grands continents et vingt pays au sud et à l’est de l’Europe. Selon l’Organisation internationale des Migrations, 142 personnes se sont noyées en tentant de traverser le bras de mer qui sépare la France du Royaume-Uni entre 2014 et aujourd’hui. Une des dernières tragédies en date s’est produite en août, entraînant la mort d’au moins six personnes. La pire tragédie remonte, elle, à novembre 2021. Elle avait fait 27 victimes. Depuis le début du siècle, le nombre de victimes approche les 400, selon les organisations caritatives qui suivent cet enjeu.

La Manche est donc pleine de dangers, mais pas mal moins que la Méditerranée à travers laquelle des réfugiés tentent désespérément de joindre l’Europe à partir de l’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. En août, l’Organisation internationale des Migrations alertait que plus de 1800 personnes s’y étaient noyées depuis le début de l’année. Depuis 2014, le nombre de décès ou de disparitions s’y élèverait à plus de 22 000.

De 2018 à mars 2023, 92 % des migrants qui ont traversé la Manche « clandestinement », tous moyens confondus, ont fait une demande d’asile au Royaume-Uni. Ils constituent près de la moitié des demandeurs. 

Comme dans plusieurs autres pays, ils doivent souvent attendre longtemps avant de recevoir une réponse définitive à leur demande. En attendant, certains d’entre eux sont logés dans des conditions qui ont été qualifiées d’inhumaines. On pense notamment à ceux qui ont été entassés dans une barge amarrée au large des côtes du Dorset. Une éclosion de légionellose a déjà forcé les autorités à évacuer ce bâtiment récemment. (3)

Une nouvelle loi très sévère

Ce genre de mesure a pour but de dissuader les migrants de se rendre au Royaume-Uni par des moyens irréguliers. Elle n’est pas la seule.

Le gouvernement conservateur de Rishi Sunak a récemment apporté d’importants changements à son système d’asile. Sous l’Illegal Migration Act, adopté par la Chambre des Communes le 26 avril 2023 et signé par le roi le 20 juillet, les personnes qui arrivent par des voies « non officielles », dont le fait de franchir la Manche dans de petits bateaux, ne recevront plus de protection et risqueront la déportation tout en se voyant signifier que toute demande ultérieure leur sera automatiquement refusée. 

Les groupes de défense des réfugiés, assez actifs au Royaume-Uni, ont vertement critiqué l’Illegal Migration Act, qu’incidemment la Chambre haute n’a pas entériné. Avec les nouvelles règles, ils ne pourront donc pas demander l’asile à cause de la façon dont ils sont arrivés au Royaume-Uni. Les migrants n’ont pas toujours le choix vu que l’Eurostar, les ferries et l’avion leur sont interdits parce qu’ils ne possèdent pas ou ne possèdent plus de passeport ou parce qu’ils sont mal informés par des passeurs sans scrupules. (4)

Pays tiers « sûr »

Les critiques sont venues non seulement de la part des lords et des activistes pro-immigrants mais également des experts de la Commission des droits humains des Nations unies.

Le gouvernement Sunak projette aussi d’envoyer les migrants «illégaux» au Rwanda, considérant ce pays africain comme un pays tiers pays « sûr », ce dont plusieurs personnes doutent.

71 % des demandeurs du statut de réfugié appartiennent ces temps-ci à cinq nationalités : Iraniens, Albaniens, Irakiens, Afghans et Syriens. Autrement dit, la nationalité des nouveaux arrivants correspond aux dernières crises politiques et humanitaires en date. Cette année, ce sont les Afghans qui constituent le groupe le plus important.

Pourquoi cherche-t-on à se rendre au Royaume-Uni ? Il y a plusieurs raisons. Une des principales, sinon la principale, c’est que plusieurs migrants ont de la famille dans ce pays ou du moins une diaspora sur laquelle ils pensent pouvoir compter. En outre, ils ont une certaine connaissance de l’anglais ou croient l’avoir, ce qui est plus rarement le cas s’agissant du français, de l’allemand ou du néerlandais.

1 The Migration Observatory, Oxford University, 21 juillet 2023

2 Channel crossings: more than 100 000 made since 2018, BBC, 11 août 2023

3 Legionella on the Bibby Stockholm barge: five questions for Home Office, The Guardian, 14 aout 2023

4 Facts about Channel crossings and why people make them, British Red Cross, 14 août 2023 et UN experts urge UK to halt implementation of Illegal Immigration Bill, Commission des Nations Unies sur les Droits humains, 20 juillet 2023

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