À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

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Christian Tiffet

Jean-Claude Bürger

Les Français qui se plaisent à ridiculiser leurs dirigeants en les affublant de sobriquets divers, surnomment volontiers le président Macron Jupiter. Un Jupiter maître de l’Olympe, qui se veut à bonne distance des mortels et laisse libre cours à son caractère autoritaire et ombrageux.

Dimanche 9 juin au soir, c’est effectivement d’un coup de tonnerre digne des foudres du dieu grec qu’il a traumatisé politiciens, observateurs et électeurs de son pays.

Les journalistes comme à l’habitude, commentaient à la télévision les résultats des élections européennes. Elles se révélaient catastrophiques pour le parti gouvernemental, lorsqu’ils apprirent en direct et avec stupéfaction que l’Élysée annonçait une réaction non planifiée du président sur leurs ondes.

Lourde défaite

Il devenait donc évident que le chef de l’État allait prendre acte de sa lourde défaite. Le succès de l’extrême droite à l’échelle européenne avait été prévu depuis longtemps, mais l’ampleur de sa victoire en France dépassait toutes les attentes.

Les spéculations qui allaient bon train sur le contenu probable de l’intervention prirent rapidement le pas sur les analyses traditionnelles des résultats, cependant bien peu parmi les commentateurs invités furent en mesure de prévoir en quoi elle pourrait consister.

À vingt et une heure, l’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de la Chambre des députés et la convocation de nouvelles élections législatives laissa tous les participants sur le plateau complètement interloqués.

Les deux tours du scrutin devront avoir lieu en moins d’un mois, (deuxième tour le 7 juillet), du jamais vu, alors que le 26 juillet commencent les Jeux Olympiques de Paris.

Ce n’est certes pas la première fois qu’est invoqué l’article 12 de la Constitution française. Il a été en particulier utilisé deux fois avec succès par le général de Gaulle pour restaurer la majorité mise à mal de son premier ministre Georges Pompidou.

Paris audacieux

Le président François Mitterrand l’a également utilisé pour conforter son élection à la présidence, par une majorité à la Chambre. Trois paris audacieux gagnés par des politiciens chevronnés qui réussirent ainsi à regagner une majorité leur permettant de gouverner.

Par contre en 1997 Jacques Chirac perd sa majorité après avoir ordonné la dissolution alors qu’il espérait la renforcer. Il est dès lors contraint de nommer son principal adversaire Lionel Jospin premier ministre.

C’est une curieuse configuration qu’implique parfois la Constitution française et qui force la cohabitation au pouvoir de partis opposés.

C’est le risque que prend le président Macron. Il a manifestement décidé de conduire lui-même la courte campagne électorale. Si en trois semaines il n’arrive pas à convaincre les électeurs de choisir son parti plutôt que celui de Marine Le Pen, il devra nommer premier ministre Jordan Bardella, actuel président du Rassemblement national, (nouveau nom du Front National).

La tâche semble difficilement surmontable. Le RN a obtenu pratiquement le double des voix de celui du président. Il fait à peine mieux que le Parti socialiste qui semble renaître difficilement de ses cendres.

Le RN ne fait plus peur

Le parti de Marine Le Pen, démonisé avec succès pendant de nombreuses années ne fait manifestement plus peur aux électeurs. Le résultat de ces élections en fait foi. Le RN devance les autres partis dans toutes les régions de France, dans les villes et dans les campagnes.

Il trouve également des adeptes dans toutes les générations, ce qui est radicalement nouveau.

Non seulement l’extrême droite fait de moins en moins peur en Europe, mais en France le RN n’est plus vraiment considéré comme extrême.

L’avènement du parti Reconquête d’Éric Zemmour et Marion Maréchal qui semble d’une droite encore plus radicale a, selon les observateurs, rendu celui de Marine Le Pen beaucoup plus fréquentable.

En France comme partout, la vie de beaucoup de gens est devenue plus difficile, s’ajoutent à l’augmentation du prix de l’énergie, celle du coût des loyers, de la nourriture, un sentiment de dépossession dû à une immigration d’autant plus visible que contrairement à celle des générations précédentes elle arbore souvent l’uniforme religieux, et revendique à ce titre des droits spécifiques dans un pays à la tradition profondément laïque.

Le RN exploite ces thèmes, en plus de celui de l’insécurité. Il séduit en promettant de rétablir la loi et l’ordre, de baisser les prix, d’augmenter les salaires, de chasser les intrus ou de les remettre à leur place. En un mot il promet le beurre et l’argent du beurre tout en restant très vague sur les moyens d’y parvenir.

Alors quelle est la logique derrière cette dissolution ?

Tentative machiavélique estiment certains de confier le pouvoir au RN pendant les trois ans qui restent à sa présidence, avec l’espoir que l’exercice des affaires érodera sa popularité en démontrant l’incompétence de ses politiciens.

Il semble plus probable qu’on soit face à une situation dans laquelle tout le monde considère à tort ou à raison qu’il n’a rien à perdre.

Le président depuis sa réélection n’a plus une majorité suffisante pour faire des réformes qu’il juge indispensables bien qu’impopulaires. Il aurait probablement essuyé une motion de censure lors de la présentation du budget à l’automne s’il n’avait lui- même pris l’initiative de la dissolution.

Tenter sa chance

Certains électeurs pour leur part, jugent que leur président est un beau parleur incapable de livrer la marchandise, d’autres au contraire, pensent qu’à tout prendre il vaut mieux tenter sa chance avec un parti populiste qu’avec un parti qui ne prend pas en compte les préoccupations de la population.

En tout état de cause, la crise actuelle consacre l’atomisation du parti Républicain en France : Éric Ciotti, son président, vient de déclarer son ralliement au RN. Il provoque l’éclatement probablement définitif de ce parti qui était au pouvoir sous le président Nicolas Sarkozy, héritier du RPR parti des gaullistes d’après de Gaulle. Ses représentants historiques ne le suivront certainement pas.

Par ailleurs le Parti socialiste qui semblait avoir repris quelques couleurs en faisant un score presque équivalent à celui du camp présidentiel aux européennes, semble se décomposer encore une fois et un nombre non négligeable de ses adhérents semble attiré de nouveau par une alliance avec le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France Insoumise.

Si elle n’est insoumise, la France semble pour le moins désormais ingouvernable. On peut craindre un retour des majorités introuvables et d’une instabilité politique chronique qu’elle n’a pas connu depuis la fin de la Quatrième République.

Un mélange d’incompétence, d’arrogance, et d’ambitions individuelles des politiciens peut conduire les électeurs d’un pays à des choix malheureux, le Royaume-Uni avec le Brexit en a donné un triste exemple, il semble bien possible que la France s’engage dans une aventure du même genre.

Un pays européen de plus va probablement basculer à l’extrême droite, et ce phénomène n’a pas lieu qu’en Europe.

On peut s’attendre à ce qu’à l’automne , les élections américaines présentent une image comparable et peut-être comprendre pourquoi au Canada certains conservateurs sont soumis à la tentation populiste.

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