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Dominique Lapointe
1998. Il n’y a pas eu de crise du verglas. Une tempête de givre certes, une catastrophe naturelle et technique majeure, mais pas de véritable crise. Pour les experts de la chose, ce qui caractérise la crise ce n’est pas essentiellement l’ampleur du phénomène, son rayonnement, sa profondeur, mais bien la capacité ou l’incapacité des autorités à faire face aux évènements.
C’est ainsi que l’incendie des fûts de BPC à Saint-Basile-le-Grand, dix ans plus tôt, avait rapidement dégénéré en crise. Pendant d’interminables semaines, les responsables de la sécurité publique, comme ceux de la santé, seront incapables d’évaluer avec assurance le danger des émissions et dépôts de dioxines et furanes dégagés par la combustion des huiles contaminées.
La rareté de ce type d’événement et le peu d’expérience tirée de la catastrophe de Seveso (Italie) en 1976 expliqueront ces tergiversations. Le retour des quelque 3500 évacués se fera donc plus tard que nécessaire.
Lors du verglas de 1998, il demeure remarquable comment la courte équipe autour du premier ministre Lucien Bouchard a su apporter des mesures de mitigation rapides et appropriées alors que s’effondrait de jour en jour la capacité de transport et de distribution en électricité du Québec, et, par la suite, dans les semaines qui suivirent. Mais pourtant, la crise épiait.
Une certaine vérité
Au plus sombre de la semaine, au fameux vendredi noir du 9 janvier, le premier ministre Lucien Bouchard, toujours accompagné du président d’Hydro Québec, André Cayer, doit prendre la parole. Mais cette fois, le choix du message est crucial. Les usines de filtration d’eau potable qui alimentent Montréal n’ont plus de courant. Il ne reste que quelques heures de réserve d’eau dans les bassins.
Le PM avertira les Québécois que le pire est à venir sans toutefois détailler le danger qui les guette. Le pari est le suivant : si on annonce une pénurie éventuelle d’eau potable, on ne fera que devancer son aboutissement avec les provisions que tous et chacun voudront stocker. Comment ensuite abreuver, ou pire encore, évacuer une agglomération de deux millions de personnes, qui plus est sur des ponts qui laissent tomber des obus de glace ?
Finalement, un ingénieux délestage territorial et un raccordement des usines de filtration permettront à la métropole d’éviter le chaos total, la crise. Le pari était gagné. 20 ans plus tard toutefois, la tempête sanitaire s’avèrera beaucoup plus complexe.
Publier quelles données ?
Dès le début de la pandémie, lors du premier confinement en avril 2020, des chercheurs universitaires exhortaient le gouvernement à dévoiler ses données brutes sur la progression de l’épidémie au Québec. Hésitation à Québec où on préférait digérer, donner un sens aux chiffres, avant de les livrer au public.
Par exemple, comment expliquer aux gens de certaines régions qu’on les tient en confinement comme à Montréal alors qu’on ne sait pas combien de personnes y sont touchées par la Covid ? En fait, on savait fort bien qu’on ne rapportait encore aucun cas ici et là. Une information qui aurait paru contradictoire avec l’effort considérable exigé des résidents et pourtant, des mesures adaptées aux circonstances.
Politologue, géographe, directeur de recherche honoraire de l’École polytechnique de France, Patrick Lagadec est un pionnier de la recherche sur les crises majeures qu’il décortique depuis 40 ans.
Joint à Paris, il est un ardent défenseur de la transparence mais transparence de quoi s’empresse-t-il d’ajouter : « Une communication claire, rapide avec le maximum de détails est importante, mais tout mettre sur la place publique peut nuire aux équipes qui tentent de sauver des gens, c’est un vieux principe connu en gestion de crise. Aujourd’hui cependant, on se retrouve dans des univers beaucoup plus chaotiques, des vagues scélérates permanentes, des opacités extrêmement fortes, sur des cartographies non stabilisées. On est donc dans des logiques de paris, beaucoup plus que dans des logiques de certitudes. Le problème qui était : comment dire ce que je sais, devient : qu’est-ce que je dis quand je ne sais pas ? »
Le faux débat de la restauration
En décembre 2020, le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, comparaît en commission parlementaire pour faire le point sur la gestion de l’épidémie au Québec. À la lumière des avis de l’INSPQ, qui sont désormais publiés, le député péquiste Pascal Bérubé se lance dans un interrogatoire à charge pour démontrer que gouvernement et experts se contredisent sur les mesures sanitaires. Exemple : les restaurants qu’on aurait décidé de fermer en zone rouge malgré la recommandation de la Santé publique.
À maintes reprises, le Dr Arruda et son collègue, le Dr Richard Massé, tenteront d’expliquer que l’avis formulé était plutôt un mode d’emploi pour maintenir les restaurants ouverts qu’une recommandation de les laisser ouverts, la distinction étant loin d’être accessoire (le gouvernement choisira de les fermer par esprit de cohérence avec d’autres établissements).
Les deux experts seront rapidement mis KO par la stratégie démagogique du parlementaire. Les médias et le public retiendront donc la fausse nouvelle, bien vendeuse, soigneusement fabriquée par le député.
Au cours de la même session, on ira même plus loin en réclamant les minutes des discussions des experts avant même que des avis soient déposés. Un souhait qui, on peut le comprendre, ne sera jamais exaucé pour la bonne raison que ces échanges se font plus souvent à bâtons rompus, devant l’urgence du jour.
Patrick Lagadec : « On va demander tout ce qui a été dit, les enregistrements, tout ce qui a été écrit et les gens vont se réunir et s’exprimer en fonction des enregistrements qui sont faits. Ça finit par être la folie absolue, alors qu’on navigue dans l’inconnu. Le public est en mesure de comprendre qu’on a pas les réponses si on prend le temps de l’expliquer correctement, et c’est là la clef de la confiance, un déterminant indispensable à la résolution de la crise. »
Affronter le chaos
Mais, selon Lagadec, la communication n’est que l’aboutissement d’un processus beaucoup méticuleux d’un plan d’intervention auquel personne n’était préparé : « Il faut des forces de réflexion rapide qui sont en appui aux décideurs dont la seule mission est de se poser les questions de base : quel est le problème, quels sont les pièges, avec quels acteurs on joue, quelles sont les initiatives à prendre, tout ça en temps réel, sans prendre la place des décideurs, des experts, et des communicants, mais en parallèle. Comme ça n’existe pas vraiment, le risque de confusion et de collision des messages va demeurer considérable dans l’avenir, l’avenir chaotique »
Pour consulter les travaux de Patrick Lagadec :
www.patricklagadec.net