À propos de l'auteur : Paul Tana

Catégories : Cinéma

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Paul Tana

Vu au cinéma Beaubien, dans une de ses micro-salles, malheureusement, L’été dernier de Catherine Breillat, la « sulfureuse » réalisatrice française de retour derrière la caméra à 76 ans, après un AVC il y a dix ans.

Chapeau !

Le film raconte la relation passionnée entre Anne, une jolie quinquagénaire en fleurs et froide avocate spécialisée dans la protection de l’enfance et son beau-fils, Théo, un adolescent de 17 ans, beau, ténébreux, instable, révolté contre son père.

Situation tout à fait en syntonie avec les préoccupations thématiques de Breillat constamment reliées au désir et à la morale. Voici ce qu’elle disait lors d’une classe de maître au FNC 2023 (Festival du nouveau cinéma) où on célébrait son œuvre : « Je parle d’un sujet humain capital, qui est le désir, et la survie de l’espèce humaine dépend en bonne partie du désir. Dans tous mes films, je privilégie des variations du désir différentes de l’ordre moral. »

Propos fort intéressants …

Mais bien au-delà ou en deçà du soufre, il y a le cinéma et la maîtrise extraordinaire avec laquelle Breillat fabrique ses images saute aux yeux : précises, claires, elles valent très souvent mille mots.

Je pense entre autres à l’arrivée de Anne dans le salon pendant que Théo et les deux « petites Chinoises », qu’elle et son mari ont adoptées, se chamaillent joyeusement sur le tapis. On ne voit d’elle que les souliers rouges à talon aiguille : un contraste absolu et choquant entre ces objets presque érotiques, agressifs et les jeux innocents entre les enfants et l’adolescent. C’est comme si cette image était subtilement porteuse d’un mauvais présage.

Ou encore, plus loin, après que Mina, la sœur d’Anne, lors d’une fête d’enfants, la surprend en plein ébats avec Théo dans un coin discret du jardin. Démasquée, Anne rappelle encore une fois à Théo que leur relation ne peut plus continuer, il en va de sa vie, de sa famille. Le lendemain, dans le même jardin, elle prend le petit déjeuner avec Pierre, son mari.  Entre eux deux, en arrière-plan, derrière la baie vitrée du salon, on voit Théo qui les observe : une ombre maléfique et fragile qui va bientôt provoquer la catastrophe.

C’est à l’occasion d’un séjour « entre hommes » au chalet familial, pendant lequel Pierre voudrait, un tant soit peu, renouer avec son fils que la catastrophe arrive : Théo avoue tout à son père dans un élan destructeur : ou tout ou rien !

Jusqu’à ce moment dans le film il y a une belle adéquation entre les images et le récit : l’histoire qu’on nous raconte, les personnages, leurs relations : tout est clair, précis. L’ambiguïté   des situations est palpable, tangible à preuve Théo qui observe à leur insu son père et sa belle-mère.

C’est après ces aveux que le film se fragilise.

Pourquoi ?

Il y a d’abord Pierre, bon père de famille reconstituée, qui après avoir confronté Anne à propos de sa relation avec Théo, succombe trop facilement aux mensonges de cette dernière qui nie tout, évidemment. C’est une brillante avocate habituée à plaider mais quand même … Il ne reste dans la tête de Pierre pas l’ombre d’un doute : celui qui a menti c’est son fils et il devra quitter la famille.

À la toute fin, quelques mois plus tard, après le repas de Noël, Pierre et Anne sont réveillés en pleine nuit par Théo qui cogne comme un forcené sur la porte d’entrée. Pierre laisse Anne descendre seule, portant un joli peignoir sur son corps nu … Arrive ce qui devait arrive, Anne succombe à la tentation : ils font l’amour dans la remise du jardin. « Dis-moi que tu es folle de moi », lui murmure Théo enjoué.

Elle remonte dans la chambre où l’attend, plus ou moins endormi, Pierre. Elle lui dit que Théo était soûl et qu’elle a appelé un taxi pour qu’il le ramène chez-lui. Pierre avale encore une fois le mensonge et s’endort tout bonnement. Anne, corps désirant, s’allonge nue à côté de lui.

Lent fondu au noir : fin.

C’est la manière un peu trop superficielle avec laquelle on traite le personnage de Pierre et l’invraisemblance de cette dernière situation qui fragilisent, affaiblissent le film.

Pourquoi ce n’est pas lui qui descend confronter son fils au lieu de Anne? Et si Pierre était descendu et avait surpris les deux amants? Pourquoi croit-il à tout ce que lui dit Anne lorsqu’elle remonte dans la chambre après un si long moment?

Quand autant de questions surgissent face à une scène c’est que « notre suspension volontaire de l’incrédulité »[i] est mise à mal. Et la mienne l’a été on ne peut plus.

Si Breillat décrit, montre bien le désir elle est moins convaincante lorsqu’elle raconte les dédales du mensonge et les doutes qui l’accompagnent ou, dans ce cas précis, qui devraient l’accompagner.

C’est la limite de son film.

[i] .”…It was agreed, that my endeavours should be directed to persons and characters supernatural, or at least romantic, yet so as to transfer from our inward nature a human interest and a semblance of truth sufficient to procure for these shadows of imagination that willing suspension of disbelief for the moment, which constitutes poetic faith.” Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria (1817).

L’Été dernier

Réalisation : Catherine Breillat. Scénario : Catherine Breillat et Pascal Bonitzer, adapté du film danois « Dronningen » (2019) réalisé par May el-Toukhy.

Production : Saïd Ben Saïd.

Direction de la photographie : Jeanne Lapointe.

Avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin, Clotilde Coureau.

France 2023. Durée : 104 minutes

Étoiles

***

 

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