À propos de l'auteur : Dorothée Giroux

Catégories : International

Partagez cet article

Capture d’écran

Dorothée Giroux

Ce n’est pas la première fois que Donald Trump s’en prend à l’OTAN, mais à l’approche des deux ans de guerre de la Russie contre l’Ukraine, il est carrément allé plus loin. Le candidat républicain à la présidence américaine a menacé les alliés de l’OTAN de leur donner toute une leçon, s’il est réélu en 2024. Les États-Unis pourraient bien ne pas se porter à l’aide d’un pays membre de l’Alliance atlantique en cas d’attaque, si ce pays ne contribue pas suffisamment à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou ne dépense pas assez en matière de défense. Et cela ne s’arrête pas là. Donald Trump encouragerait même la Russie à attaquer les alliés américains délinquants. Une déclaration qui a fait frémir les élus de capitales européennes, même si Donald Trump n’a pas franchi le seuil de la Maison Blanche pour un deuxième mandat.

Menaces prises au sérieux

Il reste plusieurs mois avant l’élection présidentielle du 5 novembre. Mais des dirigeants européens prennent la menace trumpienne au sérieux. Les hausses de budgets militaires font partie du discours ambiant ainsi que l’idée d’armées plus fortes. Le député européen, Raphaël Glucksmann, soutient qu’en 2024, avec la perspective Trump, l’Europe n’a pas d’autre choix que de devenir soudainement adulte. Et il montre du doigt un des ministres de la Défense de l’Union européenne :  «Après deux ans de guerre, notre ministre s’enorgueillit de livrer 2,000 obus par mois à l’Ukraine alors que les Russes en tirent 10,000 par jour. 2000 obus par mois au bout de deux ans. Sans les Américains, comment allons-nous faire pour que le front tienne ? Et quelques semaines plus tard, en réponse à une question d’un journaliste, le président français Emmanuel Macron a refusé d’exclure l’envoi de troupes en Ukraine, en ajoutant : « Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre. »

Toute cette inquiétude peut-elle émouvoir l’électorat américain au moment de remplir leur bulletin de vote de la présidentielle de novembre prochain ? Oui et non. Non, parce qu’en temps normal, la politique étrangère ne préoccupe pas les électeurs américains, ces enjeux n’ont pas d’effet sur les intentions de vote sauf en situation de crise, comme celle des otages américains en Iran qui a mené à l’impossibilité d’un deuxième mandat pour Jimmy Carter, en 1980. Howard Gold, professeur de science politique au Smith College, au Massachusetts, avance toutefois ceci : « En général, les américains votent surtout sur des enjeux économiques et puis sur leur perception des candidats, sur le plan personnel, sur leur compétence mais avec les guerres Russie-Ukraine et avec celle au Proche-Orient, je pense que cela peut avoir un effet très important . »

Il s’agit de politique pure et dure selon le spécialiste des habitudes de vote aux États-Unis.  « Il y a une certaine proportion des électeurs qui sont mécontents de Joe Biden et de sa gestion de la crise au Proche-Orient. Surtout les électeurs d’origine arabe qui sont nombreux dans certains états clés comme le Michigan, la Floride, la Pennsylvanie, ce sont des États très importants. Et puis au Michigan, en 2016 et en 2020, les élections étaient tellement serrées, la marge était tellement petite que ce genre de développement peut vraiment nuire à Joe Biden et vraiment affecter ses chances de remporter la victoire. »

Craintes du Parti démocrate

Il y a aussi le fait que l’aile gauche du Parti démocrate est mécontente de l’appui quasi inconditionnel à Israël que des partisans pourraient opter pour un candidat d’un tiers parti ou tout simplement ne pas aller voter. C’est une des craintes du parti démocrate, selon Howard Gold : « Est ce que Biden va changer la politique américaine à l’égard d’Israël et de Gaza ? Légèrement, oui, c’est ce qu’il est en train de faire mais abandonner Israël, ne pas fournir d’aide à Israël, ça c’est hors de question, il ne peut pas changer de façon fondamentale l’orientation des États-Unis envers Israël. Apaiser l’aile gauche du parti, oui, mais il y en a qui partiront, ce n’est pas un enjeu gagnant pour les démocrates cette guerre-là. »

2024 n’est définitivement pas 2016. Deux guerres intenses détruisent l’Ukraine et Gaza, tuent des dizaines de milliers de personnes et font régner l’incertitude dans le monde.

Et cela ne fera probablement pas changer les intentions de vote des républicains de Donald Trump, qui remettent en question les milliards de dollars alloués à l’Ukraine. Selon le Council on Foreign Relations, un think tank indépendant, les États-Unis ont versé 46 milliards 300 millions de dollars en aide militaire, 26 milliards 400 millions de dollars en aide financière et 1 milliard 600 millions en aide humanitaire à l’Ukraine.

Au minimum, 75 milliards de dollars, c’est beaucoup trop au goût de certains républicains qui veulent que ces fonds restent aux États-Unis, pour régler leurs propres problèmes. C’est ce que constate Victor Bardou-Bourgeois, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand : « Bien entendu, en saison électorale, y a la question des budgets, ce qu’on fait avec l’argent, il y a différents enjeux qui viennent se mêler à l’équation, comme les enjeux plus nationaux , la santé, l’éducation, les infrastructures et forcément la question de la frontière, cela va être souvent un angle d’attaque, pourquoi on envoie des milliards de dollars aux Ukrainiens alors que nous on a nous-mêmes un problème à la frontière. » Et il y a un autre enjeu qui s’ancre chez les républicains, une question internationale, selon Victor Bardou-Bourgeois, et c’est celle des alliances et de l’appui des États-Unis à l’OTAN.

Schisme

« Pour la première fois depuis la création de l’Alliance, durant la Deuxième guerre mondiale, il y a vraiment un schisme aux États-Unis entre les deux partis politiques avec un parti pro-Otan et l’autre qui, de plus en plus, s’affiche comme étant contre, alors qu’avant, surtout durant la guerre froide, il y avait une expression, “Politic stops at water’s edge”, c’est-à-dire, on peut ne pas s’entendre sur les questions de politique nationale mais on fait front commun sur les questions de politique étrangère. L’Ukraine va s’insérer dans ce débat-là, à savoir les États-Unis doivent-ils maintenir leur présence sur la scène internationale, surtout à travers l’Alliance transAtlantique, ou au contraire devraient-ils adopter une posture isolationniste, sans nécessairement se retirer des affaires mondiales mais en faisant tout simplement cavalier seul. »

Rien de rassurant pour ceux qui croient que deux guerres et toute l’incertitude qu’elle provoquent allaient peut-être signifier la fin de la candidature d’un Donald Trump trop inquiétant.

Laisser un commentaire