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Capture d’écran
Friedrich Merz, le prochain chancelier allemand.
L’Allemagne a retenu son souffle tout au long de la campagne électorale éclair qui s’est terminée le 23 février par la victoire claire et nette de la coalition conservatrice du CDU-CSU de Friedrich Merz. « Seule » ombre au tableau : le deuxième parti devant siéger au Bundestag (Parlement) est néo-nazi. Par ailleurs, si depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les États-Unis ont fait la pluie et le beau temps en matière de défense en Europe avec leur parapluie nucléaire, l’Allemagne se questionne sur le soutien de l’« ami américain » dans la durée.
Antoine Char
À droite toute ! Mais pas à l’extrême comme l’AfD (Alternative für Deutschland) d’Alice Weidel qui au nom du « brandmauer » (coupe feu) ne peut faire partie de la coalition appelée, dans quelques semaines, à diriger l’économie la plus puissante d’Europe, entrée dans sa troisième année consécutive de récession. L’Allemagne ne suivra donc pas l’exemple italien, hongrois, belge, néerlandais, finnois ou slovaque notamment. (1)
Friedrich Merz, le prochain chancelier, incarne certes un virage à droite pour la CDU (Union chrétienne démocrate) comparé surtout à la « centriste » Angela Merkel (2005-2021) avec qui il n’a aucun atome crochu, cependant sa coalition courtise déjà les sociaux-démocrates du SPD (16,8 % des voix contre 20,8 % pour l’AfD) pour gouverner.
Cela prendra du temps, mais à l’instar de l’Autriche voisine, où est né Hitler, il se dotera d’un gouvernement sans l’extrême droite, même si l’AfD est désormais la deuxième force de l’Allemagne, grâce à son balayage électoral dans l’est du pays. Majoritairement masculin, pas particulièrement âgé, le parti double son score par rapport aux législatives d’il y a un peu plus de trois ans. À l’ouest, rien de nouveau, le parti est inexistant. On le voit, plus de 35 ans après la réunification, l’Allemagne est toujours cassée en deux.
Mais si le « mariage » avec la formation néo-nazie, née en 2013, est exclu, la « remigration » est plus que jamais ancrée dans le paysage politique de l’Allemagne dont la population d’origine étrangère dépasse les 20 % et qui serait à l’origine d’au moins 40 % des crimes commis sur son sol. (2)
Lors de la crise migratoire de 2015-2016, le « bulldozer » économique européen avait accueilli plus d’un million de réfugiés, majoritairement syriens. Depuis, il a accéléré les expulsions d’étrangers auteurs d’infractions. Avec l’arrivée de Merz au Bundestag (Parlement), le coup d’accélérateur sera plus prononcé.
C’est clair et net.
« Nettoyage ethnique »
Forcé ou non, le retour des immigrés (non européens surtout) dans leur pays d’origine n’est-il rien d’autre qu’un nettoyage ethnique ? Il faut nuancer, estime l’historien allemand Jens-Christian Wagner.
« Le concept de “ remigration ” n’est pas synonyme de “ nettoyage ethnique ”, mais il va dans cette direction. Il fait référence à une conception raciste, “ völkisch ”, raciste de la citoyenneté allemande, selon laquelle seuls ceux qui sont de “ sang ” allemand peuvent être Allemands. C’est une conception que nous connaissons avec toutes ses conséquences meurtrières grâce au national-socialisme. » (échange de courriels).
On le voit, l’Allemagne est encore et toujours hantée par ses vieux démons (En Retrait, mars 2024) et qu’il le veuille ou non, Merz doit en tenir compte quand il promet de « limiter drastiquement l’immigration » de réduire les conditions du regroupement familial, de placer les sans-papiers dans des centres de détention.
Défense européenne
Si en Allemagne, comme un peu partout en Occident muscler son discours anti-immigration, légale ou non, est toujours payant surtout en période d’élection, celui qui deviendra le 10e chancelier de la République fédérale d’ici Pâques a un autre défi de taille : la défense européenne.
Atlantiste convaincu, Merz se dit « très curieux de voir quelle trajectoire nous prendrons d’ici au sommet de l’OTAN fin juin, si nous parlerons encore de l’OTAN dans sa forme actuelle ou si nous ne devrons pas établir beaucoup plus rapidement une capacité de défense européenne autonome. C’est pour moi une priorité absolue ». (3)
Ce ne sont peut-être que des mots à l’heure où le Vieux Continent, est protégé par le parapluie nucléaire de l’Oncle Sam et que quelque 100 000 soldats américains sont stationnés au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie et surtout en Allemagne (40 % des effectifs).
Mais tous les signaux sont au rouge depuis le retour de Trump. Il se rapproche presque en courant de Vladimir Poutine dans sa guerre contre l’Ukraine. Cela pourrait transformer l’OTAN en coquille vide. Dans un contexte différent bien sûr, Emmanuel Macron avait-il raison lorsqu’il disait ceci à The Economist (9 novembre 2019): « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN » ?
On est loin de ces mots de Ronald Reagan (1981-1989) : « Nous sommes liés à l’Europe par les liens les plus forts de l’histoire et de l’amitié. Ensemble, nous avons construit la plus grande alliance pour la liberté que le monde ait jamais connue. »
Alors ? Merz se dit prêt à mettre son pays sous le parapluie nucléaire français. Une véritable secousse tellurique. Une autre après la progression de l’AfD, désormais deuxième force du pays.
Politique-fiction que de voir la France, avec ses 290 têtes nucléaires remplacer les États-Unis ? Pour l’heure, c’est la valse des mots entre les différents membres de l’OTAN. Guillaume Ancel, écrivain (dernier livre Petites leçons sur la guerre comment défendre la paix sans avoir peur de se battre) et ancien officier français, rappelle ceci : « La dissuasion nucléaire est très particulière parce que ce n’est pas une arme de guerre, mais un système de destruction massive, quasi suicidaire. » (échange de courriels).
« Il est difficilement extensible à d’autres pays qui n’auraient pas accès à la capacité de décider, ce qui est le cas aujourd’hui du parapluie nucléaire américain, comment croire que les USA prendraient le risque d’une destruction massive pour défendre la Lituanie … Par contre, un système de dissuasion nucléaire serait crédible s’il était financé et dirigé par un État puissance, comme des États Unis d’Europe qui aurait un(e) président(e) »
La France, dotée de l’arme nucléaire depuis 1966, remplaçant les États-Unis comme « protectrice » de l’Europe ? Vieux rêve gaullien.
Le débat est en tout cas engagé à Berlin et Merz en a fait son cheval de bataille, tout en jouant à l’équilibriste, tiraillé entre les États-Unis (premier partenaire commercial de l’Allemagne) et le reste de ses partenaires atlantistes qui manquent de munitions, d’avions de combat, de chars. Plus de 60 % de leurs équipements est américain.
À Paris, Macron est ouvert à la discussion sur un parapluie nucléaire made in France, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN), s’y oppose et dans le reste du continent c’est la valse-hésitation.
Si le futur chancelier, le plus « américain » des hommes politiques allemands, a déchargé sa bile contre Washington c’est au départ parce qu’il n’a pas du tout apprécié l’ingérence du vice-président J.D. Vance et d’Elon Musk dans la campagne électorale. Les deux n’ont pas caché leur sympathie pour l’AfD.
Bierkrug
Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le bierkrug allemand (bock de bière). Pour Jens-Christian Wagner qui est également directeur de la Fondation qui administre les camps de concentration de Buchenwald et de Mittel-Bau-Dora c’est tout simplement « choquant » et « scandaleux ».
« Tout d’abord, il est contraire à toutes les conventions diplomatiques de ne pas intervenir dans les campagnes électorales de pays amis. Ensuite, l’AfD n’est pas un parti normal dans le spectre démocratique, mais un parti qui a été classé dans plusieurs länders comme un parti d’extrême droite confirmé et dont l’objectif est d’abolir l’État de droit en Allemagne et notre démocratie libérale. »
La boucle était bouclée pour Friedrich Merz et son choix est désormais cornélien dans un contexte géopolitique bouleversé par Trump 2.0. Ce chantre de la rigueur budgétaire se dit désormais prêt à aller chercher quelque 500 milliards de dollars pour la défense et cela, dit-il en anglais, « what ever it takes ». L’heure est si grave, qu’il souhaite même que le service militaire, aboli en 2011, soit rétabli dès cette année.
Une véritable révolution pour une Allemagne où la sacro-sainte orthodoxie budgétaire va voler en éclats car le « grand frère » américain n’est plus ce qu’il était. Longtemps considérée comme secondaire, la politique de défense (qui relève surtout du secteur privé) est en train de se placer au centre de l’échiquier politique allemand. Dans un pays encore marqué par les traumatismes de la Seconde guerre mondiale, l’opinion publique est bien sûr antimilitariste, mais le sera-t-elle encore longtemps avec un locataire à la Maison-Blanche imprévisible de jour en jour ?
Friedrich Merz doit sûrement avoir en tête ces mots de l’historien britannique Bernard Lewis (1916-2018) : il est risqué d’être l’ennemi de l’Amérique, mais il est peut être fatal d’être son ami.
Fortgesetzt werden. Oui, à suivre !
(2) https://www.nytimes.com/2025/02/24/briefing/the-meaning-of-germanys-election.html
(3) https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/23/friedrich-merz-le-prochain-chancelier-allemand-appelle-leurope-a-prendre-son-independance-des-etats-unis/