À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

Partagez cet article

Jean-Claude Bürger

Drôle de guerre. Elle a tout d’abord refusé de dire son nom, le président russe imposant à ses compatriotes le terme opération spéciale sous peine de prison. Elle a également tenté de dissimuler son objectif. Poutine parlant d’une opération de dénazification de ce pays qui avait pourtant élu un président juif.

Il évoquait également sa volonté de désarmement de l’Ukraine plutôt que la reconquête de ce pays aux frontières pourtant reconnues par la communauté internationale.

Le pouvoir de cette novlangue issue de la culture du KGB et de l’histoire soviétique a ses limites : il est soluble dans le réel et peu efficace hors des frontières russes. Un an plus tard, l’échec de la Blitzkrieg voulue par son chef a forcé la Russie à reconnaître que cette guerre en est bel et bien une. (Les faits sont têtus disait Lénine …). De plus, ces derniers mois, elle s’est transformée en guerre de position. Le conflit a radicalement changé de nature avec une nouvelle dimension que n’avaient pas anticipée ceux qui l’ont déclenché : le temps !

Querelles et loyauté

L’offensive russe était censée être courte et surprendre des pays occidentaux désorganisés et affaiblis. L’Europe et la Grande-Bretagne étaient divisées par des querelles et le Brexit. Les États-Unis déconsidérés par quatre ans d’une présidence ubuesque qui avait fait douter de leur loyauté à l’OTAN. Elle avait conduit le président français à déclarer avec pessimisme en novembre 2019 cette alliance « en état de mort cérébrale ».

Il avouait douter désormais de la validité de l’article 5 du traité qui est son pilier central, et concerne les obligations mutuelles de défense.

La durée du conflit a radicalement changé les choses. Elle a donné le temps au nouveau président Biden de rendre aux États-Unis leur Rôle de leader du monde occidental. Il a pu démontrer sa loyauté à l’Ukraine en faisant voter plus de 20 milliards $ en aide militaire, 10 milliards d’aide humanitaire et 30 milliards en aide financière (1)

Terreurs de la Guerre froide

Le temps a permis aux pays européens de réaliser que le Traité de l’Atlantique Nord conservait toute sa pertinence. Les bruits de bottes, la perspective d’une victoire russe et d’une satellisation de l’Ukraine ont ravivé les terreurs de l’époque de la Guerre froide.

Ces pays qui arrivent rarement à s’accorder sur des positions de politique étrangère semblent pour une fois agir dans le même sens. Ils ont eu le temps de s’entendre sur des sanctions économiques communes.

Les institutions européennes ont décidé d’assister l’Ukraine à hauteur de 35 milliards d’euros.

La Grande-Bretagne fait désormais cavalier seul. À la veille de sa chute, Boris Johnson trouvant enfin le rôle churchillien dont il avait toujours rêvé prit fait et cause pour l’Ukraine.

L’avènement d’un nouveau premier ministre plus discret ne semble aucunement avoir affecté la résolution de ce pays de s’opposer farouchement aux ambitions russes (7,1 milliards ).

Chaque pays aide également Kyiv dans le cadre de relations bilatérales : l’Allemagne (54 milliards), le Canada fidèle allié de l’Europe arrive en troisième position (3.8 milliards) avant la Pologne (3 milliarDs) et la France (1,4 milliard ) suivent la Norvège, les Pays-Bas et les autres pays européens.

Mode de calcul

On peut noter les fortes disparités entre les participations des divers pays et souligner qu’en terme de pourcentage du PIB ce sont des pays proches des frontières russes qui consentent l’effort relatif le plus important en matière d’aide à l’Ukraine.

Selon ce mode de calcul : les pays baltes, la Pologne la Norvège et la République tchèque devancent les États-Unis. Les pays qui ont connu le joug soviétique savent que dans l’esprit des Russes c’est la domination de l’Europe par la force de son armée et l’ambition de la reconstitution de l’empire de l’ex-Union soviétique qui est l’enjeu ultime de cette guerre.

La France quant à elle a longtemps hésité à fournir des armements offensifs, son président nourrissait l’ambition de préserver un canal de communication avec la Russie voire de servir de médiateur.

Début mai 2022 le président Macron déclarait devant le parlement européen tout en assurant de sa solidarité avec Kyiv, qu’il ne fallait pas humilier la Russie. À la suite de la vague de critiques des alliés, de la colère de Kyiv, et du peu d’ouverture des Russes il a fini par rentrer dans le rang, ce dont vient de le féliciter lors de son passage à Paris le président Zelensky.

Personne ne se sentant en position de force, personne ne veut négocier.

Il reste que bien peu de spécialistes de la chose militaire croient à la possibilité de la victoire décisive de l’Ukraine dans un avenir prévisible. En novembre dernier le chef d’état-major américain le général Mark Milley déclarait que même si les Russes échouaient dans leur tentative de soumettre l’Ukraine, ce ne serait pas suffisant pour assurer la victoire de Kyiv.

De fait dans cette curieuse guerre dont ils sont condamnés à être de plus en plus partie prenante les alliés occidentaux craignent une victoire de la Russie qui laisserait les Européens à la merci du premier dictat venu de Moscou. Mais comme l’exprimait le président Macron, ils doivent également craindre sa défaite, car quelle que soit l’issue des combats d’une guerre  pour l’heure encore conventionnelle, Poutine et les faucons de son armée font planer la perspective de l’utilisation de l’arme nucléaire en dernier recours.  

Lente escalade

Pour l’instant personne n’envisage sérieusement une telle issue mais chacun fait preuve d’une grande circonspection dans cette lente mais inexorable escalade induite par la dynamique du conflit : valse-hésitation allemande et polonaise avant de décider la livraison des chars, refus des alliés d’accepter ou de refuser de fournir au président ukrainien les avions de combat qu’il réclame.

La Grande-Bretagne, qui en guise d’avertissement vient quand même de s’engager à former des pilotes ukrainiens sur le matériel occidental, a provoqué la fureur de l’ambassade soviétique qui prévient dans un communiqué que Londres aurait sur sa conscience les conséquences et le  « bain de sang » qui découleraient de l’envoi d’avions de chasse .

Bain de sang ! Cette fois ce sont les Russes qui appellent les choses par leur nom ! Pendant que les stratèges en complets vestons ou en uniformes pèsent leurs mots et leurs actes, sur le terrain le sang de centaines de milliers de jeunes Russes et d’Ukrainiens continue de couler. C’est le prix payé pour les erreurs des stratèges russes et pour le temps qui a permis aux politiciens occidentaux de tenter de développer leur propre stratégie.

(1) Tous les chiffres d’aide sont exprimés en milliards d’euro et sont tirés d’études et compilation du Kiel Institute for the World Economy, ( Ukraine support tracker ). La dernière mise à jour date de novembre de l’année dernière. Depuis cette date et à la suite de la décision de l’Union européenne d’accorder une enveloppe supplémentaire de 18 milliards, l’aide européenne surpasse pour la première fois l’aide américaine. La prochaine mise à jour des chiffres sera publiée le 21 février.

Un commentaire

  1. Lise Maynard 14 février 2023 à 1:44 pm-Répondre

    Je voyais à l’émission « Quelle Epoque » (France) Monsieur De Villepin parler de négociations impératives et qui se poursuivraient sans doute entre l’es occidentaux et la Russie, même si on n’en parle pas publiquement. Selon lui, la fin de cette guerre passera inévitablement par une négociation qui déterminera quels territoires resteront / retourneront à l’Ukraine selon l’état des pertes et gains sur le terrain depuis le début des hostilités. Il a aussi été dit que tous les autres pays alliés des occidentaux qui représentent une quelconque puissance devraient prendre position dans ce conflits. Et comme il a d’ailleurs été mentionné lors de cette entrevue, que faudrait-il faire pour que le Président chinois calme les ardeurs de Poutine. Merci pour votre article.

Laisser un commentaire