À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie

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Économie ou environnement ?
Christian Tiffet

Vingt-sept septembre 2019, des centaines de milliers de personnes pleines d’espoir manifestent à Montréal contre le réchauffement climatique avec la jeune militante Greta Thunberg. Depuis, la pandémie et la quête de vaccins sont passées au-devant des préoccupations environnementales. Après le Grand Confinement, il a fallu relancer la production. C’est maintenant au tour de l’inflation de prendre le relais: de toute urgence et à tout prix, il faut l’endiguer, comme si l’érosion du capital reste plus importante à freiner que celle des berges.
 
Rudy Le Cours
 
Depuis des décennies, on répète qu’il faut concilier développement économique et préservation de l’environnement, ce qui revient toujours à prioriser l’économie. Peut-on inverser la proposition, sans pour autant tomber dans l’utopique décroissance, voire la croissance zéro? 
Faire passer la protection de la planète ou la lutte contre les changements climatiques avant la croissance, c’est possible, mais ardu. 

Certes, Ottawa a interrompu la construction d’un boulevard à Longueuil pour préserver l’habitat de la rainette faux-grillon. Mais quel sort réservera-t-on au caribou boréal de la Côte-Nord dont le milieu de vie est grugé par la toute-puissante industrie forestière ?

Quel est l’avenir du chevalier cuivré, ce grand poisson dont l’unique frayère se situe à l’embouchure du Richelieu, précisément là où le Port de Montréal veut s’agrandir? Le ministère fédéral de l’Environnement a donné son feu vert à l’expansion, mais il manque deux permis dont l’un en vertu de la Loi sur les espèces en péril. À suivre.

L’activité portuaire est essentielle à une économie comme celle du Canada qui dépend beaucoup du commerce extérieur, lequel équivaut à la moitié de sa taille (contre à peine 10 % pour l’économie américaine qui repose avant tout sur son marché intérieur).

Voilà pourquoi il faudra surveiller aussi de près le sort réservé à l’expansion du Port de Québec. Le projet Laurentia, qui prévoit la construction d’un terminal de conteneurs, est sévèrement critiqué par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada qui y voit des effets négatifs et cumulatifs sur la qualité de l’air et de l’eau. Québec souhaite l’agrandissement du Port. Le gouvernement Legault a d’ailleurs haussé la norme autorisée de nickel dans l’air après la victoire des autorités portuaires devant les tribunaux pour construire et entreposer des produits chimiques et pétroliers, au grand dam de groupes de citoyens de Limoilou, déjà aux prises avec des problèmes de qualité de l’air.

Métaux et hydrocarbures

La bataille qui fait rage à Rouyn à propos des émanations toxiques de la fonderie Horn devient le symbole québécois du choix déchirant entre économie et environnement. Assise sur des droits acquis de longue date, la filiale de la multinationale Glencore cherche à limiter ses coûts pour obtenir le renouvellement de son permis de polluer alors que la population découvre l’étendue des risques à sa santé causée par les activités de l’usine.

La santé publique recommande de ramener à 15 nanogrammes par mètre cube les émanations d’arsenic dans l’air, soit cinq fois plus que la norme ailleurs au Québec. Elle propose aussi à l’usine de réduire ses émanations de cadmium et de plomb. Combien Glencore est-elle prête à investir?À quel échéancier se pliera-t-elle ?

Chose certaine, les quelque 1500 travailleurs liés directement ou indirectement à l’avenir de la seule fonderie de cuivre au Canada exigent le maintien des activités de l’usine qui recycle aussi des métaux rares, un procédé très polluant mais peu documenté. On aura les réponses sans doute après le scrutin du 3 octobre.

Chose certaine, il ne faut pas prendre trop au sérieux la menace de fermeture évoquée par le premier ministre Legault. La Fonderie Horne n’est pas la seule à avoir un droit de polluer, connu sous le vocable d’Attestation d’assainissement. Une douzaine d’autres entreprises jouissent du même traitement de faveur.
 
Polluer pour préserver l’environnement
 
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dont 43,5% proviennent des transports, Québec mise avant tout sur le véhicule électrique, au détriment, peut-être, des transports en commun, moins énergivores, toutes sources confondues.

Ce choix vient avec des exigences. Il faut extraire davantage de nickel, de lithium, de cadmium, de manganèse, de zinc, de cuivre et de graphite, tous nécessaires au fonctionnement des batteries. Autrement dit, agrandir des mines et en ouvrir de nouvelles. 

Or, le graphite, en particulier, se retrouve dans le sous-sol outaouais. Les citoyens voient d’un très mauvais œil l’exploitation d’une ou de plusieurs mines dans leur région champêtre. Bref, oui à la transition verte, mais sans inconvénient. Après tout, près de quatre Québécois sur cinq pensent que la santé et l’environnement doivent primer sur l’économie (1).

Québec ne l’entend pas ainsi. Non seulement le gouvernement caquiste veut-il faire de la province un joueur de premier plan dans la filière des batteries pour véhicules, il est aussi prêt à sacrifier lacs, milieux humides et cours d’eau si nécessaire, comme c’est le cas à Fermont sur la Côte-nord pour favoriser l’expansion de la mine de fer Bloom (2).

Il a aussi augmenté la quantité autorisée de particules de nickel dans l’air de 14 à 70 nanogrammes par mètre cube afin de favoriser l’exploitation, voire l’expansion de la mine Raglan au Nunavik.
 
Ottawa n’est pas en reste 
 
Le gouvernement fédéral a autorisé l’exploitation du gisement pétrolier Bay du Nord au large de Terre-Neuve-et-Labrador, malgré un rapport accablant du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat qui s’oppose à la mise en exploitation de tout nouveau gisement. Le prétexte: l’exploitation de ces réserves en haute mer est moins polluante que celle des sables bitumineux, néanmoins en expansion.

Ottawa pourrait faire pire encore. Il jongle avec l’idée d’exclure les raffineries dans le calcul des émissions de GES. 

Le secteur des hydrocarbures est le plus grand créateur de richesses au Canada et son plus grand pollueur. Il représente 6% de son PIB, occupe quelque 400 000 personnes, mais produit 26% des GES canadiens. Il engrange aussi des profits faramineux. Ainsi, au deuxième trimestre, Imperial, filiale canadienne du géant Exxon, a empoché à elle seule un profit net de 2,4 milliards, soit six fois plus que pour la période correspondante de l’an dernier.

Remplacer le pétrole et le gaz, ce n’est pas pour demain, n’en déplaise aux écoanxieux. D’autant qu’on les utilise aussi pour générer de l’électricité. C’est ce qui amène certains pays importateurs comme la Roumanie à vouloir ranimer leur filière nucléaire. Un des avantages de l’atome, c’est que sa fission pour générer de l’électricité ne crée pas de GES. Mais vaut-il mieux produire des GES ou des déchets radioactifs? L’extraction d’uranium est-elle plus ou moins polluante que celle des hydrocarbures? Tout dépend du gisement ou du polluant qu’on choisit de mesurer.
 
L’inflation verte
 
Les catastrophes naturelles liées aux changements climatiques et la transition énergétique génèrent des coûts élevés. Les Américains ont formé un mot valise, la greenflation, pour étudier ce double phénomène qui se conjugue et s’oppose à la fois. 

On comprend aisément que la destruction d’habitats, d’usines, de commerces et de milieux naturels génère des coûts qui vont augmentant depuis une cinquantaine d’années. Il faut reconstruire avec de nouveaux matériaux, reboiser et payer davantage de primes d’assurances. Bref, la multiplication des catastrophes naturelles en tout genre nourrit l’utilisation de ressources et leurs coûts.

La transition énergétique aussi. Pour produire des batteries toujours plus performantes, il faut extraire des métaux souvent peu abondants ou accessibles, bâtir des usines, former du personnel. Cela exige beaucoup d’investissements. Les gouvernements peuvent stimuler la transition avec des crédits d’impôt, des subventions (si elles ne contreviennent pas aux traités de libre échange), de la réglementation ou des taxes sur des produits plus polluants. Des voitures électriques, c’est aussi un réseau de bornes de recharge sur les voies publiques, des coûts d’infrastructures que devront éponger les administrations publiques qui récolteront moins d’argent à partir des taxes sur les carburants.

«Le déploiement massif de véhicules électriques, de l’énergie éolienne ou de l’énergie solaire demande une capacité de production industrielle et des technologies qui ne sont pas encore optimisées, observe Marc-Antoine Dumont, économiste chez Desjardins. Les coûts de production demeurent donc élevés» (3).

Pour le consommateur, la transition n’a rien d’une aubaine, à court terme. Le prix d’un véhicule électrique est plus élevé qu’un autre à essence, même si la poussée des coûts du carburant en comparaison de celui de l’électricité rend l’achat du premier rentable au bout de quatre ou cinq ans au Québec parce que la houille blanche y est bon marché. Le Québec est toutefois plutôt l’exception que la règle. 

Ailleurs, la bonne conscience fait quand même son chemin et l’engouement pour le véhicule électrique se répand. Encore faut-il pouvoir s’en procurer un, car les fabricants peinent à répondre à la demande. Tout cela n’a rien pour encourager les baisses de prix au moment où les banquiers centraux augmentent le coût de financement d’un achat qui représente plusieurs dizaines de milliers de dollars.
 
L’environnement vaut cher
 
Dans un monde idéal où le transport en commun et les véhicules à batterie seraient la norme, mais les hydrocarbures en net déclin, le régime fiscal serait à revoir. 

Le Québec reçoit en 2022-2023 un transfert de 13,67 milliards au chapitre de la péréquation soit 1582 $ par Québécois. Cela représente 12,5 % de ses revenus budgétaires de l’exercice en cours. Les provinces productrices d’hydrocarbures ne touchent rien.

Le poids du Québec dans l’enveloppe totale de péréquation va en diminuant puisque son économie rattrape son retard sur les autres provinces. Si toutefois la production d’hydrocarbures devait diminuer rapidement, l’enveloppe pourrait aussi rapetisser. En pareil cas, les transferts en péréquation reçus par Québec chuteraient. Pour combler ce manque à gagner, il faudra trouver de nouvelles recettes fiscales. La croissance, à elle seule, n’y arrivera pas.

Cela soulève surtout une question douloureuse : combien sommes-nous prêts à payer pour que l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador laissent leurs hydrocarbures dans leur sous-sol et pour que les travailleurs de ces industries renoncent à leurs salaires élevés ?

1) https://www.ledevoir.com/environnement/740589/environnement-la-sante-et-l-environnement-doivent-passer-avant-les-mines-selon-un-sondage-leger
2) https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1868298/lac-bloom-residu-minier-lac-environnement-bape-decret
 3         https://www.desjardins.com/ressources/pdf/pv220621-f.pdf?resVer=1655817560000

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