À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

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La Suède n’est plus le modèle de terre d’accueil de l’Europe.

Jean-Claude Bürger

La nomination d’un premier ministre en France près de deux mois après les élections qui ont coûté le pouvoir à son prédécesseur, ne signifie pas la fin des turbulences politiques dans ce pays. Il faudra encore attendre avant de savoir si le nouveau venu réussira à former un gouvernement de coalition. Ce n’est ni dans la tradition ni dans la culture de la Ve République. 

Ce gouvernement encore très hypothétique au moment où s’écrivent ces lignes, aura-il, s’il voit le jour, une espérance de vie raisonnable ou ne sera-t-il que le premier d’une succession de gouvernements éphémères comme en a connu la France sous la IVe République ?

Il est encore trop top pour le dire; toutefois la personnalité du nouveau premier ministre, à défaut d’apporter des certitudes sur les perspectives politiques, est quand même révélatrice d’enjeux fondamentaux qui agitent non seulement la politique française, mais celle de la plupart des pays européens.

Un pays qui vote à droite

Pourquoi Emanuel Macron fait-il appel à Michel Barnier ? On peut avancer sans se tromper que c’est parce qu’il n’est pas de gauche. En effet, même si la gauche a du mal à le reconnaître et à en tirer les conséquences, les Français ont voté massivement pour la droite qui totalise près des deux-tiers des voix et à peu près les deux-tiers des sièges à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, pour qu’un premier ministre de droite ait quelque chance de former un gouvernement dans le tourbillon politique français, il lui faudra être un maître négociateur car la droite qui se plaît à souligner les divisions du bloc de gauche est elle-même divisée entre le Rassemblement national (le RN, parti nationaliste et populiste) et le centre droit, lui-même soumis à moult luttes d’ego et de chapelles. Les couteaux y volent parfois très bas. Discipliner les votes de ces groupes au Parlement demandera au chef du gouvernement des talents de dompteur pour cirque de chats.

Immigration et insécurité : des thèmes qui partout font recette

Aucun gouvernement de droite en France ne peut aujourd’hui espérer se constituer sans l’assentiment du parti de Marine Le Pen. L’extrême droite a obtenu un score sans précédent et remporté près d’un tiers des sièges.

Le RN a apparemment fait savoir qu’il ne s’opposerait pas par principe à un gouvernement Barnier à  la condition que soient prises en compte ses priorités à savoir : la lutte contre l’immigration, contre l’insécurité et celle, bien entendu, contre l’érosion du pouvoir d’achat. C’est la doxa de tous les partis de droite populistes européens, et ce sont des thèmes qui, à l’évidence, attirent chez eux nombre d’électeurs. Le résultat des élections françaises n’a donc en ce domaine rien d’exceptionnel, ni de surprenant.

Michel Barnier est bien placé pour le savoir. Lors du référendum anglais à l’origine de la sortie de ce pays de l’Union européenne, la campagne des brexiters  s’était faite en grande partie sur le thème de leur opposition à l’immigration. Barnier qui a négocié au nom de l’Europe les conditions du Brexit,  se déclare persuadé qu’en l’absence d’une politique européenne de strict contrôle de l’immigration il y aura d’autres Brexit.

Bien que résolument  pro-européen, il va même jusqu’à affirmer qu’en l’absence d’une telle politique, il serait en faveur d’une souveraineté juridique de la France en matière d’immigration. Selon lui, ça permettrait à son pays d’éviter les arrêts ou les condamnations de la Cour de justice de l’Union européenne si elle réforme les lois qui régissent l’accès de son territoire aux étrangers ! 

C’est une opinion qui serait loin de déplaire à Marine Le Pen … si elle n’était formulée par un adversaire politique.

On peut s’attendre cependant à ce que le RN s’il accepte de soutenir, serait-ce sans y participer, un gouvernement d’une droite plus modérée, tienne celui-ci sous haute surveillance et exige des politiques d’immigration extrêmement restrictives. L’exemple suédois semble préfigurer ce qui pourrait se passer en France.

L’exemple suédois du succès d’une extrême droite

Dans ce pays, c‘est la gauche sociale-démocrate qui après avoir dominé la vie politique depuis les années 1950 (1) a perdu le pouvoir en 2022. Les sociaux-démocrates qui n’ont pratiquement jamais eu la majorité absolue des sièges au Parlement, ont vu, au fil du temps, les résultats électoraux des coalitions qu’ils dirigeaient s’éroder. En 2012, un nouveau  parti d’extrême droite nationaliste, populiste aux origines passablement sulfureuses (associé à ses débuts aux néo-nazis) faisait son entrée au Rikstag, le Parlement suédois.

Il représentait à l’époque 5,7 % des voix. Dix ans plus tard, il en faisait 20,5 % et arrivait en deuxième position après les sociaux-démocrates. Il était aux élections de 2022, pratiquement à égalité avec le principal parti de la droite suédoise (2) et provoquait l’effondrement de la coalition des sociaux- démocrates. L’opposition de droite traditionnelle (Les modérés), forma donc un gouvernement avec l’aide de l’extrême droite qui depuis, lui accorde son soutien sans y participer, mais en lui dictant un certain nombre de politiques.

Comment donc ce parti d’extrême droite (3) qui ne représentait que 5,7 % des votes en 2010 est-il arrivé à 20,5 % en 2022 , en position d’arbitrer le choix de politiques gouvernementales ?

L’aveuglement de la gauche et l’inconfort de la population

Deux raisons essentielles : ce pays, longtemps culturellement et ethniquement homogène, a été un modèle de régime social-démocrate. Le bien-être de ses habitants, son caractère égalitaire et tolérant sur le plan des moeurs et des croyances religieuses, sa bienveillance envers les réfugiés étaient souvent cités en exemple.

Durant les années 1990, au fil des conflits en Iran-Irak, dans les Balkans, puis dans les années 2000 en Syrie et au Moyen-Orient, des vagues d’immigration sans précédent ont profondément modifié la composition de la population. Aujourd’hui un Suédois sur cinq est né à l’étranger. Ces deux millions de nouveaux arrivants ont entraîné l’apparition d’inégalités sociales auparavant inconnues, dans le même temps, le taux de violence armée augmentait de façon telle qu’il est aujourd’hui le plus haut en Europe.

Les sociaux-démocrates ont refusé pour des questions idéologiques et par peur de se faire accuser de racisme et de xénophobie, de considérer que la question migratoire était problématique.

L’aveuglement de la gauche a permis l’apparition d’un parti d’extrême droite qui cristallise le ressentiment qu’à tort ou à raison la population éprouve face à l’immigration.

Par ailleurs, Jimmie Åkesson le chef de ce nouveau parti s’est attaché à dédiaboliser comme on dit en France ce parti aux origines des plus suspectes.

La politique qui régit l’immigration de la Suède a donc changé du tout au tout : incitations et actions pour obliger les immigrés à quitter le pays, durcissement des conditions d’obtention de visas, systématisation des permis de séjour temporaire, durcissement des conditions de naturalisation. C’est la droite qui se dit modérée (2) qui met en vigueur ces mesures, mais elle déclare aujourd’hui qu’elle maintiendra cette ligne même si elle n’a plus besoin du soutien de l’extrême droite.

On peut s’interroger sur les raisons profondes du refus de la plupart des gauches européennes de prendre en considération l’inconfort grandissant des populations vis-à-vis de l’immigration et du pluri-culturalisme qu’elles s’estiment souvent contraintes de subir.

Outre sa tradition internationaliste, il est certain que depuis la guerre de 39-45, les concepts de nationalisme et de socialisme lorsqu’ils font bon ménage n’y ont pas bonne presse. Depuis cette époque d’ailleurs, s’il est un pays européen qui su éviter par dessus tout les attitudes racistes et nationalistes qui évoquent un passé de bien sinistre mémoire c’est l’Allemagne. La chancelière Angela Merkel qui a accepté en 2015 d’ouvrir les frontières de son pays à un million de réfugiés s’est attirée malgré tout de nombreuses critiques. Sa décision a certainement contribué à donner une impulsion nouvelle et une voix aux forces qui rejettent le pluri-culturalisme dans ce pays.

En Allemagne, deux länders décomplexés

Début septembre, les élections en Saxe et en Thüringe ont donné dans cette dernière province la première victoire électorale de l’extrême droite en Allemagne depuis le fin de la guerre. L’Alternativ  für Deutschland (AFD) parti nationaliste et populiste dont la tête de liste a déjà été condamnée en justice pour avoir utilisé un slogan nazi est arrivé au premier rang en obtenant 32.8 % des voix. Il mettait en avant la lutte contre l’immigration et, à la faveur d’un fait divers tragique, contre l’insécurité qui en découle. En Saxe, les résultats ne sont guère différents alors que l’AFD obtient 31,6 % talonnant les Chrétiens démocrates (CDU) le parti de l’ancienne chancelière Angela Merkel qui font 31.9 %. Ce qu’il y a également de notable dans ces deux régions, c’est l’apparition d’un parti d’extrême gauche parfois comparé à celui de Jean-Luc Mélanchon (LFI). Il en diffère cependant notablement : le BSW, parti de Sarah Wagenknecht est en effet en faveur de politiques très fermes de contrôle de l’immigration elle a obtenu en Thüringe 15.8 % des suffrages ce qui dans cette province fait que plus de 48 % de la population a voté en faveur d’un plus stricte contrôle des migrants. En Saxe, le BSW a fait 11,8 % ce qui fait que le sentiment anti-migrant s’y retrouve également chez plus de 40 % de la population.

À un an du renouvellement du Bundestag, le Parlement allemand, on comprend l’inquiétude des partis traditionnels. Le gouvernement fédéral a d’ailleurs annoncé dès la semaine suivante, rétablir le contrôle de toutes ses frontières pour lutter contre l’immigration illégale.

La position de Sarah Wagenknecht est surprenante, elle n’est cependant pas entièrement unique à gauche où le Parti social-démocrate danois fait lui aussi figure d’exception.

Le cas du Danemark

En 2022, contrairement à la Suède, les électeurs danois ont reconduit au pouvoir la coalition sociale-démocrate de la première ministre Mette Frederiksen. Il faut dire que dans ce pays, l’extrême droite (le Parti populaire danois) qui a déjà connu de meilleurs jours n’a récolté que 2,6 % des suffrages. Comment se fait-il que ce parti fasse un score presque dix fois inférieur à celui de ses homologues suédois ou Finlandais ? (4)

La réponse tient en peu de mots : les sociaux-démocrates danois pratiquent une politique d’immigration extrêmement restrictive. C’est un cauchemar pour l’extrême droite qui voit ainsi son fonds de commerce pillé par la concurrence. Énumérer la liste des obstacles dressés contre l’immigration au Danemark nécessiterait un très long article exclusivement consacré à cette fin (5).

Depuis 2002, date à laquelle l’extrême droite nationaliste incarnée par le Parti populaire danois, commence à influer sur les politiques migratoires, la gauche danoise a progressivement absorbé et intégré à son programme une des politiques les plus restrictives en matière d’immigration : confiscation à l’arrivée des biens au-delà de la valeur d’environ 600 dollars canadiens des demandeurs d’asile pour palier leurs dépenses ( y compris les biens à valeur affective précise le règlement ), limitation du regroupement familial, limitation drastique de la possibilité de naturalisation, retrait de la nationalité aux délinquants, tentative d’externalisation du traitement des demandes d’asile au Rwanda (6), ne sont que de petits échantillons de mesures qui sont loin de témoigner de l’empathie généralement attribuée à la gauche modérée. Une sévérité telle, que certain observateurs l’estiment à la limite du droit international.

Résultat : le Parti populaire danois (d’extrême droite) qui avait fait près de 21 % aux élections de 2015 se retrouve en 2022 à 2,6 %, mais c’est pratiquement tous partis confondus que le Danemark semble aujourd’hui d’une seule voix, lancer le message au monde des migrants : « Ne venez pas chez nous, on n’est pas sympa ! »

Ça semble marcher : la part des ressortissants non-occidentaux dans la population danoise est de l’ordre de 6,3 %, un niveau faible comparé aux autres pays européens. En 2015 lorsque la première ministre sociale- démocrate accédait au pouvoir, il y avait annuellement 21 000 demandeurs d’asile. En 2023 ce nombre est tombé à 2000 …

Le cheval de Troie d’un fascisme renaissant ?

L’essor de l’extrême droite au Danemark comme ailleurs en Europe semble inversement proportionnel au niveau de porosité des frontières du pays.

La gauche était traditionnellement internationaliste et la droite est devenue mondialiste. En refusant, pour des raisons idéologiques, de prendre en compte le malaise des populations face à l’immigration, les partis traditionnels prêtent le flanc aux critiques d’élitisme et de déni de démocratie. Ils font partout  le lit des partis populistes. Ces derniers sont vus de plus en plus par les électeurs comme l’ultime recours contre les changements culturels qu’implique l’accueil en nombre, d’une population aux valeurs souvent radicalement différentes des leurs. Certains veulent voir dans leur souci de l’opinion des citoyens un retour aux sources de la démocratie. On peut en souligner le paradoxe : les extrêmes droites qui traînent encore les scories de leurs origines n’ont, malgré tous leurs efforts de respectabilité, jusqu’à présent jamais passé pour des parangons de démocratie. On peut craindre qu’avec leur montée en puissance elles ramènent sur le devant de la scène politique une idéologie à tendance fascisante qu’elles prétendent avoir abandonnée, mais dont on sait qu’en leur sein elles conservent de nombreux  partisans.

  

 

  1. Sur 72 ans ,les sociaux-démocrates suédois n’ont été dans l’opposition qu’à trois reprises totalisant une quinzaine d’années.
  2. Les modérés est le nom du parti de droite traditionnel suédois.
  3. Pour plus de clarté, j’évite de mentionner le nom de ce parti car son intitulé, Les démocrates de Suède est susceptible de créer confusion avec le Parti social démocrate.
  4. Dans ce pays, le parti d’extrême droite qui inclut des personnalités proches des néonazis, est entré au gouvernement en 2023.
  5. Voir à ce sujet Danemark : une politique d’asile et d’immigration de plus en plus restrictive par  Cyril Coulet sur le site Vie publique, publié le 16 juin 2024.
  6. Ce qui semble avoir donné des idées  à Richi Sunak au Royaume-Uni et dont le programme principal était la lutte contre l’immigration et l’insécurité qui en découle.

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