À propos de l'auteur : Antoine Char

Catégories : Médias

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Antoine Char

Ses jours sont-ils comptés ? Pour l’heure, elle est aphone. GB News voulait être la porte-parole des sans voix. La chaîne ultra-conservatrice britannique a perdu 60 % de ses téléspectateurs depuis son lancement le 13 juin.

Comment expliquer cet échec cuisant alors qu’en France, CNews ne cesse de gagner des parts d’audience avec ses débats houleux et des opinions (surtout d’extrême-droite) souvent peu cimentées par des faits ?

Drapé dans l’Union Jack, le nouveau-venu du petit écran britannique émet en continu … ou presque : 18 heures par jour, sept jours sur sept. Elle voit grand : concurrencer la vénérable BBC (« The Beep » ou « Auntie », aura cent ans le 18 octobre prochain) et la chaîne privée Sky News (lancée en 1989).

« Anti-woke », elle pourfend la « cancel culture ». Pour cela, pas de bulletins de nouvelles, mais des débats à l’emporte-pièce sur les « bien-pensants » trop politiquement corrects. Une Fox News sauce british ? Peu importe, pour Stop Funding Hate, pas question de voir la publicité « financer la haine, la discrimination et la diabolisation » dans le paysage médiatique de sa Gracieuse Majesté.

« Moins de téléspectateurs que Paw Patrol »

Créée il y a cinq ans, l’organisation militante, a ainsi convaincu IKEA de ne pas annoncer dans GB News. Le géant suédois du meuble a obtempéré. D’autres ont emboîté le pas. Résultat : la station est privée de recettes publicitaires. Lancée avec un budget de 60 millions de livres (103 millions de dollars canadiens, sortis surtout des poches de Paul Marshall, milliardaire pro-Brexit), elle compte sur des abonnements mensuels d’une dizaine de dollars pour décoller.

Mais voilà, « elle a moins de téléspectateurs que la version galloise de Paw Patrol [La Pat’ Patrouille, série d’animation canadienne] », déclare Richard Wilson le fondateur de Stop Funding Hate (échange de courriels). Alors, GB News, un flop ? « En théorie, ses bailleurs de fonds pourraient continuer à la renflouer indéfiniment et la croissance de son audience n’est pas impossible », ajoute-t-il.

Patrick Barwise, professeur émérite de management et de marketing à la London Business School, est d’accord. « On peut dire que GB News est un flop mais ses bailleurs de fonds ont des poches profondes. [Incidemment, malgré le nom de GB News et la marque théâtrale britannique, la plupart des investisseurs sont étrangers ou offshore]. À mon avis, il s’agissait avant tout d’un projet de guerre culturelle et non d’un projet commercial (…) », explique-t-il (échange de courriels).

Une guerre culturelle sur laquelle surfent déjà les tabloïds britanniques avec ces mots: « L’élite contre le peuple !». Leur dialectique populiste rejoint GB News dans un pays dominé par le Parti conservateur de Boris Johnson. L’arrivée de la station télévisée n’est donc pas un accident. Les étoiles étaient bien alignées pour sa naissance.

Nigel Farage, mais pas Piers Morgan

Elle compte sur plusieurs présentateurs vedettes dont Nigel Farage. Dès son entrée en ondes, le chantre du Brexit, qui a vu la Grande-Bretagne se retirer de l’Union européenne le 31 janvier 2020, à minuit, lançait ceci à propos des retombées de la Covid-19 : « Je ne montrerai aucun passeport vaccinal pour aller acheter une pinte. C’est une trop grande atteinte à nos libertés. »

On le voit, le ton est donné avec une parole se voulant « décomplexée », très droitière à l’instar de FOX News et de CNews qui malgré le départ de sa polémiste vedette Éric Zemmour, le candidat putatif à la présidentielle française d’avril prochain,  « cartonne » dans le paysage médiatique de l’Hexagone.

Si GB News a réussi à attirer Farage dans ses filets, elle comptait vraiment mettre la main sur Piers Morgan, mais le magnat australo-britannico-américain Rupert Murdoch a été plus rapide. Même s’il aurait déclaré que l’ex-présentateur de Good Morning Britain, avait « des c… plus grosses que sa cervelle », il lui a fait une offre qu’il ne pouvait refuser.

« Il lui a fait une super offre », souligne Barwise. Le grand patron de Fox News et du Wall Street Journal notamment, va lancer l’an prochain TalkTV et comme son nom l’indique il s’agira surtout de débattre, mais dans l’émotion et l’indignation. sans tenir compte des règles d’impartialité de l’Ofcom (le CRTC britannique), pour qui « les nouvelles, sous quelque forme que ce soit, [devraient être] rapportées avec l’exactitude requise et présentées avec l’impartialité requise ». 

« Le juste milieu ne rapporte plus »

GB News aujourd’hui, comme TalkTV demain, peuvent difficilement être des clones de Fox News. Encore là, l’Ofcom veille au grain. Comme au Canada, le gendarme de l’audiovisuel interdit les chaînes purement d’opinion. En plus d’amendes, pas très salées, le retrait de licence est possible comme ce fut le cas en 2012 pour la chaîne de télévision iranienne Press TV qui diffusait de Londres en anglais. Avec ses « Salam and Welcome », le ton de propagande de la station, qui se voulait une réponse de Téhéran à FOX News, était manifeste.

Aujourd’hui GB News ne donne certes pas une répartition égale du temps à chaque point de vue, ne représente aucunement chaque facette d’un argument, mais le contexte étant ce qu’il est en Grande-Bretagne et ailleurs en Europe, fermer une chaîne de télévision « anti-woke » « anti-immigration » et se voulant « patriote » donnerait des munitions à toutes les droites populistes européennes.

Dans tous les cas, « le juste milieu ne rapporte plus ( … ) Désormais les médias prospèrent en alimentant les guerres culturelles auprès de publics polarisés et mobilisés. Pour le meilleur et pour le pire », estiment Serge Halimi et Pierre Rimbert (Le Monde diplomatique, mars 2021).

Moins de six mois après son lancement, GB News est loin d’avoir le vent en poupe, mais, comme dirait Mark Twain, annoncer sa mort serait grandement exagéré.

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