À propos de l'auteur : Claude Lévesque

Catégories : International

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Claude Lévesque

L’année 2023 est en voie d’établir un triste record aux États-Unis : celui du nombre de tueries multiples. Avant même la fin d’avril, on en dénombrait une par semaine, pour un total de 17 évènements et un bilan de 88 morts, selon une compilation faite par l’Associated Press et le quotidien USA Today. Jusqu’ici, seule l’année 2009 avait commencé de façon aussi dramatique. (1)

Les fusillades de cette année se sont produites dans toutes les régions du pays. Les centres commerciaux ont souvent été choisis par les fous de la gâchette mais ces derniers ont aussi, et assez souvent, ouvert le feu sur des gens qui participaient à des réjouissances, comme ceux qui célébraient le Nouvel An lunaire à Los Angeles, ou les adolescents qui s’étaient réunis dans une petite ville de l’Alabama pour souhaiter bon seizième anniversaire à une copine, dans ce qu’on appelle une Sweet Sixteen Celebration.

Et ça continue

Les armes à feu ont continué de retentir pendant les jours qui ont précédé la mise en ligne du dernier numéro d’En Retrait. Le 7 mai, neuf personnes ont été tuées et sept autres blessées dans un centre commercial à Allen au Texas. Le 28 avril, une fusillade a fait six victimes, dont trois enfants, dans une école à Memphis, au Tennessee. Quelques jours plus tard, deux représentants siégeant à la législature de l’État à Nashville ont été expulsés par leurs pairs parce qu’ils s’étaient joints à une manifestation visant à dénoncer la violence par les armes à feu. ( Ils ont été rétablis dans leurs fonctions peu après ) .

Certaines tueries de masse ( résultant dans la mort d’au moins quatre personnes, sans compter le ou les tireurs ) ont particulièrement horrifié nos voisins du Sud depuis une trentaine d’années. Une des plus « célèbres » s’est déroulée à l’école Columbine au Colorado le 20 avril 1999. Deux jeunes hommes ont alors tué dix étudiants et un enseignant en plus de blesser deux autres personnes, avant de se suicider. En 2002, Michael Moore y a consacré un documentaire qui est devenu, lui aussi, célèbre.

Des efforts ont été faits afin d’interdire la vente incontrôlée d’armes à feu dans les foires ou entre particuliers, mais un projet de loi en ce sens présenté en 2000 a échoué le test à la Chambre des représentants. Certains États fédérés ont eu plus de succès.

Le 5 novembre 2009, un officier et psychiatre a ouvert le feu sur la base militaire de Fort Hood, tuant 13 personnes et en blessant une trentaine d’autres. 

Le tueur perché

Le 1er octobre 2017, un homme de 64 ans, perché au 32e étage d’un hôtel de Las Vegas, a tiré sur la foule qui assistait à un festival de musique en contrebas. Résultat:  60 morts et des centaines de blessés.

Certaines tueries visant des élèves dans leurs écoles ont choqué nos voisins du Sud. Quand 20 bambins de six et sept ans ont été tués dans leur école de Sandy Hook, au Connecticut, en compagnie de six employés, les Américains, tous âges confondus, se sont émus. Y compris les petits enfants, sauf que ces derniers étaient beaucoup trop jeunes pour se mobiliser. S’émouvoir, c’était la moindre des choses.

Révolte des ados

Le 14 février 2018, à Parkland, en Floride, ce sont des adolescents qui ont été fauchés : 14 d’entre eux, en plus de trois employés. Les survivants ont été non seulement émus et scandalisés, ils se sont révoltés. Dans la foulée du drame, des jeunes ont tenu de nombreuses manifestations dans un des mouvements les plus importants de l’histoire des efforts visant à freiner la prolifération des armes aux États-Unis.

Au cours des dernières années, les jeunes et les Afro-Américains se sont montrés particulièrement favorables à un resserrement des règles, mais ces deux catégories de citoyens votent habituellement en moins grand nombre que les autres Américains. Un sondage réalisé récemment par la Harvard Kennedy School révèle que 63 % des jeunes de 18 à 29 ans souhaitent que des lois plus strictes soient adoptées en matière d’armes à feu. Plus de 40 % d’entre eux disent vivre dans la crainte de la violence visant leur groupe d’âge. (2)

La question reste de savoir si ce groupe d’âge va voter en assez grand nombre pour déloger suffisamment de représentants et de sénateurs opposés à toute loi sérieuse et ainsi faire la différence.

Depuis au moins 30 ans, la majorité des Américains veulent des lois plus strictes, mais aucune législation vraiment susceptible d’arrêter les tueries n’a été adoptée.

La NRA et ses porte-voix

Les statistiques sont épouvantables et elles semblent empirer. Dans un pays en guerre, une dictature ou un territoire sans tribunaux et sans lois, on comprendrait qu’il n’y ait pas de mouvement fort visant à mettre fin à l’hécatombe mais aux États-Unis, qui se veulent le berceau de la démocratie moderne ? 

Le tripotage des cartes électorales explique en partie qu’on retrouve autant de défenseurs du lobby des armes, notamment de la NRA (National Rifle Association) malgré le fait que la majorité des citoyens souhaitent qu’on serre la vis. La NRA est assez influente pour que les candidats aux plus hauts postes craignent de s’opposer à elle. À cela s’ajoute le fait que la participation aux élections primaires est assez faible, ce qui simplifie la tâche pour le lobby des armes.

Donald Trump a pris la parole au dernier congrès de la NRA :  entre autres choses, il a plaidé en faveur d’un assouplissement des règles qui restreignent le droit de porter des armes de poing dissimulées. Il a également proposé, si jamais il redevenait président, que des subventions soient accordées aux enseignants qui se procurent des armes.

Le gouverneur de la Floride, Ron de Santis, adversaire présumé de Trump pour l’investiture républicaine, a déclaré que le Deuxième amendement (stipulant le droit de porter des armes) serait « le fondement sur lequel reposent tous les autres droits ».

Les deux hommes politiques se sont fait les porte-voix de la NRA, pour laquelle « ce sont les gens pas les armes qui tuent »; pour laquelle, en somme, le Deuxième amendement est un document absolument sacré. (3)

Cette idéologie est tenace : invoquant le besoin de se protéger, quatre Américains sur dix disent vivre dans un foyer possédant une arme à feu ; trois sur dix disent en posséder une personnellement, même si (ou parce que?!) 48 % de la population estime que la violence par les armes à feu constitue « un très gros problème ». (4)

Quoique nombreuses et particulièrement tragiques (notamment celle qui a eu lieu dans une école à Uvalde au Texas) le bilan des tueries de masse ne représente qu’une faible proportion des morts par armes à feu (plus de 40 000) répertoriés aux États-Unis en 2022. Environ la moitié de ces décès étaient attribuables à des suicides. (5)

(1) Mass shootings in U.S. on a record pace in 2023 so far, Stephanie Dazio et Larry Fenn, Associated Press, 21 avril 2023, dépêche publiée sur le site de la chaîne PBS

(2) Harvard Kennedy School Institute of Politics, 28 mars 2023

(3) Trump says mass shootings are not a gun problem as GOP hopefuls pledge loyalty to the NRA, Jonathan Allen, 14 avril 2023, NBC News

(4) Key facts about American and guns, 13 septembre 2021, Pew Research Center

(5) US. Gun violence soars in 2022, Chris Simkins, Voice of America, citant les chiffres compilés par Gun Violence Archives, un groupe de recherche fondé en 2013

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