À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : Canada

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Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. 

Maquette en bois du chasseur F-35 qui a servi à une des annonces du contrat par les conservateurs en 2010. À noter que le drapeau de la Turquie (comme la plupart appliqué à l’envers) devra être retiré car les États-Unis ont finalement écarté ce partenaire du programme.

Dominique Lapointe

On n’a jamais tant parlé de chasseurs aériens que maintenant. L’agression russe en Ukraine et les demandes incessantes de son président aux alliés ont remis à l’avant-plan la nécessité pour les États de disposer d’avions de combat modernes, rapides et souples pour faire respecter leur espace aérien. Un contexte qui a sans doute contribué, fin mars 2022, à accélérer les négociations avec le constructeur Lockheed Martin pour l’achat de chasseurs furtifs F-35A, pour le meilleur … et pour le pire.

Un avion de paix

Février 2009. Quelques heures avant que le président américain Barack Obama ne se pose à Ottawa pour rencontrer Justin Trudeau, deux chasseurs canadiens F-18 sont allés intercepter un bombardier Bear russe qui s’approchait de l’espace aérien du Canada en Arctique.

Après quelques cabrioles, pour bien faire comprendre aux pilotes russes qu’ils ne sortaient pas de l’école de pilotage et que la route choisie n’était pas la bienvenue, les Russes ont salué leurs vis-à-vis, comme c’est coutume, et rebroussé chemin.

Il n’y a pas que les ballons chinois qui s’égarent pas très accidentellement ces temps-ci.

Quelques pays européens, comme la France avec ses Rafale ou encore la Norvège et ses F-35, ont renforcé leur présence aérienne en Europe du Nord et de l’Est pour « accompagner » les appareils russes qui prétendent faire du service humanitaire dans la région, sans plan de vol et tous transpondeurs éteints …

Car, bien avant d’être une arme de guerre redoutable, le chasseur est avant tout une arme de paix, une icône d’affirmation, de dissuasion. Indispensable.

L’avion de la discorde

Il aura fallu 25 ans pour que le gouvernement canadien, dans une valse-hésitation politique, choisisse finalement l’avion américain F-35 pour remplacer la flotte largement vieillissante des CF-18 de McDonnell Douglas qui remonte aux années 1980.

Le programme de recherche et développement du F-35 avait été avalisé par le gouvernement libéral de Jean Chrétien en 1997. Une dizaine de pays alliés se sont engagés à coup de centaines de millions de dollars dans un projet d’avion de chasse sur papier.

Malgré ses critiques alors qu’il était dans l’opposition, le nouveau gouvernement conservateur entre dans l’aventure en 2006. Il est cependant vite confronté aux problèmes de conception et aux retards du constructeur Lockheed Martin, et laisse pourrir le dossier. Il confirmera finalement l’achat de 65 appareils F-35 en 2010.

Le ministre de la Défense de l’époque, Peter McKay, en fera d’ailleurs l’annonce devant … une maquette grandeur nature de l’avion.

Cinq ans plus tard, Justin Trudeau se fait élire en promettant d’annuler le fameux contrat. Trop chers, pas fiables, inadaptés à la topographie du pays.

2023, le même gouvernement libéral annonce maintenant l’achat de 88 appareils au coût de 19 milliards de dollars. Plus le choix semble-t-il.

L’avion à tout faire

À l’origine, le projet du F-35 visait à remplacer graduellement toute une série d’appareils de l’armée américaine, comme les F-16, F-18, F-22, F-117, A-6, déployés tant sur terre que sur mer.

Le programme, en partie international avec des partenaires de l’OTAN, promet un avion monoplace furtif, donc invisible aux radars ennemis, mais surtout multi fonctions, avec des capacités de surveillance, de reconnaissance et de navigation électroniques tout aussi performantes que sa force de frappe embarquée des plus polyvalentes.

Trois configurations seront développées. Le F-35A, la version classique que le Canada veut acquérir, le F-35B, à décollage court et atterrissage vertical pour porte-avion, tout comme le F35C avec voilure plus importante et système de catapultage pour la Navy.

On peut souligner que le Canada ne possède aucun porte-avion, mais que toutes ces exigences morphologiques et aérodynamiques ont eu des conséquences sur l’ensemble de l’appareil et son coût de développement.

À cela s’ajoute le poids de l’avion qui n’a cessé de croître, 25 tonnes, réduisant ainsi sa portée. À peine plus de 1200 kilomètres maximum en configuration de combat. Impossible de faire l’aller-retour Bagotville-Kuujjuaq avec un plein. Les Russes, qui rôdent dans l’Arctique, dépassent les 4000 kilomètres de portée avec leur dernière génération de Sukhoï furtif.

Un développement sans fin

Quelque 800 des 3300 F-35 commandés par les États-Unis et leurs partenaires de l’OTAN ont été livrés. Tout autant de problèmes techniques sérieux ont été signalés par leurs opérateurs, dont certains jugés critiques, comme le décollement du revêtement antiradar du fuselage à des vitesses supersoniques.

L’Australie, qui fait l’expérience du chasseur américain depuis dix ans, a dû réduire les heures de vol de 25 % pour accorder plus de temps à la maintenance. Les deux premiers appareils acquis en 2013 devront possiblement être mis au rancart parce que leur mise à niveau apparaît impossible.

Il ne faut pas oublier qu’un chasseur monoplace n’est pas que l’affaire d’un pilote. Un escadron de techniciens, ingénieurs et mécanos gravite autour de ces appareils pour assurer leur sécurité et leur rendement une fois revenus à terre. Voler un F-35 coûte 48 000 dollars canadiens l’heure. Un record.

C’est d’ailleurs ce qui rend très complexe et épineux l’envoi éventuel de chasseurs aux Ukrainiens. On ne peut livrer la marchandise sans la famille, le coffre à outils ou seulement le savoir-faire qui l’accompagne.

Une Ferrari au garage

Il y a deux ans, le général Charles Brown, commandant en chef de l’US Air Force, s’est mis les pieds dans les plats en livrant le fond de sa pensée devant la presse au sujet du F-35. Il l’a traité de Ferrari, en spécifiant que bien qu’on admire ce bijou le dimanche, on ne va pas travailler avec en semaine.

Il s’était même avancé sur la nécessité de lancer un nouveau programme de développement d’un appareil bas de gamme, plus fiable, plus léger, moins coûteux. Admission gênante alors que les carnets de commandes des partenaires internationaux pour le F-35 sont bien garnis.

On tente donc, pour l’instant, une reconfiguration du moteur F-135 par un système plus puissant, plus résistant, plus économe en carburant et moins onéreux à entretenir. Opération qui vient d’être suspendue après l’écrasement d’un appareil en décembre dernier à la base de Forth Worth lors d’un vol de contrôle de la qualité.

F-35, le mal nécessaire ?

Durant cette saga de 25 ans, le Canada a bien sûr lorgné du côté d’autres constructeurs comme Saab, Dassault, Airbus ou Boeing, mais le travail de lobbying de Lockheed Martin auprès de plusieurs gouvernements des pays de l’OTAN, a finalement eu raison, de la raison diront certains. Et même auprès du public comme en fait foi cette publicité ici-bas sur un autobus à Ottawa.

On invoque aujourd’hui la nécessité d’avoir des appareils en parfaite harmonie technologique avec ceux de nos alliés, comme si nous étions encore au 20e siècle. D’ailleurs, le propre d’un escadron de vol n’est pas international, mais tout le contraire.

Le Canada possède des chars d’assaut Leopard allemands et non américains. Il aurait très bien pu s’équiper de chasseurs Rafale français il y a 15 ans, des avions utiles et efficaces actuellement en mer Baltique. Mais la Ferrari du voisin était devenue incontournable cette fois.

Il ne faudrait pas oublier que le meilleur pilote canadien de tous les temps est mort au volant … d’une Ferrari.

Capture d’écran CBC News

Publicité de Lockheed Martin sur un autobus à Ottawa en 2013.

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