À propos de l'auteur : Michel Bélair

Catégories : Polar & Société

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Non: on ne parlera pas de tarifs ici. Ni de droits de douane ou d’assaut généralisé contre le monde entier, puisque plein de gens qualifiés y passent déjà le plus clair de leur temps depuis l’arrivée de la nouvelle administration Trump. Non. On référera plutôt à une histoire tordue qui met en relief une sorte de procédé, une façon de faire de plus en plus « tendance » et qui consiste simplement à foncer d’abord dans le tas. À en jeter plein la vue. À tout éclabousser de chiffres, de tableaux et de preuves, même si elles sont fausses … comme d’autres s’appuient sur de fausses données en sachant pertinemment qu’elles sont inventées de toutes pièces. D’abord parce qu’on peut le faire et surtout pour en profiter le plus possible. C’est un peu ce que raconte Le dossier 1569, la plus récente affaire du commissaire William Wisting, ce limier norvégien qui mène les enquêtes imaginées par Jørn Lier Horst, lui même policier retraité. Du bonbon. Acidulé …

Michel Bélair

Au-delà de toutes les références croisées que l’on peut faire, précisons d’abord que toute cette histoire repose sur un crime inadmissible: un viol, un autre, suivi du meurtre de la victime non consentante. C’est précisément «le dossier 1569» du titre, une enquête ayant mené à une condamnation ferme à la fin du précédent millénaire: preuves solides, traces d’ADN, vidéo, données téléphoniques, etc. Mais voilà que ce dossier remonte à la surface de manière inhabituelle à l’occasion d’une autre affaire, tout à fait actuelle celle-là; celle de la disparition d’une jeune femme que la presse locale suit de façon assidue.

La «manière inhabituelle» prend la forme d’une lettre anonyme déposée dans la boîte aux lettres du commissaire William Wisting alors qu’il lit sur sa terrasse en essayant de profiter de ses vacances en suivant de loin cette histoire de disparition. En décachetant l’enveloppe, Wisting trouve une feuille blanche portant une série de chiffres: 12-1569/99. Vous l’avez deviné, il s’agit du fameux «Dossier 1569» qui a été instruit sur le territoire du district 12, en 1999. Intrigué, le commissaire met la main, dans les archives, sur tous les documents de cette enquête et profite de l’occasion pour faire analyser l’enveloppe qu’il a reçue.

En fouillant, il découvre rapidement des similitudes étonnantes entre cette disparition, en 1999, de la jeune Tone Vaterland alors qu’elle rentrait du travail en vélo, et une affaire sur laquelle il a lui-même travaillé quelques années plus tard dans le même secteur. Dans son enquête à lui, Jan Hensen avait été condamné pour le viol et le meurtre d’une autre jeune adolescente, Pernille Skjerven. Voilà donc l’axe de fond du récit déjà posé: Wisting va éplucher le dossier et creuser sous tous les angles les similitudes entre les deux affaires. Surtout que les lettres anonymes continuent à tomber dans sa boîte aux lettres…

Consciencieux, méticuleux, le policier constate d’abord que le meurtrier de Tone Vaterland, Danny Momrak, a purgé les dix-sept années de sa sentence et qu’il vient d’être libéré quelques mois plus tôt. Quant à Hensen, il est mort d’un cancer pendant sa détention mais une autre lettre anonyme attire l’attention du policier sur le fait qu’il a été interrogé comme témoin dans le procès de 1999 : Hensen est même la dernière personne à avoir vu Tone Vaterland vivante … Alerté par la possibilité d’une erreur judiciaire, Wisting décide de creuser davantage et de consacrer tout son temps à l’affaire.

Pour une poignée de dollars

Le policier va trouver des failles dans la première enquête : on a négligé la présence de suspects potentiels tant la preuve contre Danny Momrak semblait accablante. Il constate aussi qu’après avoir visité le policier chargé alors de l’affaire Vaterland, son accès aux documents officiels est bloqué. Plus troublant, il apprend que les fragments d’empreintes trouvés sur les lettres anonymes sont celles de l’ancienne copine de Hensen qui le visitait en prison. Et l’affaire prend un tournant radical quand tout à coup la Kripos, l’équivalent norvégien de la CIA disons, contacte Wisting et lui donne le feu vert, et tous les moyens disponibles, pour pousser l’enquête à fond. Retour à la case départ…

Le commissaire oublie ses vacances, l’affaire courante qui monopolise l’attention des médias et plonge; il va même jusqu’aux USA interroger, avec une collègue du FBI, un des suspects potentiels oubliés par la première enquête. Pendant tout ce temps, une sorte de sonnette d’alarme se met à résonner dans sa tête. Et elle résonnera encore plus intensément lorsque, une fois l’ex-copine de Hensen écartée, il s’interrogera sur la véritable provenance des lettres anonymes. Qui est le mystérieux informateur? Et dans quel but agit-il à ce moment précis ? D’autant plus que, aiguillé par une autre missive déposée chez lui, voilà qu’il «tombe» sur une nouvelle série de « preuves ADN irréfutables » incriminant cette fois directement Jan Hensen pour le meurtre de Tone Vaterland. C’est presque trop …

C’est du moins assez pour que Wisting se mette à douter de toutes ces nouvelles évidences qui lui tombent dessus, dix-sept ans plus tard. Et il creuse encore davantage en faisant jouer toutes ses cellules grises et tous ses contacts. Jusqu’à ce qu’il découvre en fait que c’est tellement trop …  que c’est faux. On vous laisse découvrir comment l’enquêteur en arrive à comprendre que les preuves sont fabriquées de toutes pièces, comment, et par qui, mais on vous donne un indice. Dans des cas d’erreur judiciaire ayant mené à un long emprisonnement, la justice norvégienne — comme plusieurs autres un peu partout — prévoit des dédommagements pouvant atteindre les millions de dollars. Et que ne ferait-on pas pour quelques poignées de dollars…

Tout cela est porté par des personnages d’une crédibilité à toute épreuve, qu’ils se situent du côté des bons ou des méchants. Jørn Lier Horst connaît de l’intérieur le milieu qu’il décortique devant nous et il a ce don d’inscrire ses histoires dans un cadre irréprochable de vérité que la traduction rend ici parfaitement. L’intrigue particulièrement serrée qu’il nous propose n’est pas sans rappeler des façons de faire de plus en fréquentes, on l’a dit dès le début, où les apparences et les preuves fabriquées servent de références et de cadre à peu près à n’importe quoi.

Les polars et la société ont décidément beaucoup de choses en commun.

Le dossier 1569

Jørn Lier Horst

Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier

Gallimard-Série noire, Paris 2025, 432 pages

 

 

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