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Louiselle Lévesque
Louiselle Lévesque
Soixante ans après la création du ministère de l’Éducation du Québec et plus d’un demi-siècle après le déploiement du réseau de l’Université du Québec (UQ), où en sommes-nous au chapitre de l’accès à l’enseignement supérieur dans une province qui accuse un retard historique en cette matière ?
Comment les institutions québécoises réussissent-elles à s’acquitter de leur mission fondamentale compte tenu des moyens mis à leur disposition et en comparaison avec leurs consoeurs du reste du Canada? Et comment le Québec se positionne-t-il dans l’ensemble canadien?
Un bond formidable
Bien sûr, la société québécoise peut se féliciter du chemin parcouru depuis les grandes réformes lancées dans la foulée de la Commission Parent qui ont marqué la fin des années 1960 et qui avaient pour but la démocratisation de l’éducation.
Le défi était colossal. Une infime minorité (environ 6 % des jeunes de 18 à 24 ans) fréquentait l’université au début des années 1960. Aujourd’hui le quart de la population québécoise de 25 à 64 ans détient un grade universitaire. Les progrès sont indéniables.
Mais une analyse plus fine de la situation permet de mettre le doigt sur ce qui a moins bien fonctionné dans ce nécessaire rattrapage, les succès mitigés, les points faibles et même les travers que perpétue le réseau universitaire québécois, surtout en ce qui concerne les francophones.
Pour y voir plus clair, le livre que vient de publier Louis Maheu, professeur émérite de sociologie à l’Université de Montréal, et qui s’intitule L’Université à l’épreuve du temps, Modèles du Québec et d’ailleurs, constitue une mine d’informations.
Le portrait que l’auteur a réussi à brosser en dépit des embuches représente un véritable tour de force. Car, aussi étonnant que cela puisse paraître, les chercheurs en éducation se butent à d’énormes difficultés simplement pour avoir accès aux données colligées par le gouvernement du Québec, lesquelles devraient pourtant être publiques.
Les recherches dans ce domaine souffrent de ce manque flagrant de transparence qui prive le Québec d’un outil essentiel de développement socioéconomique.
Au-delà des apparences
À partir de travaux qu’il a co-signés et de ses propres analyses, le professeur Maheu attire notre attention sur des statistiques troublantes comme le fait qu’en 2010, les trois-quarts des diplômes universitaires inférieurs au baccalauréat qui ont été décernés au Canada, l’ont été par des institutions québécoises.
Et qu’en 2018, les universités au Québec concentrent pas moins de 40 % de leurs formations à des attestations et à des certificats de programmes courts alors que les universités ontariennes n’y consacrent que 2 %.
« On est, nous dit l’auteur, les champions au Canada des formations courtes. Et de loin. On leur accorde une proportion dans l’ensemble de nos diplômes qui est largement supérieure à ce qu’on voit partout ailleurs au Canada et notamment en Ontario. »
Le sociologue ne nie pas que les programmes courts puissent avoir leur utilité pour répondre à des besoins spécifiques du marché du travail, en informatique par exemple. Mais il voit, dans cette prolifération de diplômes inférieurs au baccalauréat, ce qu’il appelle des diplômes refuges, un piège qui contribue à maintenir des inégalités socioéconomiques.
« On parle ici de programmes courts qui sont des substituts au baccalauréat et qui sont choisis beaucoup plus par des étudiants francophones que par des étudiants anglophones ou allophones. »
Là où le bât blesse
Louis Maheu déplore que la part du Québec dans l’ensemble des diplômés canadiens au baccalauréat se situe autour 19-20 % alors que la province représente 22-23 % de la population du pays. « Les Québécois francophones sont ceux qui sont les moins bien représentés parmi les bacheliers. Ça, c’est très important à considérer. »
Et il précise que « notre grande performance au niveau du doctorat est due aux anglophones et aux allophones. »
« Alors là, poursuit-il, il y a sûrement un point d’interrogation pour la communauté universitaire francophone que ce déficit structurel de la diplomation au baccalauréat et aussi au doctorat. Ça, c’est un grand défi. »
L’auteur rappelle d’ailleurs que l’écart entre le Québec et l’Ontario s’est accentué pour ce qui est de la proportion de détenteurs d’un baccalauréat parmi les 25 à 34 ans. Ce taux était de 19 % au Québec au milieu des années 1990, soit trois points de moins qu’en Ontario. En 2018, la différence est de six points, soit 38 % pour le Québec contre 44 % pour l’Ontario.
Le temps partiel
Un autre phénomène venant ternir le tableau québécois est le fait que les élèves francophones mettent en moyenne beaucoup plus de temps que les anglophones et les allophones à compléter leur formation au CEGEP.
« Dans l’ensemble canadien, nous sommes aussi les champions du temps partiel, nous dit le professeur Maheu. Souvent les programmes courts sont faits à temps partiel aussi. » Bien que cette clientèle soit en âge d’étudier à temps plein, se désole-t-il.
Cette tendance est plus marquée dans les universités francophones que chez leurs consoeurs anglophones implantées sur le territoire québécois.
Et si l’on compare le Québec à l’Ontario, les chiffres des 20 dernières années sont révélateurs. Le tiers des inscriptions au baccalauréat dans les universités québécoises est à temps partiel. C’est le cas aussi de plus de la moitié des inscriptions à la maîtrise. En Ontario, les proportions sont de 18 % et 29 % pour les mêmes cycles.
Le facteur langue
Le professeur Maheu note que les francophones composent un peu plus des deux-tiers (68,4 %) des diplômés du baccalauréat des universités du Québec, ce qui est nettement inférieur à leur poids démographique tandis que les anglophones et allophones représentent près du tiers (31,6 %) des détenteurs de ce grade universitaire, soit dix points de plus que leur poids dans la population québécoise.
Cette sous-représentation des francophones s’explique selon lui par une importance moindre accordée à l’enseignement supérieur alors que cela devrait faire partie « des richesses dont on a besoin économiquement et démocratiquement. Il y a un problème dans le sens où pourquoi les allophones et les anglophones ont davantage de baccalauréats que nous? Je crois qu’il y a un manque de valorisation. »
Le Canada aussi fait piètre figure
Parmi les pays de l’OCDE, le Canada se retrouve dans les derniers rangs pour ce qui est des formations doctorales et ce résultat serait encore pire si l’on excluait du calcul les étudiants internationaux qui reçoivent leur Ph.D. au pays.
« Quand on le compare à des pays équivalents dans le G20 eu égard à cela, eh bien! le Canada traîne la patte », souligne le sociologue.
Le Canada fait partie des pays du G7 qui ont réduit depuis 2010 leur soutien public accordé aux universités. Seuls le Royaume-Uni et l’Espagne font pire que lui pour ce qui est du financement des études supérieures.
En 2018, le Canada est le seul membre du G7 à enregistrer une baisse de la part de son PIB consacrée aux dépenses gouvernementales en recherche et développement, un coup dur pour les universités.
Les temps sont durs aussi pour les étudiants aux cycles supérieurs puisque les bourses qui leur sont octroyées par les organismes subventionnaires canadiens n’ont pas été bonifiées ni même indexées depuis une vingtaine d’années.
L’argent, le talon d’Achille
En 2010, on estimait le sous-financement des universités québécoises à 2 milliards $, un manque à gagner qui n’a pas cessé de s’alourdir depuis.
Il faut, soutient le professeur Maheu, donner aux institutions les moyens d’offrir des formations plus longues, mieux encadrées et mieux financées. Bref, que les fonds alloués par l’État soient à la hauteur de leurs missions d’enseignement et de recherche.
Un coup de barre s’impose, déclare le sociologue, pour mettre fin à « cette sous-performance notoire » des universités au chapitre de la diplomation, surtout du côté francophone. « Il y a, il faut bien le voir, la structure de financement de l’enseignement supérieur qui, au niveau du Québec, est déficiente eu égard à ce qui se passe ailleurs. On a moins de ressources que les universités ontariennes. Ça, je crois que ça joue. »
Des promesses
Les professions de foi en faveur de l’éducation se sont multipliées ces dernières années mais ne se sont pas traduites en argent sonnant.
En annonçant sa décision de hausser les droits de scolarité des étudiants provenant des autres provinces et de l’étranger, le gouvernement Legault a démontré qu’il préférait les solutions à courte vue plutôt que de s’attaquer au problème de sous-financement chronique qui affecte particulièrement les universités francophones.
Il semble bien qu’il faudra encore attendre avant de voir apparaître un véritable plan de redressement qui donnerait réalité à la promesse du premier ministre François Legault de faire de l’éducation une priorité.