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Depuis la fermeture d’Alcatraz en 1963, dans la baie de San Francisco, c’est le pénitencier américain le plus célèbre au monde. Il a même été surnommé l’« Alcatraz des Caraïbes ». Le 11 janvier 2002, quatre mois après les attentats-suicides contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, Guantánamo « accueillait » ses premiers détenus en combinaison orange.
Alcatraz, où « résida » Al Capone mort d’une crise cardiaque dans sa luxueuse villa de Miami en 1947, ferma ses portes après 29 années de service. Raison principale ? Coûts trop élevés. Avec ses miradors, ses fils de fer barbelés, ses 1850 militaires et civils, Guantánamo a un budget annuel de plus d’un demi-milliard de dollars pour garder … 39 prisonniers, dont 26 sont considérés comme trop dangereux pour être libérés. C’est la prison la plus chère au monde.
Il y a vingt ans, elle comptait près de 780 « pensionnaires », la plupart jamais formellement inculpés. Chacun coûte annuellement au contribuable américain près de 13 millions $, contre 78 000 $ pour un prisonnier d’un centre carcéral fédéral de haute sécurité, révélait le New York Times, le 20 février 2021, un mois après l’entrée de Joe Biden à la Maison-Blanche qui, comme Barack Obama, a promis de fermer « Gitmo ». Sans la moindre hésitation, ce dernier avait signé l’executive order numéro 13492.
C’était le 22 janvier 2009. Le « centre de détention » Guantánamo Bay, où neuf prisonniers sont morts, sept de suicide présumé, doit être fermé « le plus vite possible et pas plus tard que dans l’année qui vient », soulignait le décret. Et d’ajouter Obama : « L’histoire portera un jugement sévère sur cet aspect de notre lutte contre le terrorisme et sur ceux d’entre nous qui n’y mettront pas fin. »
Mais voilà, la chambre des représentants à majorité républicaine s’est opposée bec et ongles au décret du prix Nobel de la paix comme d’ailleurs, Donald Trump qui ne libéra qu’un seul détenu (un Saoudien) durant son mandat, 199 de moins que son prédécesseur.
Collines verdoyantes
Treize ans plus tard, le symbole de la « guerre » contre al-Qaïda et le terrorisme en général, s’étale toujours sur 117 km2 non loin des collines verdoyantes de la pointe sud-est de Cuba. Pour quelles raisons ?
Kenneth Roth, directeur de la Human Rights Watch, organisation nobélisée en 1997, avance cette hypothèse : « Guantánamo est toujours ouverte parce que la législation du Congrès (à laquelle Obama n’a jamais opposé son veto) interdit le transfert aux États-Unis même pour un procès et aucune administration n’a été disposée à libérer même les prisonniers toujours détenus sans inculpation ni procès. » (échange de courriels).
Pour Alli Jarrar d’Amnesty International (Londres) : « Les commissions militaires dans lesquelles certains des hommes sont jugés sont lentes et dysfonctionnelles ; l’administration [américaine] a été extrêmement lente à transférer les hommes qui ont été autorisés à être libérés ; et elle a été extrêmement lente à prendre des décisions concernant les « prisonniers pour toujours » restants qui n’ont pas encore été autorisés à être libérés ou inculpés d’un crime » (échange des courriels).
Et la perspective de les voir juger par des tribunaux civils est improbable. Le Pentagone construit d’ailleurs une salle d’audience pour tenir de nouveaux procès l’an prochain. Sans public, bien sûr.
Prix politique
En plus d’être un boulet financier, la prison militaire est un « trou noir juridique » : une douzaine de ses détenus ne peut être rapatriée vers le Yémen, en proie à une guerre civile depuis 2014, et la Somalie, un pays en crise perpétuelle. Les bons de sortie seraient prêts, mais ils n’ont pas de points de chute et pas question de les transférer aux États-Unis. Une majorité d’Américains s’y opposent d’autant que quatre prisonniers afghans libérés avant la chute de Kaboul en août dernier font aujourd’hui partie du gouvernement taliban.
« L’argument de droite selon lequel les détenus de Guantánamo représentent une grave menace pour la sécurité des États-Unis n’a plus beaucoup de crédibilité », insiste Kenneth Roth. De plus que faire de Khalid Sheikh Mohammed ? Le cerveau auto-proclamé du 11-Septembre n’est toujours pas jugé pour ses actes. Si la peine de mort lui pend au nez, il doit toujours être jugé par une commission militaire qui n’a émis que deux condamnations en 20 ans. Une commission accusée d’abus, notamment pour avoir placé sous écoutes les échanges entre les détenus et leurs avocats.
Les trois douzaines de « pensionnaires » de « Gitmo » en confinement dans leurs cellules avec deux heures de sortie par jour, sont en quelque sorte les prisonniers de la politique intérieure américaine. Obama avait d’ailleurs justifié le non-respect du délai d’un an qu’il s’était fixé pour fermer le centre de détention en invoquant le climat politique « difficile » dans lequel s’inscrivait « une question qui a suscité beaucoup de propos polémiques […] et effrayé les gens ».
Aujourd’hui, Alli Jarrar est optimiste : « Nous pensons qu’avec suffisamment de pression de la part du public et des autres États-nations, le président Biden finira par fermer Guantánamo, mais il doit mobiliser la volonté politique pour le faire le plus tôt possible. Alors que le coût humain de Guantanamo est inadmissible, le coût financier est insoutenable […] »
Michael Lehnert, général de division à la retraite du Corps des Marines, est plutôt pessimiste. « Jusqu’à ce que je voie des signes visibles que l’administration va faire quelque chose à ce sujet, je ne suis pas encouragé. S’il y a quelqu’un en charge de fermer Guantánamo, je n’ai parlé à personne qui sache qui il est », devait-il déclarer à l’Associated Press (dépêche du 9 janvier 2022).
C’est lui qui a supervisé la construction de « Gitmo » et en a été le premier commandement. Il partage aujourd’hui l’opinion d’experts indépendants qui enjoignent Biden de fermer la prison militaire, site de « violations incessantes des droits de l’homme ».
« Vingt années de détentions arbitraires sans procès, accompagnées de torture ou de mauvais traitements sont tout simplement inacceptables pour tout gouvernement, en particulier un gouvernement qui revendique la protection des droits humains », ont déclaré dans un communiqué cette douzaine d’experts indépendants mandatés par l’ONU, mais qui ne parlent pas en son nom (dépêche de l’Agence France-Presse, 9 janvier 2022).
Pour Kenneth Roth, il est temps que Biden crée une commission vérité pour examiner exactement ce qui s’est passé depuis l’ouverture de Guantánamo. Sa fermeture sera-t-elle suffisante pour tirer un trait sur les vingt ans de violation des droits de l’homme ? « Non ! », répond sans hésiter le directeur de la Human Rights Watch.
Parmi les derniers détenus, certains auraient été interpellés loin de tout champ de bataille et non sur le territoire d’un État en guerre avec les États-Unis. Un exemple ? Le Mauritanien Mohamedou Ould Slahi a été arrêté dans son pays en novembre 2001, transféré en Jordanie pendant huit mois, avant de faire son entrée à « Gitmo ». Torturé sans aucune accusation, Ould Slahi, qui a vécu deux mois à Montréal en 1999, décrit ses 14 ans de détention dans Les carnets de Guantánamo qui a inspiré le film The Mauritanian, sorti l’an dernier, avec Jodie Foster.
Le climat politique « difficile » évoqué par Obama pour expliquer l’existence de « Gitmo » n’a pas changé sous Biden qui espère fermer le centre de détention d’ici 2024. Mais le 46e locataire de la Maison Blanche est confronté aux divisions démocrates. Elles l’affaiblissent tous les jours un peu plus face aux républicains, grands favoris aux élections de mi-mandat en novembre.
Pendant ce temps, Alcatraz est devenu une destination touristique prisée dans la baie de San Francisco.
Il était une fois Omar Khadr …
Né à Toronto d’un père égyptien, membre influent d’al-Qaïda, et d’une mère palestinienne, il fut le seul mineur à être accusé d’avoir prétendument commis des crimes de guerre depuis la Seconde guerre mondiale. Incarcéré à 15 ans à Guantánamo en 2002 pour avoir tué en Afghanistan à l’aide d’une grenade le soldat-médecin américain Chris Speer, Omar Ahmed Sayid Khadr est libéré dix ans plus tard pour être transféré au Canada dans une prison sous haute sécurité.
Si l’ex-premier ministre Stephen Harper était opposé à sa libération, la Cour suprême du Canada devait statuer que sa détention constituait une infraction aux «principes de justice fondamentale» , ainsi qu’aux «normes canadiennes les plus élémentaires quant aux traitements à accorder aux suspects adolescents détenus».
Oma Khadr est libéré sous caution en mai 2015. Deux ans plus tard, Ottawa lui verse une indemnité de 10,5 millions $ pour la violation de ses droits constitutionnels par le Canada.
Il est marié à Muna Abougoush, une Albertaine ayant milité pour sa libération.