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Mahsa Amini morte le 16 septembre, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs à Téhéran qui jugeait inapproprié son port du voile.
Antoine Char
L’Iran est secoué par une contestation politique sans précédent. La jeunesse crie sa colère dans les rues des grandes villes. Le régime des mollahs ne se questionne guère et les Bassidj, ces miliciens de la Révolution, interpellent les manifestants à tour de bras. Une organisation paramilitaire formée de volontaires qui a joué un rôle important dans la répression des manifestations.
C’était en 2009 au lendemain de la réélection contestée du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). En 2018, la rue gronde encore. Cette fois, contre les difficultés économiques et la « mollacratie ».
À tous les coups, l’appareil répressif iranien a écrasé la contestation. Le même scénario va-t-il se confirmer avec la colère de la rue qui ne faiblit pas depuis le décès le 16 septembre de Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs qui jugeait inapproprié son port du voile ? La révolte actuelle deviendra-t-elle révolution ?
« Tous les scénarios sont possibles y compris un changement radical au sein du régime », explique lors d’une entrevue téléphonique Hanieh Ziaei chercheuse associée à l’observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. Mais, ajoute-t-elle aussitôt, la République islamique « va aller jusqu’au bout pour protéger ses intérêts ».
Elle a, jusqu’à présent, montré une résilience inoxydable.
Zan, Zendegi, Azadi
Pour l’heure le soulèvement populaire aux chants Barayé (https://www.youtube.com/watch?v=TPyHuCZzsVA) et aux de cris de « Zan, Zendegi, Azadi » (femme, vie, liberté) n’ébranle aucunement le régime fermement convaincu qu’il s’essoufflera comme tous les autres.
« La force du mouvement de la résistance va être mesurée en fonction de sa durée », note Hanieh Ziaei.
Oui, mais à quoi peut bien servir la ténacité sans leadership? Sans véritable (s) leader (s), charismatique (s) ou non, les contestations ont beau être inédites elles risquent de finir comme les précédentes : en queue de poisson.
Saeid Golkar, professeur associé de science politique à l’Université du Tennessee à Chattanooga est plutôt optimiste.
« Nous vivons dans un monde de réseaux sociaux, donc au lieu d’un réseau hiérarchique avec un leader au sommet, nous avons un réseau horizontal avec de nombreux leaders locaux. » (échange de courriels).
Ce qui inquiète Hanieh Ziaei c’est l’absence d’unité. « La société iranienne est très divisée politiquement. Nous ne sommes pas une communauté solidaire et il n’y a jamais eu d’alternative à la république islamique. »
Dit autrement, si bon nombre d’Iraniens savent ce qu’ils ne veulent pas, plus nombreux encore ne savent pas ce qu’ils veulent.
Résultat ? Comme en Irak ou en Libye, un changement de régime, peut être suivi par un indescriptible chaos, un désert politique où les différentes oppositions peinent à parler à l’unisson.
Quant aux condamnations internationales si elle fusent de partout, la République islamique fondée en 1979 après avoir renversé la monarchie pro-occidentale du chah Mohammad Reza Pahlavi, estime avoir le gros bout du bâton avec la restauration ou non de l’accord de 2015 de son programme nucléaire.
Dans tous les cas, avec la guerre en Ukraine, un changement de régime à Téhéran n’est pas la priorité de l’Occident. Alors ?
Faudra-t-il attendre de voir des fissures au sein du régime ? Attendre la mort de son leader, l’ayatollah Ali Khamenei qui à 83 ans souffre d’un cancer de la prostate en phase terminale ?
« Tout est hypothétique ! »
« Il y aura alors un vide politique et une division au sein de l’élite […] cela permettra de défier fondamentalement le gouvernement », croit Saeid Golkar.
« Tout est hypothétique ! », indique Hanieh Ziaei. En effet, et si le mur de la peur semble être tombé auprès la jeunesse (les moins de 30 ans représentent 55 % des 84 millions d’Iraniens), la République islamique a traversé bon nombre de crises dont la guerre avec l’Irak de Saddam Hussein qui a duré huit ans dans les années 80 faisant au moins un million de morts entre les deux « frères ennemis » .
Saeid Golkar estime que la crise actuelle, qui s’inscrit aussi dans un contexte économique difficile, est la plus grave de ces 43 dernières années.
« Ces manifestations sont différentes des précédentes, principalement parce qu’elles sont très répandues et font converger de nombreux groupes sociaux et politiques avec des griefs différents. Les femmes sont le moteur de cette contestation, en particulier la jeune génération iranienne. »
Hanieh Ziaei ajoute : « La génération actuelle est décomplexée et elle a le soutien de ses parents et grand parents. Elle n’a plus peur. »
Réseaux sociaux, traînée de poudre
Cette génération Z (née entre 1997 et 2012) a une redoutable « arme » : les réseaux sociaux qui lui permettent de contourner la censure. Tiktok, Instagram. Twitter… images et messages se répandent comme une traînée de poudre dans le monde, malgré la répression contre ces femmes qui montent au front et pour qui le hijab doit être un choix et non une obligation.
Elles ont beau former plus de 40 % des universitaires, sur le marché du travail elles ne dépassent pas les 15 %. De manière générale, leur « ségrégation » économique, politique et au sein de la société est une implacable réalité.
Depuis deux mois, Hanieh Ziaei et Saeid Golkar vivent au rythme du pays qu’ils ont quitté et rappellent que le pouvoir qu’ils ont fui ne reculera devant rien. À l’instar de leurs « frères » et « sœurs » membres de la diaspora ou restés en Iran, ils se posent une seule question : jusqu’à quand ?