À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Société, Médias

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Jean Dussault

Le logo de Radio-Canada sur un de ses cars de reportage.

Jean Dussault 

La radio de Radio-Canada fait trop souvent mal aux oreilles.

Ça la fout mal puisque c’est par là qu’on l’écoute.

Un des plus sanglants massacre de la langue française à la radio publique a déjà été rapporté par l’auteur de ces lignes (1) : une chroniqueure/chroniqueuse culturelle avait relaté le congédiement du bassiste d’un groupe populaire. Le pauvre type avait été « kické out de son band ».

Ladite chronicrisse (?) a fait école : quasi chaque samedi, l’animatrice de Tout peut arriver, dont ce radiophile  admire la connaissance immense de la culture, de la langue et de l’écriture françaises, nous vante le «house band» de son « talk show ». (2)

La responsabilité sociale

Il n’est pas nécessaire d’avoir été en ondes pour comprendre, et accepter, l’erreur, le lapsus qui guettent, et attrapent, toutes celles et tous ceux qui travaillent en direct.

Le but ici n’est pas d’imiter le sarcastique bêtisier du chroniqueur de La journée est encore jeune.

Mais il y a une fichue différence entre trébucher et marcher tout croche.

Sans être une école de français, la radio publique est, c’est de même, un véhicule public du français.

La radio française de France peut bien « argoter » en « engfranc » parce que son auditoire trouve que c’est « in » et « cute » d’émailler la lingua franca  d’emprunts à et de copies de l’anglais.

La prétention là-bas s’avère une démission ici.

La radio publique d’ici, comme la télé publique, d’ailleurs, est une scène où se tiennent les débats, une salle où sont présentés les spectacles, une rue où circulent les idées, un parc où se croisent les opinions, un restaurant où on jase. En français, en français correct.

Et c’est surtout un phare, un radar, un sonar dans le brouillard opprimant et le bruit infernal de tout ce qui déboule dans les oreilles de tout le monde.

Pour servir, pour être utile, la radio publique doit parler clair. 

La%?&* problématique

L’auditeur, jadis locuteur, hurle en privé à chaque « problématique » qui remplace à tort un problème, à chaque « je souhaite vous partager » ceci ou cela, à chaque « à cause que », à chaque confusion entre «à cause de» et « grâce à »,  à chaque incapacité de faire la différence entre un risque et une chance.

À chaque « il faut adresser cette question ».

À chaque « pareil comme ».

Dont que

Les opinions varient sur la pertinence de larguer le « dont » jugé ancien, lourd, voire pénible. Certes, une langue évolue, elle doit évoluer.  Mais « le sujet que je vous parle » dépasse la saine adaptation à la modernité. L’air du temps ne justifie pas plus « la femme qu’il sort avec ». Ni, diantre, « la raison que j’ai changé d’idée ». Oui, c’est compréhensible (comprenable ?), mais, en plus d’être désagréable, ça « enseigne » que c’est ainsi que les choses se disent. Et ça distrait l’auditrice du propos par ailleurs peut-être absolument intelligent.

Or, le but de la communication est de se faire comprendre. 

Jadis, naguère

Un conseiller linguistique de Radio-Canada rabroua un jour un fantassin de l’information : « patate chaude » est inacceptable parce que c’est une traduction intégrale de l’anglais « hot potato ». Soit. Pis ?

« Situation difficile » sonnait mieux à l’oreille du puriste, par ailleurs bien intentionné.

Le pas du tout repenti avait répondu que, à la radio itou, les images ont leur place et que « jongler avec une situation difficile » n’illustrait en rien l’embarras de quelqu’un pogné avec une patate chaude dans les mains.

Ainsi se termina l’absence de débat. Presque.

Au party de bureau, oops, à la réunion sociale du Noël suivant, le fautif reçut de deux collègues/amies un chandail dont le devant arborait « situation » et où « difficile » était inscrit sur le dos.

Il y a donc au moins quarante ans que des journalistes de Radio-Canada savent qu’il ne faut pas virer fou avec les emprunts linguistiques au géant anglophone qui nous entoure.

Mais, y a des limites trop souvent franchies.

Une cenne, c’est une cenne 

Poisson d’avril ?, l’auditoire de la radio publique a appris que la hausse de la taxe carbone du gouvernement canadien allait faire augmenter le litre d’essence de « quelques sous ». Cette formulation archaïque n’a pas été causée par l’urgence, le stress, l’imprévu, la surprise; ladite augmentation était inscrite dans la loi depuis des années.

Pfiou, l’erreur a été corrigée au bulletin suivant; en fait, la nouvelle a été précisée une heure plus tard. L’augmentation n’était pas de «quelques sous», mais bien de « trois sous ».

La niaiserie n’est pas dramatique; elle n’en est pas moins à brailler.

La proposition subordonnée

« Étant un site touristique extraordinaire, je vais vous parler des Chutes Niagara. »

Ouf ! Cette aberration syntaxique n’a pas été entendue en ondes. Quoique l’auteur de ce texte n’écoute pas tout le temps la radio.

Mais tant et tant, trop et trop de petits cousins et de petites nièces de cette agression langagière sautent à l’oreille du par ailleurs serein auditeur qui défraie la radio publique.

Le principe est simple : la proposition subordonnée et la proposition principale doivent avoir le même sujet.

« Pris à la gorge, le budget du ministre est largement déficitaire» ne réussirait pas l’examen de clarté. Pas plus que «parce qu’il est en déficit, le ministre a décidé d’optimiser le budget. »  (3)

Donc, donc

Il ne s’agit pas de pinailler. Après tout, la vieille morale a mis en garde les pointilleux du « c’était tellement mieux avant » : « que celui qui n’a pas péché lance la première pierre».

Blâmer le système d’éducation pour la piètre performance linguistique des Québécois est sans doute en partie justifiable, mais certainement pas dans le cas de la radio publique où la variété des accents entendus disculpe nos écoles, nos directrices, nos enseignants.

L’honnêteté oblige à reconnaître que tout va trop vite, y inclus pour celles et ceux qui ont, encore, un peu, le temps de penser avant de pondre.

Reste que la responsabilité des propos émis incombe à ceux qui les émettent.

Reste surtout que le devoir de réduire les offenses à la langue, à l’oreille et à la compréhension appartient, ben, aux «boss».

La patronne d’un journal écrit voudra, devra s’assurer que «ses» journalistes savent écrire.

Le patron d’une radio a une responsabilité équivalente.

(1) Lettre aux quotidiens québécois. Jadis…

(2) Marie-Louise Arsenault est la seule artisane identifiée dans ce texte. Ç’est ça, être un modèle.

(3) Les termes exacts ont été modifiés, mais ils reflètent l’échafaudage bancal présenté en ondes.

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