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La Coalition avenir Québec a remporté une éclatante victoire dans la circonscription de Marie-Victorin, un bastion du Parti québécois depuis quarante ans. C’est Shirley Dorismond, une ancienne syndicaliste du milieu de la santé qui a été élue avec 35 % des voix et une majorité de près de 800 voix sur son adversaire péquiste.
Louiselle Lévesque
La CAQ n’avait rien négligé pour réaliser cet exploit en pleine tourmente sur la tragédie du CHSLD Herron où 47 résidents sont morts lors de la première vague de Covid-19 au printemps 2020. Ce gain dont le premier ministre François Legault n’était pas peu fier vient conforter le gouvernement dans ses grandes orientations et indiquer que l’électorat est prêt à tourner la page sur les erreurs qui ont pu être commises dans la gestion de la pandémie. Le message est clair : il n’y a pas d’effet Herron.
À moins de six mois du grand rendez-vous électoral, la défaite est amère pour le Parti québécois qui se retrouve évincé de la grande région métropolitaine. La descente aux enfers se poursuit donc même si son candidat Pierre Nantel a fait bonne figure. Le chef, Paul St-Pierre Plamondon, a présenté son parti comme le seul capable « de chauffer la CAQ » et d’offrir une solution de rechange. Mais l’avenir s’annonce sombre et semé d’embuches devant la forte popularité de la CAQ dans les circonscriptions francophones comme Marie-Victorin.
Au-delà de la crise Covid
Difficile de juger de la performance d’un gouvernement qui a été aux prises avec une crise sanitaire sans précédent pendant plus de la moitié de son mandat. Difficile aussi de faire la part entre ce qui relève d’un manque de volonté politique et ce qui peut être mis sur le compte des circonstances exceptionnelles que le Québec a vécues. Mais au-delà des forces et des faiblesses mises en lumière par la pandémie, quel bilan peut-on dresser du premier gouvernement de la Coalition avenir Québec sur quelques grands enjeux ?
Un mandat confisqué
Beaucoup de choses sont passées sous le radar mais le gouvernement a quand même réussi à travailler estime le professeur de science politique à l’Université Laval, Éric Montigny. « Malgré le fait que ce mandat lui a été confisqué par la pandémie c’est un gouvernement qui a maintenu le cap sur ses engagements électoraux » (entretien téléphonique).
Selon lui, l’élection en 2018 du premier gouvernement à ne pas être issu du Parti québécois ou du Parti libéral en près de 50 ans annonçait un réalignement des forces politiques au Québec. « Que cette transition se soit faite de façon articulée, c’est déjà en soi un accomplissement majeur, c’est peu banal. » Il ajoute qu’avec l’arrivée au pouvoir de la CAQ « l’éclatement de l’axe oui-non à l’indépendance s’est matérialisé. Désormais, les politiques publiques sont débattues sur l’axe gauche-droite ».
Un nouveau paradigme ?
En dépit du changement d’approche que constate Éric Montigny, plusieurs des actions du gouvernement de la CAQ sont restées collées aux questions identitaires. « Redonner de la fierté aux Québécois » a été la trame de fond du discours de François Legault dans l’espace public tout comme la défense des compétences du Québec en utilisant au maximum les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Cela s’est manifesté à son avis dans la Loi sur la laïcité de l’État ainsi que dans le projet de loi 96 modifiant la Charte de la langue française qui veut faire reconnaitre le Québec comme nation et le français comme langue commune dans la Constitution canadienne.
Québec a aussi cherché à obtenir plus de pouvoirs en immigration mais les négociations avec Ottawa se sont révélées ardues tout comme celles visant à obtenir une hausse des transferts fédéraux en santé. Une avancée toutefois, en vertu d’une entente conclue avec Ottawa, le Québec a désormais son mot à dire dans le processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada provenant de sa juridiction.
Geneviève Tellier, professeure d’études politiques à l’Université d’Ottawa, croit que ce réalignement est dû il est vrai à l’élection de la CAQ mais aussi à la présence plus forte de Québec solidaire sur l’échiquier politique. Le message du gouvernement consiste à dire que « le référendum c’est fini. Ça ne nous empêche pas de défendre l’identité québécoise mais au sein de la fédération canadienne » (entretien téléphonique).
Une enquête publique réclamée
La pandémie a braqué les projecteurs sur l’extrême fragilité du réseau de la santé, la pénurie de personnel infirmier dans les hôpitaux et de préposés aux bénéficiaires dans les résidences pour aînés. L’hécatombe dans les CHSLD au printemps 2020, un réseau négligé depuis nombre d’années, a démontré l’incapacité des autorités à prendre bien soin des plus vulnérables.
Un climat de suspicion s’est installé à la suite de faits troublants et de témoignages contradictoires sur la chronologie des événements au CHSLD Herron. On peut parier que ces doutes subsisteront tant que la lumière n’aura pas été faite, tant qu’on ne saura pas qui des gestionnaires de l’établissement ou du CIUSSS ou des ministres Danielle McCann et Marguerite Blais ou encore de la cellule de crise au cabinet du premier ministre est responsable de ne pas avoir entendu les signaux de détresse.
Le rapport de la coroner Géhane Kamel sur les 47 morts dans ce CHSLD privé doit être déposé d’ici l’été. Ses conclusions pourraient donner aux partis d’opposition de nouvelles munitions pour réclamer une enquête publique indépendante. « Ils ne vont pas lâcher le morceau. Ça ne se calmera pas », estime Geneviève Tellier.
Mais elle ne croit pas que l’élection portera sur l’enjeu de la gestion de la pandémie et les résultats de l’élection dans Marie-Victorin semblent lui donner raison. « Le passé c’est le passé. » C’est plutôt sur la capacité de la CAQ à réellement changer les choses que les électeurs vont se prononcer le 3 octobre prochain, selon elle, d’autant plus que les ministres McCann et Blais ne solliciteront pas de nouveau mandat.
Contrer le désert médical
La pression est donc davantage sur le ministre de la Santé Christian Dubé avec son plan qui se décline en 50 propositions et qui doit à terme améliorer l’accès aux soins. Si les électeurs pensent que cette réforme va venir corriger les graves lacunes du système, le gouvernement va pouvoir s’en sortir, prédit Geneviève Tellier. Par contre « si on n’a pas l’impression que la réforme Dubé s’attaque au cœur du problème qui est vraiment les CHSLD alors oui ça pourrait être dommageable pour le gouvernement ».
La promesse de trouver un médecin de famille aux centaines de milliers de Québécois orphelins a été abandonnée. Et à tous ceux qui n’ont d’autre choix que d’attendre à l’urgence, quand elle n’est pas fermée faute de personnel, il propose un guichet d’accès première ligne qui permettra aux patients de voir un « professionnel de la santé » dans un délai raisonnable.
Une solution qui semble prometteuse selon l’expérience vécue au Bas-Saint-Laurent mais qui comporte de sérieux inconvénients puisqu’elle ne permet pas d’assurer un suivi adéquat aux personnes souffrant de maladies chroniques. « Est-ce que ces changements sont cosmétiques ou vont-ils faire une différence et augmenter l’accès aux services de santé? » est la grande question que soulève Geneviève Tellier.
Une approche timide
Sur le plan environnemental, le bilan est plutôt mitigé. Le ministre Benoît Charrette pèche par excès de timidité dans ses ambitions malgré l’alarme sonnée par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Le ministre ne voit pas la nécessité d’augmenter ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) estimant que le Québec ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan de la pollution atmosphérique. « Ça changera peu de choses, dit-il, si les États-Unis, la Chine, le Brésil et l’Inde ne modifient pas leur approche. »
Le premier ministre abonde dans ce sens se targuant de présenter le meilleur bilan des soixante États et provinces en Amérique du Nord. Mais François Legault oublie de dire que la moyenne annuelle des émissions de GES par habitant au Québec est deux fois plus élevée qu’en Europe ou en Chine.
Il y a donc place à amélioration malgré la situation avantageuse du Québec grâce à l’énergie hydro-électrique. Et contre toute attente, le gouvernement envisage de hausser les seuils de concentration de nickel dans l’air pour favoriser l’essor de cette industrie. Cette éventualité a fait bondir les dix-huit directions régionales de santé publique tout comme le maire de Québec, aux prises avec un grave problème causé par ce polluant dans le secteur de Limoilou.
Tout compte fait, le geste le plus spectaculaire a sans doute été l’adoption de la loi pour mettre fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire québécois, des activités qui étaient pratiquement à l’arrêt depuis plusieurs années. Et ces dernières semaines, plusieurs annonces liées au développement du transport collectif à Montréal et à Québec contribuent à redorer l’image du gouvernement écorchée par le projet de tunnels entre Lévis et la capitale nationale qui comporte l’ajout d’une autoroute.
Une promesse brisée
Le gouvernement de la CAQ n’a pas fait mieux que ses prédécesseurs en reniant sa promesse de réformer le mode de scrutin uninominal à un tour pour y introduire une forme de proportionnelle. Et ce, malgré la signature par le chef de la CAQ d’une entente avec le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti vert du Québec quelques mois avant la campagne électorale de 2018. François Legault s’était alors engagé formellement à procéder à une telle réforme.
Un gouvernement téflon ?
Les partis d’opposition ont talonné le gouvernement Legault au sujet de son manque de transparence dans la gestion de la pandémie, en s’appuyant notamment sur les 17 milliards de contrats accordés de gré à gré. En raison de l’imposition de l’état d’urgence sanitaire, ces contrats ont échappé au contrôle de l’Assemblée nationale.
Il y a aussi la trop grande proximité entre le gouvernement et la Direction de la santé publique qui a essuyé de nombreuses critiques et alimenté les doutes quant au bien-fondé de certaines mesures sanitaires. Et les blâmes de la commissaire à l’éthique à l’endroit du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, pour des entorses aux règles sur les conflits d’intérêt. Mais l’expérience des élections passées montre que ces questions comptent pour peu au moment de déposer son bulletin dans l’urne.