À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Québec

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Jean Dussault

Jean Dussault 

Québec veut amorcer « l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux ».

Le porte-parole autochtone entend une insulte.

Le débat est mal barré.

En septembre, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec  et du Labrador, Ghislain Picard, a boycotté les audiences de la commission parlementaire sur le projet de loi 32 déposé à la fin de la dernière session.

En trois pages, le PL 32 est, très, modeste. « Un premier pas », selon le ministre responsable.

Picard y voit pour sa part un gros sabot : « Encore une fois, le gouvernement du Québec s’arroge le pouvoir de légiférer sur un sujet qui relève de la compétence de nos gouvernements de Premières Nations».

À première vue, à deuxième vue et à troisième vue, la gestion du réseau de la santé et des services sociaux relève de la compétence du gouvernement de Québec.

Le pouvoir

Dans sa lettre publiée dans La Presse+ du 12 septembre dernier, M. Picard voit grand, et haut : « Comme chef de l’APNQL, je représente les chefs de 43 gouvernements possédant des pouvoirs tout aussi importants que ceux des gouvernements fédéral et provinciaux .»

Les quarante-trois chefs en question seront étonnés de se savoir si puissants. Ou ils devront être congédiés sur-le-champ pour ne pas s’être servi suffisamment ou intelligemment de leurs « pouvoirs tout aussi importants que ceux des gouvernements fédéral et provinciaux ».

En poste depuis plus de trente ans (1992), M. Picard est présumé savoir ce dont il parle.

Dans son coin

Parce que le gouvernement du Québec ne reconnaît pas le statut égal des 43 gouvernements des dix Premières Nations, M. Picard refuse de discuter avec lui.

Pourtant, d’autres chefs que lui ont compris que les absents ont toujours tort et qu’il  est puéril de bouder dans son coin. Ils sont donc allés devant la commission parlementaire dire tout haut tout le mal qu’ils pensent du projet du ministre Lafrenière.

Ces chefs savent que les seules reconnaissances qu’obtiendront les Autochtones, les seuls pouvoirs légitimes qu’ils grappilleront ne peuvent venir que de ceux qui les détiennent : le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces.

C’est de même.

L’exemple des TNOY

Il y a plus d’un demi-siècle, des leaders autochtones des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ont réalisé que leurs populations allaient finir par achever d’être décimées par l’exploitation outrancière des richesses enterrées sous leurs pieds depuis des siècles.

Les nobles et historiques conseils des vieux, officiellement appelés des sages, pourraient bien continuer jusqu’à ce que le bâton de la parole lui-même s’endorme sur les palabres : ça faisait des souvenirs à raconter.

Sans plus.

Des plus jeunes, quelques-uns éduqués dans des écoles « du sud », lire « blanches », ont avancé et soutenu que, en gros, jaser en circuit fermé ne suffisait pas, ne servait à rien : il fallait parler aux patrons parce ce que ce sont eux qui décident.

Il y a les « boss » des compagnies parmi ces décideurs ; il y a aussi les dirigeants politiques. Beaucoup pensaient, beaucoup pensent encore que les deuxièmes sont à la solde des premiers, mais il est clair que la question du partage des pouvoirs législatifs et réglementaires relève des Capitales et non pas du capital.

La longue marche

Les débats ont été houleux, parfois hargneux ; les discussions ont été difficiles, souvent pénibles. Conclusion consensuelle : seule la fédération des revendications peut apporter une issue générale globalement positive.

Bien sûr, tel groupe peut bloquer telle voie ferrée, un autre peut contrecarrer tel projet minier, un troisième peut arrêter tel développement.

Or, la folklorique courtepointe ne suffit pas : c’est de pouvoir dont il est question. Et les discussions sur le pouvoir ne peuvent avoir lieu qu’avec ceux qui le détiennent.

Des leaders autochtones aussi radicaux que réalistes, ou le contraire, ont choisi de se battre sur le champ de bataille politique plutôt que de se raconter des histoires.

Et de continuer à raconter des histoires de défaites à leurs enfants.

Onzième mandat

En janvier 2022, M. Picard a été réélu pour un onzième mandat à la tête de l’APNQL par 26 voix contre neuf (Huit chefs n’ont pas voté). À l’émission 24/60 de Radio-Canada, il avait dit vouloir «créer des alliances avec la population québécoise».

Ce sera chouette, ce serait chouette de voir de franches poignées de main ou des auto-portraits souriants avec untel ou unetelle porte-parole d’une fraction ou d’une faction du peuple québécois. Or, la discussion sur le partage des pouvoirs ne se fera pas sur des tribunes de chaleureuse camaraderie, mais dans l’antre du pouvoir, c’est-à-dire à l’Assemblée nationale.

La représentativité

Que ça plaise ou pas à M. Picard, ou à quiconque d’ailleurs, le gouvernement de Québec est le gouvernement du Québec. C’est lui qui décide, c’est lui qui consulte, ou pas, et c’est lui qui choisit s’il écoute les consultés.

Le système parlementaire québécois manque grandement de subtilité, mais il ne manque pas de clarté : le Premier ministre est le patron.

C’est, et comment, plus compliqué chez les dix nations autochtones au Québec. D’abord parce qu’elles n’en forment pas qu’une (c’est l’Assemblée des Premières nations) et, ensuite parce qu’elles ont toutes plus d’un gouvernement.

Dans les faits, les 43 gouvernements autochtones dont M. Picard se dit le représentant sont 43 communautés distinctes que d’aucuns appelleront des villages.

Les maires des municipalités québécoises passent une partie de leur temps et énergie à réclamer des pouvoirs, aide et argent de Québec. Ils seront eux aussi étonnés d’apprendre que 43 édiles autochtones ont autant de pouvoirs que les gouvernements fédéral et provinciaux. Ils ne seront sans doute pas les premiers à joindre la parade d’alliances que M. Picard veut «créer…avec la population québécoise».

La fronde

Picard a trouvé que les propositions gouvernementales en matière de «sécurisation culturelle» sont trop minces, qu’elles n’englobent pas assez.

Soit.

En 2020, une semaine après la mort d’une femme, l’atikamekw Joyce Eshaquan, à l’hôpital de Joliette, il avait annulé une rencontre avec le premier ministre parce que « je ne peux pas me présenter dans une rencontre avec un ordre du jour qui n’est pas, dans les circonstances, le plus urgent ».

Soit-bis.

La fine bouche

L’ambition légitime d’avoir sa place à table exige de s’y asseoir même quand le menu n’est pas tentant.

À preuve, des élus indépendantistes québécois ont mangé à passablement de râteliers fédéraux  depuis un demi-siècle.

Et pendant que M. Picard tirait la langue, le leader indépendantiste catalan, Carles Puigdemont, mordait la sienne et discutait avec le gouvernement espagnol pour en tirer des concessions.

Tous les peuples qui se sont battus et qui se bâtent pour la légitime reconnaissance l’ont eu dur; le chemin est parsemé de doutes, de rejets, de refus, d’échecs décourageants.

C’est le prix à payer pour la dignité.

Ceux qui lésinent vont perdre.

Pire, celles et ceux qui comptent sur eux vont faire les frais de la défaite.

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