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Il est déjà trop tard. L’actuelle pandémie est en train de tuer dans l’oeuf le grand rêve de l’ONU d’éradiquer la faim sur la planète d’ici 2030. Au moins 800 millions de personnes dans le monde ont le ventre vide ou mal rempli, c’est près de 20 % de plus qu’au début de la Covid-19 et des dizaines de milliers meurent chaque jour des retombées économiques et sociales du virus.
Pour frapper l’imagination, Oxfam nous rappelle ceci : si aucune mesure n’est prise onze personnes pourraient mourir de faim et de malnutrition chaque minute. La Covid-19, en tue environ sept toutes les 60 secondes. C’est bien connu, les conséquences indirectes de toutes crises sanitaires font plus de victimes que la maladie elle-même.
L’ONG britannique, parle déjà du « virus de la faim » et rappelle, dans son dernier rapport, que la pandémie « attise les braises d’une crise alimentaire déjà grandissante ». Et, pour sensibiliser les coeurs les plus endurcis, elle donne la parole à Kadidia Diallo, une productrice de lait au Burkina Faso, où deux millions de personnes seraient menacées par la famine.
Que dit-elle ? « La Covid-19 nous fait beaucoup de mal. J’ai toutes les peines du monde à nourrir mes enfants. Nos seuls revenus proviennent de la vente de notre lait. Avec la fermeture des marchés, nous ne pouvons plus en vendre. Si nous ne vendons pas de lait, nous ne mangeons pas. »
L’équation est « simple » : à cause du virus, tous les Diallo du tiers-monde risquent de passer de la pauvreté à la pénurie et de la pénurie à la famine.
Trois épicentres
Bien sûr, le virus n’explique pas à lui seul la hausse de la faim dans le monde. Les guerres, les sécheresses et les changements climatiques en sont les principaux épicentres. L’Afghanistan, réunit ces trois « séismes ». Il rejoindra bientôt le Yémen, la Somalie, le Soudan du Sud et le nord du Nigeria sur la liste des pays dévorés par la famine.
Certes, l’ONU n’est pas aussi catégorique. S’il y a plutôt un risque de famine « imminent », ce n’est pas encore écrit dans le ciel. Jean Ziegler, auteur notamment de Destruction massive. Géopolitique de la faim (Le Seuil, 2011) n’a pas de réponse catégorique. « Personne ne sait ce qui attend l’Afghanistan », dit-il dans un entretien téléphonique. Dans tous les cas, « la faim est un massacre quotidien » et la mort de 10 000 enfants tous les jours « un assassinat ».
L’organisation onusienne et l’ex-rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, ont tous les deux raisons. Le pire n’est pas certain pour l’Afghanistan, de nouveau sous le giron des talibans.
Mais lorsque la volonté politique de la communauté internationale n’est pas au rendez-vous et que les phares médiatiques sont éteints, comment aider un pays où 35 % de ses 38 millions d’habitants souffrent déjà d’insécurité alimentaire ? Comment venir au secours d’un pays ayant connu 40 ans de guerres et où la Covid-19 progresse si vite que les lits d’hôpitaux manquent déjà ?
Dans tous les cas, la reprise de l’aide internationale, dont le montant représentait plus de 40 % du PIB afghan l’an dernier, ne devrait pas survenir avant la reconnaissance du nouveau régime par la communauté internationale. Ce n’est pas pour demain.
De manière générale, avec la Covid-19, la dette des pays riches est montée en flèche et soucieux de relancer au plus vite leur économie, ils seront moins « généreux » à aider les pays pauvres, comme le montre déjà leurs « dons » au compte-gouttes de vaccins.
Questions
Les famines d’aujourd’hui ne marquent plus les mémoires comme celles du siècle dernier. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elles tuent moins que les guerres. Surtout, à cause de l’indifférence glacée du Nord à l’égard du Sud. Elle s’accentue avec la pandémie et ne disparaîtra pas après.
À partir de quand parle-t-on de « famine »? Quand 20 % des ménages n’arrivent plus à se nourrir, que le taux de malnutrition dépasse les 30 % et que les décès se multiplient. Et, lorsque la famine est déclarée, il est trop tard.
Pourquoi finit-on par venir à bout des pandémies, mais jamais de la famine ?
Bruno Parmentier, ingénieur et économiste français, auteur de Faim Zéro (La Découverte, 2014) a ces mots : « Je dirais que les pandémies sont des phénomènes plus ou moins naturels, et que tous les hommes sans exception ont intérêt à ce qu’elles s’arrêtent. Mais la faim est maintenant une pure construction de l’homme, et très objectivement beaucoup de gens [ banquiers, armateurs, chefs d’entrepris, hommes d’affaires…] ont intérêt à ce qu’elle continue… » ( échange de courriels ).
Peu importe que ces « gens » se nourrissent ou non de la faim, les affamés n’ont jamais été aussi nombreux. Ils vont l’être encore plus avec la Covid-19. Tout cela dans une partie du monde où la nourriture n’a jamais été aussi abondante.
S’il n’est pas trop tard, pour trouver une fois pour toute la recette contre la famine dans le monde, il est minuit moins cinq à l’horloge de la Faim Zéro 2030 de l’ONU.