Partagez cet article
Rudy Le Cours
Les bornes de recharge rapide du réseau RechargeÉco sont installées dans les stationnements de plusieurs supermarchés IGA.
Les ventes de véhicules électriques s’accélèrent, tout comme la prospection des minéraux stratégiques, les investissements pour construire des usines de composantes pour batteries et moteurs, pour déployer des parcs d’éoliennes et de panneaux solaires afin de les alimenter. Il faut aussi stimuler la recherche et le développement de technologies toujours plus performantes. Dans cette course mondiale, le Québec dispose d’une batterie d’atouts.
Rudy Le Cours
Des véhicules électriques, les VE, on en voit un peu partout désormais. Au 31 décembre dernier, on en dénombrait 170 592 au Québec (1). Il y en aurait plus encore, si les concessionnaires en recevaient davantage des fabricants et si les bornes publiques de recharge dans les quartiers densément peuplés se multipliaient plus vite (2).
En 2021, le Québec s’est classé bon premier pour le nombre d’immatriculations de VE neufs, selon Statistique Canada avec une part de 43 %, contre 28 % en Colombie-Britannique et 23 % en Ontario (3). Tout indique que cette avance s’est maintenue, en 2022.
À l’échelle mondiale, les ventes progressent aussi. À hauteur de 7,8 millions d’unités, elles représentent un bond de 68 % sur 2021. Sans surprise, c’est la Chine qui arrive première avec une part mondiale de 19 %, suivie de l’Europe avec 11 %. (4). C’est toutefois en Norvège et en Islande où les VE représentent la plus grande part du parc de véhicules, à hauteur de 86 et 72 pour cent, loin devant la Chine à 16 %.
La Chine reste toutefois bonne première pour le nombre de gros camions et de véhicules de transport en commun mus à l’électricité.
Une tendance lourde
Il ne s’agit pas là d’un engouement passager, mais d’une voie rapide et assez facile pour décarboner l’activité humaine puisqu’elle n’exige pas, ou si peu, de changement comportemental.
S’il est vrai que brûler du charbon pour alimenter les batteries d’un véhicule semble absurde, la réalité est différente.
L’Agence américaine de l’environnement a calculé qu’une voiture électrique rechargée au Missouri (où la production électrique repose avant tout sur le charbon) émet en moyenne 247 g de CO2 par mile contre 381 g en moyenne pour une voiture à essence. Cela confirme une autre étude menée en 2019 par l’agence Bloomberg (5).
Bien sûr, le recours accru au transport en commun électrifié paraît une meilleure solution, mais cela ne répond pas aux besoins de déplacements sur des territoires peu densifiés. Et puis, le chemin de fer, c’est cher à construire alors que les route sont déjà là.
«La question à se poser, c’est quelle est la meilleure solution par région» résume Steen Schougaard, professeur de chimie à l’UQAM dont les recherches portent sur les batteries.
M. Schougaard voit un avantage au véhicule électrique individuel: sa capacité de stockage de l’énergie produite par le vent et le soleil qu’on ne peut accumuler autrement, à la différence des centrales hydroélectriques, nucléaires ou thermiques dont on peut contrôler la puissance.
La carte maîtresse du Québec
Si tous les pays du monde prennent le virage électrique et se disputent les parts d’un marché en pleine mutation, tous ne disposent pas des mêmes avantages. Ainsi, est-il futile de miser sur de nouvelles usines d’assemblage quand on peut reconvertir les existantes à moindres coûts.
Pari risqué aussi que de miser sur la construction de moteurs, si on dispose peu ou prou de cuivre, de nickel et de terres rares. Pour un moteur à combustion, nul besoin de nickel, pour un électrique, il en faut près de 40 kilos. On compte 22,3 kilos de cuivre dans un moteur à combustion, mais 53,2 kilos dans un électrique (6).
En revanche, pour les cellules d’une batterie, c’est de lithium et de graphite dont on a avant tout besoin: 8,9 et 66,3 kilos respectivement alors que ces matériaux ne sont pas du tout requis pour un véhicule à essence.
Voilà où le Québec entre en scène.
On trouve du graphite et du lithium dans son sous-sol. Il détient déjà les connaissance pour l’extraire. Le Québec investit depuis 40 ans en R&D dans ce domaine et acquiert les compétences pour purifier les minéraux. Il dispose de beaucoup d’énergie propre pour ce faire, ce qui n’existe ni en Europe, ni aux États-Unis.
L’eau génère 94% de la production d’électricité au Québec, contre 6% seulement aux États-Unis et 13% en Europe, selon la Régie canadienne de l’énergie, le Nuclear Energy Institute et l’Agence internationale de l’énergie.
En prime, le Québec est une société stable, élément essentiel pour développer une technologie stratégique, résume M. Schougaard. «C’est la loi et non un dictateur qui décide.»
Du lithium et du graphite
Au siècle dernier, le lithium servait avant tout en médecine et comme composante de certaines céramiques de cuisson. Désormais, on pioche, on fore, on carotte un peu partout pour en trouver.
Son prix s’envole. L’an dernier, marqué par de fortes corrections des marchés financiers, il a grimpé de 72,5%, devant ceux du nickel et du gaz naturel. En 2021, année de forte croissance, il a bondi de, tenez-vous bien, de 442,8%! (7).
«Le Québec a un fort potentiel», assure Michel Jebrak, géologue et professeur émérite à l’UQAM.
Le Complexe Lithium Amérique du Nord (LAN) en Abitibi, propriété de l’australienne Sayona, entrera sous peu en exploitation tout comme son concentrateur de minerai.
Nemaska exploite la mine Whabouchi, située en territoire cri.
La société Patriot Resource vient quant à elle de débusquer un gisement de taille mondiale à Corvette, non loin de la centrale LG-2. La veine aurait de 50 à 100 mètres d’épaisseur. La teneur en lithium serait de 1 à 2%, ce qui la rend exploitable économiquement. Ce gisement est situé en bordure de la route gravelée Transtaïga, qui relie le réseau des centrales électriques du Nord québécois.
Et le gouvernement fédéral vient d’autoriser Galaxy Lithium à exploiter un gisement, près de la rivière Eastmain en territoire cri, et d’y construire un concentrateur.
Les États-Unis, qui n’ont qu’une mine en exploitation dans le Nevada, pourraient même financer une partie de l’exploitation québécoise. En vertu du Inflation Réduction Act, des subventions sont disponibles pour défrayer les coûts de minéraux critiques ou de composantes de batteries qui proviennent de producteurs américains ou de partenaires de libre échange (8).
Quant au graphite, la mine à ciel ouvert Nouveau Monde Graphite, à Saint-Michel-des-Saints, s’apprête à entrer en production tandis qu’on explore ailleurs dans la région de Papineau.
Le défi de la fabrication
Pour obtenir du lithium, il faut d’abord purifier le minerai de spodumène pour en faire du carbonate de lithium. C’est ce à quoi est voué le concentrateur de LAN à la veille d’entrer en production. Situé à Authier, il n’est pas très loin de la mine. Le procédé de transformation exige aussi de l’énergie et de l’acide sulfurique. Ça tombe bien, le complexe La Grande n’est pas loin et il y a un fabricant de cet acide dans la région, la mal famée fonderie Horne, à Rouyn.
Assuré d’approvisionnements en lithium pour fabriquer des cathodes et de graphite pour les anodes, les deux éléments des cellules d’une batterie, le Québec doit aussi accueillir les usines pour les fabriquer.
Le gouvernement privilégie leur installation dans le parc industriel de Bécancour qui dispose d’un port en eaux profondes.
Déjà, Nemaska Lithium et Nouveau Monde Graphite s’y installent.
La co-entreprise formé General Morors, POSCO et celle de l’allemande BASF ont déjà fait l’objet d’annonces.
Et il est fortement question que Ford veuille aussi construire une usine à Bécancour (9).
La partie n’est pourtant pas encore gagnée. Des tractations politiques sont en cours, des demandes d’aide aussi.
En jeu, beaucoup d’emplois industriels dans un secteur clé pour décarboner. «Québec fait bien de focaliser sur les batteries, assure M. Jebrak. Le ministre (Pierre) Fitzgibbon fait ce qu’il faut.»
Bref, une nouvelle grappe industrielle prend forme. Un peu comme l’aérospatial, une gamme d’entreprises graviteront autour de ces grands chantiers, s’ils se matérialisent.
Pour les pérenniser, la formation universitaire dans cette filière doit s’intensifier, en particulier en chimie et dans les sciences de la terre, croit M. Schougaard. «Dans 10 ou 15 ans, ces étudiants devront revenir sur les bancs pour une mise à jour.»
Quant à lui, il planche déjà sur la batterie de l’avenir, celle au lithium métallique, appelée à succéder à la batterie lithium-ion actuelle (10).
(1) www.aveq.ca/meacutedias–stats.html
(2) https://www.lapresse.ca/contexte/2022-10-02/vehicules-zero-emission/choc-electrique-a-l-horizon.php
(4) https://siecledigital.fr/2023/01/17/les-vehicules-electriques-representent-10-des-ventes-mondiales/
(5) https://www.aveq.ca/actualiteacutes/les-voitures-electriques-aussi-polluantes-que-les-thermiques-demelez-le-vrai-du-faux; https://www.lapresse.ca/auto/auto-ecolo/201901/24/01-5212314-le-chiffre-de-la-semaine-40-plus-efficace-que-la-voiture-a-essence.php
(6) https://www.visualcapitalist.com/sp/on-the-road-to-electric-vehicles/
(7) https://www.visualcapitalist.com/periodic-table-commodity-returns-2022/
(8) https://www.dallasfed.org/research/economics/2022/1011
(9) https://www.lapresse.ca/affaires/2023-03-02/filiere-des-batteries/ford-se-rapproche-du-quebec.php
(10) https://actualites.uqam.ca/2022/recherche-partenariale-sur-la-batterie-au-lithium-metallique/
Bravo Rudy , c’est très intéressant
Très bon résumé Rudy!
Il faudrait aussi considérer l’enjeu environnemental.
Les municipalités craignent l’explosion de projets de forage sur leur territoire.
Les minières n’ont pas bonne réputation et déjà, des mouvements citoyens réclament un moratoire sur l’octroi de claims
À suivre.