À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

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Rudy Le Cours

Quoi de mieux que de semer le chaos et de disperser les rangs adverses quand on veut gagner une bataille ? Le 47e président des États-Unis le comprend mieux que quiconque, en tout cas beaucoup mieux que son partenaire commercial de longue date et premier client, le Canada. Malgré ses efforts diplomatiques indéniables, le gouvernement moribond de Justin Trudeau a bien tardé à comprendre la bonne vieille maxime romaine Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre).

Rudy Le Cours

Dès son élection en novembre, Donald Trump a semé l’émoi parmi les rangs canadiens.

Le premier ministre ontarien Doug Ford a immédiatement proposé de ne plus inviter le Mexique à la table, pays qu’il a traité avec mépris, même si c’est un membre à part entière de l’Accord Canada-États-Unis- Mexique (ACEUM).

Heureusement, la nouvelle présidente Claudia Sheinbaum a poliment mais fermement remis le malotru à sa place. Elle a rappelé que le Mexique avait insisté pour que le Canada fasse partie du nouvel accord alors que les États-Unis et le Mexique avaient complété leur négociation (1).

Mme Scheinbaum a donné une deuxième leçon de politique internationale en étant la première à convaincre M. Trump de surseoir d’un mois l’imposition de tarifs douaniers sur les biens et services mexicains, en échange de l’ajout de 10 000 soldats à la frontière. Le Canada a obtenu le même sursis par la suite en acceptant de nommer un shérif (czar) du fentanyl.

M. Ford n’a cependant pas été le seul à jouer la carte du sauve-qui-peut.

Avant de se ressaisir, le premier ministre François Legault avait déclaré que les préoccupations du président élu en matière d’immigration et de fentanyl « étaient légitimes » et qu’il  «fallait rassurer M. Trump » (2).

Quant à la première ministre albertaine Danielle Smith, elle ne s’est pas jointe au front uni des provinces, obtenu laborieusement.

Heureusement, le vieux routier Jean Chrétien a sonné la fin de la récréation dans une lettre percutante qui semble avoir fouetté et fédéré nos décideurs, pour le moment du moins (3).

On prend à peine conscience que Washington n’est pas notre meilleur ami, mais un partenaire instable envers qui il faut nourrir une saine méfiance.

La riposte envisagée de type œil-pour-œil est bien accueillie jusqu’ici, mais il ne faut pas se faire d’illusion : le Canada souffrira davantage que les États-Unis de cette guerre commerciale ouverte ou larvée pour deux raisons : une plus forte proportion de notre économie repose sur le commerce international, et les États-unis, à titre de notre premier client et premier fournisseur, pèsent trop lourd dans nos échanges commerciaux.

La salve fiscale

Les grandes institutions financières et la Banque du Canada ont réalisé des simulations du maintien de tarifs de 25 % sur l’économie canadienne durant une longue période. Si elles varient à la marge, toutes pointent vers un ralentissement marqué de l’expansion durant au moins deux ans, une hausse du chômage, la baisse des investissements et la perte de quelque 200 000 emplois. Bref, un choc qui s’apparente à celui de la crise financière de 2009.

Tous aussi évoquent la possibilité que les tarifs de 25 % ne dureraient pas, même si leur réduction à un taux de 10 % par exemple a plus de chance de s’installer à demeure.

Quoi qu’il en soit, à la salve tarifaire succédera prochainement la salve fiscale, beaucoup plus insidieuse et déstructurante.

Donald Trump compte sur les revenus de ses tarifs pour abaisser les impôts des entreprises et des particuliers.

Présentement, le taux d’imposition des entreprises est assez compétitif, aux environs de 26 % selon les provinces et les États.

Leur structure diffère toutefois. Aux États-Unis, l’impôt fédéral est de 21 % et celui des États de 5 %. Au Canada, c’est plutôt 15 et 11 %. Trump veut abaisser le taux fédéral à 15 %, comme l’a bien expliqué la fiscaliste Brigitte Alepin (4).

Les entreprises canadiennes vont exiger la même chose. Mais comment rééquilibrer la ponction fiscale ? Comment convaincre les entreprises de soutenir l’effort de guerre commerciale plutôt que de délocaliser une partie de leur production au sud de la frontière ? On voit déjà notre classe politique s’entredéchirer, au moment où des décisions budgétaires stratégiques doivent être prises.

Washington n’a plus l’intention d’appliquer l’impôt minimum mondial de 15 % tel que recommandé par l’OCDE, recommandation adoptée par le Canada et à laquelle avait souscrit l’ex-secrétaire démocrate au Trésor Janet Yellen. Des représailles pourraient même être exercées contre les pays qui appliquent ce taux d’imposition aux entreprises américaines chez eux.

On n’a pas encore pris la mesure non plus de l’effet concurrentiel du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, ni de la déréglementation environnementale tous azimuts.

On ne connaît pas non plus les conséquences sur nos finances publiques du budget militaire canadien jugé insuffisant par Washington.

Autant de menaces qui grondent.

Et Trump parle maintenant de mettre dans la balance le secteur bancaire canadien, celui qui a le mieux résisté à la crise financière de 2008-2009.

Se rapprocher du Mexique et se diversifier

Le Canada sous-estime l’importance du Mexique au sein de l’ACEUM. Le mépris de Doug Ford envers le pays de la tequila n’en est que la manifestation la plus grossière. C’est pourtant le principal fournisseur des États-Unis, devant la Chine et le Canada, et celui du Canada, derrière les États-Unis et la Chine. C’est aussi notre cinquième débouché (5).

« Le Canada a humilié le Mexique avec l’imposition de visas pour ses citoyens » le 29 février 2024, opine en entrevue avec En Retrait Christian Deblock, professeur de sciences politiques à l’UQAM et spécialiste du libre échange. Cette mesure a été réintroduite pour contrer l’afflux de demandeurs d’asile mexicains, sous les pressions du Québec et de l’Ontario (6).

M. Deblock préconise un rapprochement significatif avec nos autres partenaires commerciaux, en particulier ceux avec qui il existe des traités de libre-échange. Le Canada a conclu de tels accords avec une trentaine de pays dont ceux de l’Union européenne et ceux du Partenariat Trans-Pacifique.

S ‘affranchir de la dépendance américaine a pourtant déjà été tenté. Pierre Elliott Trudeau qui détestait le président américain Richard Nixon, était à la recherche d’une troisième voie. Il a normalisé nos relations avec la Chine de Mao à cette fin.

Jean Chrétien a multiplié les missions de Team Canada, mais les milieux d’affaires n’ont que trop peu suivi.

« On n’approfondit par nos accords, souligne M. Deblock. On n’a pas de politique industrielle au Canada. On s’est endormi sur le pactole du pétrole. »

Le secteur manufacturier canadien n’est plus que l’ombre de lui-même. Le Canada accuse un déficit commercial avec la plupart des pays, à part les États-Unis.

Ce surplus est trompeur. En fait, 60 % des 35 industries américaines qui commercent avec le Canada engrangent des surplus alors qu’avec le reste du monde, c’est seulement 25 % (7).

Notre excédent repose uniquement sur le pétrole, menacé de tarifs de 10 % seulement. Le Canada est le premier fournisseur d’or noir des États-Unis, bien loin devant le Mexique qui exporte beaucoup plus de produits à valeur ajoutée comme des voitures, n’en déplaise à Doug Ford.

Le coup de téléphone de Justin Trudeau à Mme Sheinbaum, le 1er février, est un bon premier pas. Il y a tant de pots cassés à réparer. Des missions économiques au-delà des sommets des Tres Amigos (très irréguliers) doivent servir à cette fin et à consolider un nouveau partenariat et des débouchés. Théoriquement, un tel sommet aurait dû avoir lieu en 2024 au Canada, mais rien ne se profile à l’agenda.

À court terme, le Canada doit bâtir des alliances tout en se dotant d’une politique industrielle digne de ce nom, alignée sur sa politique commerciale.

Parallèlement, il doit dépoussiérer et relancer le commerce interprovincial. Le rapprochement annoncé avec le Royaume-Uni est peut-être un heureux présage.

Des barrières réglementaires et … constitutionnelles  

À l’unisson, nos élites politiques et économiques clament qu’il faut stimuler le commerce interprovincial et abaisser les barrières réglementaires de toutes sortes qui y font obstacle.

On ne part pas de zéro. Ainsi, en 2023, dernière année de chiffres complets, les exportations totales du Québec ont totalisé 272,8 milliards, ce qui équivaut à 47,1 % de son produit intérieur brut. Du nombre, 168,9 milliards sont partis à l’étranger tandis que 103,9 milliards ont trouvé preneur dans d’autres provinces (8).

L’Accord de libre-échange canadien (ALEC), en vigueur depuis 2015, peine à vaincre des barrières réglementaires comme le poids et la longueur des camions ou la reconnaissance inter-provinciale des compétences de certains métiers ou professions.

Ça fait des années que l’OCDE souligne que « le Canada détonne par la mesure dans laquelle les disparités des réglementations et des normes techniques entre les juridictions infranationales font frein à la circulation des marchandises et des services et nuisent au marché du travail ».  (9)

À ce titre, le Québec fait figure de cancre, société distincte oblige, mais pas que (10).

S’affranchir de la dépendance envers les États-Unis exigera des changements structurels à l’interne pour lesquels on ne semble pas du tout prêt. Jean Chrétien a indiqué la voie dans son cri du cœur : « Faisons un projet national pour éliminer les barrières. Renforçons les liens qui unissent cette vaste nation, écrit-il, par exemple en créant un véritable réseau énergétique à travers le pays. »

Les férus d’histoire savent que la devise du Canada A mari usque ad mare a été le mot d’ordre pour construire un réseau ferroviaire d’un océan à l’autre afin de contrer les velléités conquérantes des États-Unis.

Dans le même esprit, les libéraux de Pierre Elliott Trudeau avaient tenté de créer un réseau de raffinage et de distribution de l’or noir albertain à travers le Canada pour contrer le choc pétrolier de 1979 et parvenir à l’autosuffisance. Le Programme énergétique national (PEN) garantissait un prix raisonnable aux consommateurs canadiens, à l’abri des soubresauts des marchés mondiaux, ce qui a eu l’heur de déplaire aux producteurs albertains et d’engendrer la rancoeur durable des provinces de l’Ouest envers les libéraux fédéraux. Brian Mulroney y a mis fin.

Les conservateurs de Stephen Harper et d’Erin O’Toole ont proposé à leur tour la construction d’un corridor transcanadien où pourraient cohabiter oléoduc, gazoduc et lignes de transport à haute tension.

C’est cette idée structurante qu’a relancée M. Chrétien.

Comme les richesses naturelles sont de compétence provinciale selon la Constitution, chaque capitale tient jalousement à sa juridiction. La réalisation de pareil corridor n’est, hélas ! pas pour demain, même si on sort des boules à mites ces jours-ci le projet GNL Québec, abandonné par Québec, faute d’acceptabilité sociale. Québec s’est aussi toujours opposé à la construction d’une ligne de transport d’électricité vers l’Ouest pour désenclaver l’énergie du Labrador.

Bref, le chacun pour soi provincial prévaut. Tel est le péché originel du Canada.

Cette Fédération, si enviable soit-elle vue de l’extérieur, repose sur des assises plus fragiles qu’on l’a cru jusqu’ici.

En attentant on préfère le pétrole de schiste du Dakota à celui des sables bitumineux de l’Alberta. Cherchez l’erreur !

 

 

 

 

 

1- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2120162/accord-commercial-ford-mexique-sheinbaum

2- https://www.lenouvelliste.ca/actualites/politique/2024/11/27/tarifs-douaniers-trudeau-doit-rassurer-donald-trump-avec-un-plan-affirme-legault-QKBR5P5L65GP3EGJBPS6FDGPUI/

3- https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2025-01-11/lettre-de-jean-chretien/trump-a-unifie-les-canadiens-plus-que-jamais.php

4- Lire l’analyse lumineuse Brigitte Alepin: https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2025-01-29/la-force-de-frappe-de-l-assaut-fiscal-de-trump-sur-le-canada.php

5- https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/71-607-x/2021004/exp-fra.htm

6- https://www.youtube.com/watch?v=SClc2yBx6dw

7- https://www.bnc.ca/content/dam/bnc/taux-analyses/analyse-eco/hot-charts/hot-charts-250128-f.pdf

8- Le Calepin du commerce extérieur du Québec. Édition Hiver 2025, page 11.

9- Études économiques de l’OCDE Canada 2023, page 48

10-  https://www.lapresse.ca/affaires/2025-02-04/commerce-interprovincial/pas-la-solution-miracle-mais-un-coup-de-pouce.php?utm_campaign=internal+share&utm_content=ulink&utm_medium=referral&utm_source=lpp&redirectedFrom=https%253A%252F%252Fplus.lapresse.ca%252Fscreens%252F8270a627-7d0f-4a89-b9f5-a50b0612e93b__7C___0.html%253Futm_campaign%253Dinternal%252520share%2526utm_content%253Dulink%2526utm_medium%253Dreferral%2526utm_source%253Dlpp

 

 

Photo Rudy Le Cours

Jean Chrétien rêve d’un corridor énergétique trans-canadien. 

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