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L’avocat Julius Grey, juriste réputé dans la défense des libertés individuelles.
Louiselle Lévesque
Les Québécois anglophones sont aux abois. Le projet de loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec, le français, qui devrait être adopté d’ici la fin des travaux parlementaires à Québec le 10 juin, les inquiète au plus haut point.
Pourtant, cette réforme concoctée par le gouvernement de François Legault est jugée trop timide par bien des Québécois francophones estimant qu’elle ne réussira ni à protéger la langue française ni à contrer son déclin. Le fait notamment que les établissements d’enseignement collégial ne soient toujours pas soumis à la Loi 101 constitue une erreur aux yeux de ceux qui voient dans l’exode de jeunes francophones et allophones vers les CEGEPS anglophones une réelle menace pour l’avenir du français au Québec.
Grogne et mécontentement
Les Anglo-Québécois craignent un effritement des services dans leur langue en vertu des nouvelles règles qui seront en vigueur dans l’administration publique, dans le réseau de la santé et dans le système de justice où désormais l’exigence de la maîtrise de l’anglais lors de la nomination des juges à la Cour du Québec et dans les tribunaux administratifs ne sera permise que si l’on en démontre la « nécessité ». La colère des anglophones est vive et le sentiment que le Parti libéral du Québec les a abandonnés pour mieux courtiser l’électorat francophone gagne en intensité.
À tel point que deux nouveaux partis politiques voués à la défense des intérêts des anglophones pourraient être dûment constitués d’ici les élections du 3 octobre. Mouvement Québec avec à sa tête Balarama Holness qui était candidat à la mairie de Montréal en novembre dernier et qui projetait de donner à la métropole le statut de ville bilingue. Et le Parti canadien du Québec que veut fonder Colin Standish, un avocat des Cantons de l’Est plus proche de la réalité des anglophones en région.
Des mesures « injustes »
L’avocat Julius Grey considère qu’il s’agit « d’un projet de loi terrible et injuste qui met les anglophones dans une situation où ils doivent envisager de former leur propre parti. C’est mauvais parce que ça isole les individus ». Ce juriste réputé dans la défense des libertés individuelles avait soutenu devant le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies en 1988 que la Loi 178 que venait d’adopter le gouvernement de Robert Bourassa et qui imposait l’affichage unilingue français à l’extérieur des commerces portait atteinte à la liberté d’expression des anglophones.
Le Comité de l’ONU lui avait donné raison. D’ailleurs, le gouvernement Bourassa avait dû recourir à la clause dérogatoire de la Constitution canadienne pour mettre en application cette loi promulguée à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada invalidant les dispositions de la Loi 101 relatives à l’affichage.
Des pouvoirs démesurés
Julius Grey estime que le projet de loi sera aussi néfaste pour les francophones. Personne ne sera gagnant à son avis. Et il cible parmi les éléments les plus préoccupants les nouveaux pouvoirs accordés à l’Office québécois de la langue française « des pouvoirs de perquisition et de saisie d’ordinateurs. Plus de pouvoirs que la police dans le cadre d’une enquête pour meurtre. C’est absolument aberrant », ajoute-t-il.
Non au clivage linguistique
Le juriste rappelle que les Anglo-Québécois se sentent depuis très longtemps complètement isolés. « Ils ont le sentiment que personne ne veut les aider, que personne ne veut entendre leur voix ni le gouvernement fédéral ni les autres provinces. Ils sont laissés à eux-mêmes. » Il soutient que « personne ne veut se porter à leur défense même lorsqu’ils ont raison ».
Mais il est persuadé que la formation de ces deux partis ne sera d’aucun secours. Et il déplore que la minorité anglophone se retrouve devant un tel dilemme, soit opter pour « une représentation séparée mais qui est inefficace » ou encore porter son choix sur le Parti libéral du Québec où les anglophones «seront toujours sacrifiés au nom de la menace de faire élire un gouvernement du Parti québécois ou de la CAQ. Si vous nous boycottez ce sera eux qui seront élus », laisse-t-il tomber avec une certaine amertume.
Coup d’œil dans le rétroviseur
Traditionnellement, l’électorat anglophone vote pour le Parti libéral du Québec. Mais cette relation de confiance a été ponctuée d’épisodes tumultueux et chaque fois c’est la politique linguistique qui a mis le feu aux poudres.
À l’élection de 1976, les Anglo-Québécois outrés par la Loi 22 adoptée deux ans plus tôt par le gouvernement de Robert Bourassa sont encouragés à donner leur appui à l’Union nationale. La Loi 22 faisait du français la seule langue officielle du Québec et imposait son usage dans l’affichage. Les libéraux sont battus et le Parti québécois prend le pouvoir favorisé par les gains enregistrés par l’Union nationale au détriment du PLQ dans plusieurs circonscriptions à forte présence anglophone.
En 1988, les anglophones sont en colère contre la Loi 178 qui faisait du français la seule langue d’affichage public et commercial au Québec et s’insurgent contre le recours à la clause dérogatoire par le gouvernement Bourassa pour assurer sa mise en oeuvre.
Le premier ministre Bourassa fait face à une crise. Trois de ses ministres démissionnent : Clifford Lincoln, Herbert Max et Richard French. Robert Libman fonde le Parti Égalité et à l’élection de 1989 il réussit à faire élire quatre députés ce qui n’a pas empêché le gouvernement Bourassa d’être reporté au pouvoir avec une forte majorité. À l’élection suivante, celle de 1994, le Parti québécois revient au pouvoir, le Parti Égalité s’effondre ne réussissant à conserver aucun siège. Le chef fondateur Robert Libman qui avait laissé tomber son parti en cours de mandat pour siéger comme indépendant a lui aussi été défait.
Un exemple à ne pas suivre
Cette stratégie a été contreproductive estime Russell Copeman qui a été député libéral de Notre-Dame-de-Grâce à l’Assemblée nationale de 1994 à 2008 et qui est aujourd’hui directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Il ne croit pas lui non plus que la création de ces deux partis soit la voie à emprunter. « Je ne pense pas que c’est dans l’intérêt des anglophones du Québec de supporter des partis comme ceux-là. À mon avis, l’expérience du Parti Égalité n’a pas été vraiment positive. Il y a un repli sur soi qui n’est pas à l’avantage de la communauté et qui ne sert pas le Québec non plus. »
Comme anglophone, il ne voit pas d’un œil favorable l’idée de s’isoler dans un parti que ce soit sur une base géographique comme le propose Balarama Holness avec son ambition de conquérir les circonscriptions de l’ouest de Montréal ou en fonction d’un clivage linguistique. Il croit plutôt dans l’intérêt de tout le monde, incluant les anglophones, de travailler à l’intérieur des partis qui ont des assises et des instances dans toutes les régions du Québec.
Et il constate que « les partis qui sont essentiellement formés comme mouvement de protestation ne survivent pas longtemps. Ils ne résistent pas aux changements et aux pressions politiques ».
L’absence de recours
La principale récrimination de l’ancien député libéral contre le projet de loi 96 a trait à l’utilisation de la clause dérogatoire pour soustraire l’ensemble du document législatif à l’application des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, ce qui aura pour effet de priver les citoyens de tout recours même si des abus sont constatés dans son interprétation.
Il est d’avis que les craintes soulevées à cet égard ne sont pas exagérées : « C’est une utilisation que je qualifierais d’abusive. Cette utilisation n’est pas illégitime mais je plaiderais pour une utilisation beaucoup plus restreinte » et surtout précise-t-il pas de façon préventive comme c’est le cas, c’est-à-dire avant même qu’un tribunal ne se soit prononcé. « De faire en sorte que les Québécois ne puissent pas contester des lois à cause du nonobstant c’est très difficile à accepter surtout pour les membres de la minorité. »
Et il ajoute que de façon générale quand on est membre d’une minorité on ne peut pas se fier simplement au bon vouloir de la majorité. « C’est pour ça que nous avons des chartes et c’est pour ça que nous avons des tribunaux. Il doit y avoir des recours et là il n’y en a pas. »
Russell Copeman dit croire dans la nécessité de promouvoir et de protéger la langue française au Québec. « J’accepte ça. Mais il y a des choses qui se passent depuis un certain nombre d’années qui me rendent excessivement mal à l’aise ». Et il poursuit : « Je suis attristé par tout ce qui se passe. Je me reconnais de moins en moins dans mon Québec. »
Les Québécois anglophones sont aux abois. Le projet de loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec, le français, qui devrait être adopté d’ici la fin des travaux parlementaires à Québec le 10 juin, les inquiète au plus haut point.
Pourtant, cette réforme concoctée par le gouvernement de François Legault est jugée trop timide par bien des Québécois francophones estimant qu’elle ne réussira ni à protéger la langue française ni à contrer son déclin. Le fait notamment que les établissements d’enseignement collégial ne soient toujours pas soumis à la Loi 101 constitue une erreur aux yeux de ceux qui voient dans l’exode de jeunes francophones et allophones vers les CEGEPS anglophones une réelle menace pour l’avenir du français au Québec.
Grogne et mécontentement
Les Anglo-Québécois craignent un effritement des services dans leur langue en vertu des nouvelles règles qui seront en vigueur dans l’administration publique, dans le réseau de la santé et dans le système de justice où désormais l’exigence de la maîtrise de l’anglais lors de la nomination des juges à la Cour du Québec et dans les tribunaux administratifs ne sera permise que si l’on en démontre la « nécessité ». La colère des anglophones est vive et le sentiment que le Parti libéral du Québec les a abandonnés pour mieux courtiser l’électorat francophone gagne en intensité.
À tel point que deux nouveaux partis politiques voués à la défense des intérêts des anglophones pourraient être dûment constitués d’ici les élections du 3 octobre. Mouvement Québec avec à sa tête Balarama Holness qui était candidat à la mairie de Montréal en novembre dernier et qui projetait de donner à la métropole le statut de ville bilingue. Et le Parti canadien du Québec que veut fonder Colin Standish, un avocat des Cantons de l’Est plus proche de la réalité des anglophones en région.
Des mesures « injustes »
L’avocat Julius Grey considère qu’il s’agit « d’un projet de loi terrible et injuste qui met les anglophones dans une situation où ils doivent envisager de former leur propre parti. C’est mauvais parce que ça isole les individus ». Ce juriste réputé dans la défense des libertés individuelles avait soutenu devant le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies en 1988 que la Loi 178 que venait d’adopter le gouvernement de Robert Bourassa et qui imposait l’affichage unilingue français à l’extérieur des commerces portait atteinte à la liberté d’expression des anglophones.
Le Comité de l’ONU lui avait donné raison. D’ailleurs, le gouvernement Bourassa avait dû recourir à la clause dérogatoire de la Constitution canadienne pour mettre en application cette loi promulguée à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada invalidant les dispositions de la Loi 101 relatives à l’affichage.
Des pouvoirs démesurés
Julius Grey estime que le projet de loi sera aussi néfaste pour les francophones. Personne ne sera gagnant à son avis. Et il cible parmi les éléments les plus préoccupants les nouveaux pouvoirs accordés à l’Office québécois de la langue française « des pouvoirs de perquisition et de saisie d’ordinateurs. Plus de pouvoirs que la police dans le cadre d’une enquête pour meurtre. C’est absolument aberrant », ajoute-t-il.
Non au clivage linguistique
Le juriste rappelle que les Anglo-Québécois se sentent depuis très longtemps complètement isolés. « Ils ont le sentiment que personne ne veut les aider, que personne ne veut entendre leur voix ni le gouvernement fédéral ni les autres provinces. Ils sont laissés à eux-mêmes. » Il soutient que « personne ne veut se porter à leur défense même lorsqu’ils ont raison ».
Mais il est persuadé que la formation de ces deux partis ne sera d’aucun secours. Et il déplore que la minorité anglophone se retrouve devant un tel dilemme, soit opter pour « une représentation séparée mais qui est inefficace » ou encore porter son choix sur le Parti libéral du Québec où les anglophones «seront toujours sacrifiés au nom de la menace de faire élire un gouvernement du Parti québécois ou de la CAQ. Si vous nous boycottez ce sera eux qui seront élus », laisse-t-il tomber avec une certaine amertume.
Coup d’œil dans le rétroviseur
Traditionnellement, l’électorat anglophone vote pour le Parti libéral du Québec. Mais cette relation de confiance a été ponctuée d’épisodes tumultueux et chaque fois c’est la politique linguistique qui a mis le feu aux poudres.
À l’élection de 1976, les Anglo-Québécois outrés par la Loi 22 adoptée deux ans plus tôt par le gouvernement de Robert Bourassa sont encouragés à donner leur appui à l’Union nationale. La Loi 22 faisait du français la seule langue officielle du Québec et imposait son usage dans l’affichage. Les libéraux sont battus et le Parti québécois prend le pouvoir favorisé par les gains enregistrés par l’Union nationale au détriment du PLQ dans plusieurs circonscriptions à forte présence anglophone.
En 1988, les anglophones sont en colère contre la Loi 178 qui faisait du français la seule langue d’affichage public et commercial au Québec et s’insurgent contre le recours à la clause dérogatoire par le gouvernement Bourassa pour assurer sa mise en oeuvre.
Le premier ministre Bourassa fait face à une crise. Trois de ses ministres démissionnent : Clifford Lincoln, Herbert Max et Richard French. Robert Libman fonde le Parti Égalité et à l’élection de 1989 il réussit à faire élire quatre députés ce qui n’a pas empêché le gouvernement Bourassa d’être reporté au pouvoir avec une forte majorité. À l’élection suivante, celle de 1994, le Parti québécois revient au pouvoir, le Parti Égalité s’effondre ne réussissant à conserver aucun siège. Le chef fondateur Robert Libman qui avait laissé tomber son parti en cours de mandat pour siéger comme indépendant a lui aussi été défait.
Un exemple à ne pas suivre
Cette stratégie a été contreproductive estime Russell Copeman qui a été député libéral de Notre-Dame-de-Grâce à l’Assemblée nationale de 1994 à 2008 et qui est aujourd’hui directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Il ne croit pas lui non plus que la création de ces deux partis soit la voie à emprunter. « Je ne pense pas que c’est dans l’intérêt des anglophones du Québec de supporter des partis comme ceux-là. À mon avis, l’expérience du Parti Égalité n’a pas été vraiment positive. Il y a un repli sur soi qui n’est pas à l’avantage de la communauté et qui ne sert pas le Québec non plus. »
Comme anglophone, il ne voit pas d’un œil favorable l’idée de s’isoler dans un parti que ce soit sur une base géographique comme le propose Balarama Holness avec son ambition de conquérir les circonscriptions de l’ouest de Montréal ou en fonction d’un clivage linguistique. Il croit plutôt dans l’intérêt de tout le monde, incluant les anglophones, de travailler à l’intérieur des partis qui ont des assises et des instances dans toutes les régions du Québec.
Et il constate que « les partis qui sont essentiellement formés comme mouvement de protestation ne survivent pas longtemps. Ils ne résistent pas aux changements et aux pressions politiques ».
L’absence de recours
La principale récrimination de l’ancien député libéral contre le projet de loi 96 a trait à l’utilisation de la clause dérogatoire pour soustraire l’ensemble du document législatif à l’application des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, ce qui aura pour effet de priver les citoyens de tout recours même si des abus sont constatés dans son interprétation.
Il est d’avis que les craintes soulevées à cet égard ne sont pas exagérées : « C’est une utilisation que je qualifierais d’abusive. Cette utilisation n’est pas illégitime mais je plaiderais pour une utilisation beaucoup plus restreinte » et surtout précise-t-il pas de façon préventive comme c’est le cas, c’est-à-dire avant même qu’un tribunal ne se soit prononcé. « De faire en sorte que les Québécois ne puissent pas contester des lois à cause du nonobstant c’est très difficile à accepter surtout pour les membres de la minorité. »
Et il ajoute que de façon générale quand on est membre d’une minorité on ne peut pas se fier simplement au bon vouloir de la majorité. « C’est pour ça que nous avons des chartes et c’est pour ça que nous avons des tribunaux. Il doit y avoir des recours et là il n’y en a pas. »
Russell Copeman dit croire dans la nécessité de promouvoir et de protéger la langue française au Québec. « J’accepte ça. Mais il y a des choses qui se passent depuis un certain nombre d’années qui me rendent excessivement mal à l’aise ». Et il poursuit : « Je suis attristé par tout ce qui se passe. Je me reconnais de moins en moins dans mon Québec. »