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Daniel Raunet
The Metals Company (TMC), une minière canadienne basée à Vancouver appelle au secours l’administration Trump pour circonvenir l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) et extraire des nodules métallifères du fond de l’océan Pacifique en violation des règles de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. L’initiative a provoqué un tollé parmi les pays membres, la ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier Runacher, s’exclamant sur X « c’est assimilable à de la piraterie environnementale » [1].
Dans un précédent article de septembre 2023, [2] nous avions exposé les efforts de TMC pour exploiter les minéraux de la plaine abyssale Clarion-Clipperton située en dehors de toute juridiction nationale. Cette zone de plus de 7000 km de long à l’ouest du Mexique est riche en nodules polymétalliques, des concrétions de quelques dizaines de centimètres qui se sont formées pendant des millions d’années et ont concentré manganèse, nickel, cuivre, cobalt, fer, silicium, aluminium, etc., à partir de l’eau de mer.
La privatisation d’un bien commun de l’humanité
54 % des fonds océaniques de la planète sont à l’extérieur des zones économiques des États riverains. Ces zones, la haute mer, sont régies par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, en vigueur depuis 1994, et administrée par l’Autorité internationale des fonds marins, une organisation qui regroupe 169 nations. Une minorité de pays n’ont jamais ratifié la Convention, dont les États-Unis, Israël, le Pérou, le Venezuela, la Turquie.
Cette Convention affirme dans son préambule que « les ressources de cette zone sont le patrimoine commun de l’humanité et que l’exploration et l’exploitation de la zone se feront dans l’intérêt de l’humanité tout entière ». L’article 137 précise qu’« aucun État ni aucune personne physique ou morale ne peut s’approprier une partie quelconque de la Zone ou de ses ressources ». [3] Toutefois, le même article prévoit que l’Autorité internationale des fonds marins a le pouvoir de réglementer l’extraction et la destination des minéraux de la zone. C’est par cette petite porte que la privatisation s’est introduite.
Les minières frustrées par la communauté internationale
La Convention sur le droit de la mer est administrée par l’Autorité internationale des fonds marins. L’organe exécutif de l’AIFM, un Conseil de 36 membres, vient de tenir sa réunion annuelle pendant la deuxième moitié du mois de mars à Kingston en Jamaïque. Cette rencontre n’a pas permis l’adoption d’un code minier ni d’une formule sur les responsabilités financières des dégâts à l’environnement. [4]
Ruth Ramos, observatrice de Greenpeace à Kingston, souligne cependant plusieurs progrès pour la cause environnementale. D’abord, une clause du futur code minier biffée par la direction précédente de l’AIFM a été réintroduite, la nécessité de préserver l’environnement sous-marin. Également, plusieurs pays du Pacifique ont obtenu une clause sur le respect de la valeur spirituelle des fonds marins pour les peuples indigènes. Enfin, davantage de nations se sont ralliées à une forme de partage des bénéfices entre toutes les nations du globe. [5]
Autant de développements frustrants pour les compagnies minières qui voient s’éterniser le processus d’autorisation de l’exploitation des abysses. Ruth Ramos, de Greenpeace, demande l’adoption d’un moratoire. « Ces sociétés subsistent grâce à des investisseurs, des prêts, du crédit. Elles n’ont pas été capables d’afficher des profits (…) Elles sont maintenant très contrariées. C’est pourquoi elles appellent au secours la législation américaine. » L’un des principaux joueurs de l’industrie, la norvégienne LOKE Marine Minerals vient d’ailleurs de déclarer faillite.
Jusqu’à présent, l’AIFM a émis 22 contrats d’exploration minière, dont 15 pour des nodules polymétalliques, la plupart dans la zone Clarion-Clipperton. Toutefois aucun permis d’exploitation n’a été délivré. Selon ses règles, aucune exploitation ne peut avoir lieu sans la définition d’un code minier. Les discussions sur ce sujet durent depuis plus de dix ans et la réunion de Kingston a illustré, une fois de plus, la profonde division des membres entre les pays hostiles à toute exploitation minière immédiate (France, Canada, Allemagne, Royaume-Uni, Chili, des pays océaniens comme Fidji, etc.) et ceux en faveur (Chine, Japon, Norvège, Corée du Sud, certains pays insulaires comme Nauru et le Vanuatu, etc.).
La minière canadienne a trouvé un moyen de contourner les réticences de l’AIFM grâce au parrainage de la République de Nauru qui soutient la demande de permis d’exploitation de Nauru Ocean Resources inc. (NORI), une filiale de TMC. En l’absence de code minier, la Partie XI, Section 1, § 15 de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer permet à tout pays membre de demander à l’instance internationale d’étudier une demande de permis d’exploitation en bonne et due forme dans un délai de deux ans. C’est ce qu’a fait la République de Nauru en déposant un préavis en 2023. En conférence de presse, le 17 mars, The Metals Company a annoncé que, quoi qu’il arrive, NORI présenterait sa demande de permis auprès de l’AIFM dès le 27 juillet prochain. Dans l’ensemble, les compagnies minières ont déjà investi 2,5 milliards $ dans l’exploration des fonds marins. La canadienne s’estime donc justifiée pour demander le passage de la phase d’exploration à celle de l’exploitation commerciale de ses découvertes.
Le coup de Jarnac du 28 mars
Mais voilà, TMC jouait en cachette sur deux tableaux à la fois. Lors de la dernière journée de la conférence de Kingston, la minière a annoncé qu’elle avait entamé des négociations avec l’administration Trump pour obtenir un permis d’exploitation états-unien pour une filiale américaine. Le PDG de TMC, Gerard Barron accuse maintenant l’AIFM … d’illégalité ! « Malgré notre collaboration de bonne foi avec l’AIFM pendant plus d’une décennie, elle n’a toujours pas adopté les Règlements sur l’exploitation des ressources minérales pour la zone en violation de ses obligations expresses en vertu du traité. »[6]
L’annonce de TMC a provoqué une levée de boucliers de la part de la France, la Chine, le Brésil, l’Ouganda, la Russie, le Costa Rica et le Chili. [7] « Toute action unilatérale constituerait une violation du droit international, et saperait les principes fondamentaux du multilatéralisme », [8] a réagi la nouvelle secrétaire générale de l’AIFM, Leticia Carvalho, une océanographe à la fibre écologique bien plus forte que son prédécesseur Michael Lodge, un partisan des activités minières en haute mer. L’Autorité internationale, précise Madame Carvalho, « détient la compétence exclusive sur toutes les activités dans la zone internationale des fonds marins ».
Trump mijote un décret
Nouvelle négation du droit international, selon la presse américaine, Donald Trump s’apprêterait à signer un décret présidentiel qui permettrait aux entreprises américaines d’exploiter les fonds marins en dehors des juridictions nationales. [9] Les États-Unis, qui ne sont pas partie prenante à la Convention sur les droits de la mer, se basent non pas sur la volonté collective des nations, mais sur le concept chrétien et moyenâgeux de doctrine de la découverte (« terra nullius », la terre de personne en latin) afin de s’emparer de la moitié des fonds océaniques planétaires. Cette forme particulière du droit du plus fort est enchâssée dans le droit américain depuis 1980 (Deep Seabed Hard Mineral Resources Act), depuis la présidence de Jimmy Carter. [10]
Les alliés de la minière dans l’administration Trump
Plusieurs membres importants de la nouvelle administration américaine se sont exprimés par le passé en faveur de l’exploitation minière des abysses : la congressiste Elise Stefanik, pressentie un temps par Donald Trump comme ambassadrice à l’ONU, le secrétaire d’État Marco Rubio, le secrétaire au Commerce Howard Lutnik, le conseiller légal du Department of Government Efficency (DOGE) William McGinley, ainsi que le représentant Rob Wittman, un des fidèles de Trump qui avait contesté en Cour suprême la légitimité de la victoire de Joe Biden en 2020. De plus, en 2024, la minière vancouvéroise a recruté dans son conseil d’administration un ami d’Elon Musk, le milliardaire Steven Jurvetson, un ancien des c.a. de Tesla et Space X [11],[12].
Le point de vue de la minière canadienne
The Metals Company (TMC) maintient que son projet n’endommagera pas l’environnement. [13] Corey McLachlan, directeur TMC des relations avec les États membres, souligne que les résultats de ses 22 campagnes d’exploration se retrouvent dans des documents publics et ont donné lieu à plus d’une centaine d’études scientifiques indépendantes depuis une douzaine d’années. Son collègue Craig Shesky, directeur financier de TMC, soutient que les espèces des fonds marins sont peu touchées par les activités du robot qui extrait les nodules métallifères au fond de l’eau. « La vie est revenue. Les écosystèmes tendent à se remettre rapidement … Les volutes de matériaux ont tendance à s’élever à quelques mètres au-dessus du plancher sous-marin et à se déposer rapidement. »
La minière écarte également les objections émises sur sa méthode de rejet des résidus de boue qui, une fois débarrassés des nodules métallifères, sont repompés vers le bas et relâchés à mi-chemin du fond de l’océan. Selon une étude de 2021, les particules rejetées restent minuscules. Elles ne s’agglomèrent pas en flocons et la boue se disperse rapidement dans la masse d’eau de mer sans qu’on constate de dérive importante d’un nuage de débris dans les courants marins. Enfin, dans l’optique d’une exploitation minière d’une vingtaine d’années, les chercheurs soulignent que les débris qui se déposeront ultimement sur le plancher océanique ne représenteront qu’un centième de la sédimentation naturelle normale au fond des océans.[14]
Un pépin pour les minières en pleine conférence
Les minières ont subi un démenti en pleine conférence de Kingston. Le 26 mars dernier, la revue Nature a publié un article scientifique sur le tout premier site d’exploration connu des nodules métallifères. Il s’agit d’une histoire rocambolesque qui remonte aux années 1970. Les Américains essayaient alors de récupérer un sous-marin atomique soviétique abîmé au fond du Pacifique en 1974 quelque part dans la zone Clarion-Clipperton, la même que celle convoitée par les minières aujourd’hui.
En 1979, sous couvert d’une opération de prospection minière financée par le milliardaire Howard Hugues, la CIA a dragué le fond de l’océan et récupéré des débris de l’épave. 44 ans plus tard, des chercheurs britanniques ont revisité le site et ont constaté des dégâts permanents. « Nos résultats démontrent que les impacts de l’exploitation minière dans les abysses océaniques vont rester persistants au moins pendant des décennies et que les communautés d’organismes vivants demeureront altérées dans les zones directement dérangées malgré une certaine recolonisation ». [15]
Des découvertes étonnantes
Les abysses sont loin d’être un désert où les formes de vie sont rarissimes. Concombres de mer géants, crevettes aux longues pattes velues, éponges flottantes, selon un rapport de 2023, 90 % des 2000 espèces découvertes dans la zone Clarion-Clipperton étaient inconnues jusqu’aux récentes campagnes d’exploration minière. [16] En fait, les fonds marins sont moins connus que la surface de la lune, leur exploitation ressemble à bien des égards à une aventure à l’aveuglette.
Une aventure qui, comme l’exploitation de la planète Mars, fait saliver à Washington. Le 29 janvier, le secrétaire au commerce Howard Lutnick a dit ce qu’il en pensait : « Il est important pour la sécurité nationale américaine que nous produisions nous-mêmes les minéraux clés des terres rares.
« Heureusement, nous disposons des meilleures terres du monde, et sous nos mers il y a le reste de ce que nous n’avons pas sur terre. Nous devons l’exploiter, le comprendre et prendre soin de l’Amérique. » Le milliardaire Lutnick est d’ailleurs l’ancien PDG de la banque d’investissement Cantor Fitzgerald, principal bailleur de fonds de The Metals Company. [17]
[1] AFP Infos Economiques, « Exploitation des fonds marins par une entreprise canadienne: la France dénonce une « piraterie » », Paris, 4 avril 2025.
[2] https://en-retrait.com/main-basse-sur-le-fond-des-oceans-2-2/
[3] « Convention des Nations Unies sur le droit de la mer », 16 novembre 1994. https://www.un.org/Depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf
[4]RFI Español, “Empresa canadiense busca obtener permiso para explotar minerales en alta mar”, Paris, 2 avril 2025. https://www.rfi.fr/es/programas/enfoque-internacional/20250402-empresa-canadiense-busca-obtener-permiso-para-explotar-minerales-en-alta-mar
[5] Ruth Ramos, Greenpeace, entrevue le 3 avril 2025.
[6] The Metals Company, « The Metals Company to Apply for Permits under Existing U.S. Mining Code for Deep-Sea Minerals in the High Seas in Second Quarter of 2025”, Vancouver, 27 mars 2025. https://investors.metals.co/news-releases/news-release-details/metals-company-apply-permits-under-existing-us-mining-code-deep/#:~:text=The%20Metals%20Company%20is%20an,2)%20trace%2C%20recover%20and%20recycle
[7] 20 Minutes, « Une entreprise canadienne veut contourner l’ONU pour exploiter les fonds marins », Paris, 28 mars 2025 https://www.20minutes.fr/monde/etats-unis/4145966-20250328-exploitation-fonds-marins-entreprise-canadienne-fait-scandale-voulant-contourner-droit-international
[8] Amélie Bottollier-Depois, AFP, « Stupeur après l’annonce d’une entreprise pressée d’exploiter les fonds marins », La Presse, Montréal, 28 mars 2025.
[9] Mathieu Viviani, « Après le Canada et le Groenland, Trump vise 50 % du globe », La Tribune (France), no. 8068, Paris, 2 avril 2025.
[10]Legal Information Institute, “30 U.S. Code § 1412 – Licenses for exploration and permits for commercial recovery”, Cornell Law School, Ithaka, New York. https://www.law.cornell.edu/uscode/text/30/1412
[11] Olenksandr Pylypenko, “Could This Under-the-Radar Penny Stock Be the Best Way to Profit From Trump’s Presidency?”, Barchart.com, Chicago, 23 janvier 2025. https://www.barchart.com/story/news/30576886/could-this-under-the-radar-penny-stock-be-the-best-way-to-profit-from-trumps-presidency
[12] Elizabeth Claire Alberts, “Deep-sea miner TMC seeks U.S. approval, potentially bypassing global regulator”. Mongabay, Menlo Park, Californie, 28 mars 2025. https://news.mongabay.com/2025/03/deep-sea-miner-tmc-seeks-u-s-approval-potentially-bypassing-global-regulator/
[13] The Metals Company, conférence de presse par lien vidéo, 17 mars 2025.
[14] Muñoz-Royo, C., Peacock, T., Alford, M.H. et al. Extent of impact of deep-sea nodule mining midwater plumes is influenced by sediment loading, turbulence and thresholds. Commun Earth Environ 2, 148 (2021). https://doi.org/10.1038/s43247-021-00213-8[15] Jones, D.O.B., Arias, M.B., Van Audenhaege, L. et al. Long-term impact and biological recovery in a deep-sea mining track. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-08921-3
[16] Kelly MacNamara, “Race to name creatures of the deep as mining interest grows”, AFP Stories, Paris, 25 mars 2025.
[17] Julie Renson Miquel, « Comment le «Elon Musk des abysses» essaie de convaincre Trump d’aller ratisser la haute mer », Libération, Paris, 3 avril 2025. https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/comment-le-elon-musk-des-abysses-essaie-de-convaincre-trump-daller-ratisser-la-haute-mer-20250403_HVOW3TME4NECPBEYRLD4NMUPSY/
Toujours aussi fouillé que pertinent.