À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Société, Canada

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Jean Dussault 

À la suite des mutations ministérielles de la fin juillet à Ottawa, une tâche majeure attend la nouvelle titulaire d’un ministère politiquement mineur. Madame Marie-Claude Bibeau a hérité de la plus grosse machine bureaucratique du gouvernement du Canada.

Près du cinquième des presque trois cent mille fonctionnaires fédéraux sont employés à l’Agence de Revenu du Canada. Il s’agit du plus gros contingent de l’appareil gouvernemental. Le nombre de soldats dans l’armée fiscale canadienne a augmenté de quasi 40 % dans les treize dernières années. (1)  La population canadienne, pour sa part, a crû de moins de 12 % dans la même période. Pour les amateurs de chiffres qui travaillent aux impôts,  approximativement  de 34 à 38 millions.

La calculatrice calcule, c’est ce que fait une calculatrice, que la quantité de personnes qui collectent a augmenté plus de trois fois plus que celle des personnes collectées.

Retentit ici la rengaine des relationnistes de l’État : c’est pour défendre et protéger l’âme fiscale des citoyens qu’il faut un plus grand bataillon de valeureux pourchasseurs des fourbes.

Soit.

Mais.

Pas dans mon bureau

Sur le site internet de l’ARC, il est écrit en toutes lettres : ‘fermée temporairement’. Comme si personne dans les nombreux échelons n’avait songé à changer les indications fournies par le plus gros ministère de la nation pendant la grève au plus haut de la dernière saison des impôts.

Mais non, il ne s’agit pas d’un oubli malheureux sur lequel aucun des 59 000 employés n’a pensé à signaler que, euh boss, les succursales fiscales canadiennes ne sont pas temporairement fermées.

Depuis 2013 en effet, donc depuis dix ans selon une calculatrice qui fonctionne, aucun des employés du plus important service public de l’État canadien ne répond en personne aux questions, plaintes ou complaintes des contribuables dans les nombreux bureaux des ‘services fiscaux canadiens’.

Votre appel est important pour nous

Bureaux fermés temporairement ou pour tout le temps, les seules communications avec le fisc fédéral se font au téléphone. En fait, les seules communications avec le fisc fédéral peuvent se faire au téléphone si quelqu’un répond, ou pourraient se faire au téléphone si quelqu’un répondait. Ce jour-là, le répondeur mécanique annonçait que le répondeur humain pourrait prendre jusqu’à deux heures à décrocher, période d’attente elle aussi dûment enregistrée pour ‘le contrôle de la qualité et la formation’. Dans cette seule journée, des heures de silence ont été enregistrées pour… être enregistrées.

Kafka n’est pas mort, il est à ARCSCEDSC

Quant à ‘Chatting Charlie’, il ne répond jamais aux questions sur des dossiers personnels et, en fait, le site de l’ARC ne jasait de rien ce jour-là, sans par ailleurs indiquer si c’était dû à une ‘fermeture temporaire’. Re-attente donc, de 86 minutes, à Services Canada cette fois, pour apprendre que, de toutes façons, ladite attente a été inutile puisque c’est Revenu Canada qui indique à Services Canada ce qu’il faut faire.

Rappel à Revenu Canada où il est alors impossible d’attendre un… rappel: «Dû à un nombre d’appels plus grand qu’à l’habitude, le service de rappel n’est pas disponible en ce moment».

Cent fois sur le métier

Ledit service de rappel n’était pas plus offert deux jours plus tard à ce qui s’appelle Services Canada. (‘si votre appel n’est pas urgent, vous pouvez rappeler un autre jour)’. Le pongiste a donc dûment attendu le, hum, service.

Rien de moins qu’un as : l’agente, pressée après une heure de patience du patient agonisant, ne peut pas « sécuritairement » identifier le prétendu client puisque ‘Services Canada n’a pas votre adresse’. Il appert, il s’avère même que la lettre avisant le fiscalisé de quoi déjà ? a été postée à, oui, son adresse. « C’est faux », rétorque la faucheuse.

Ben, là !

Même que, sans doute une mauvaise journée pour elle aussi, l’employée qui mérite le respect et la courtoisie, la politesse et la reconnaissance de sa diversité ne trouve aucune indication d’un appel antécédent provenant du numéro à l’écran. C’est catégorique : ‘vous n’avez jamais appelé à Services Canada’.

Quand même avec un effort de délicatesse, le pécheur mentionne qu’il y a une fichue différence entre ne pas avoir de réponse et ne pas en avoir demandé.

La relativité

Bien sûr, une aberration bureaucratique n’est pas matière à organiser un autre « Truck-you convoy », appuyé par le chef conservateur Pierre Poilievre. D’autant qu’il s’agit clairement d’une erreur qui finira par être corrigée. Reste que, reste que vient à l’esprit le proverbial caillou dans la chaussure du cordonnier mal chaussé. Ou quelque chose du genre.

Espoir : contrairement à ceux de Revenu Canada, les bureaux de Services Canada ne sont pas ‘fermés temporairement’. D’où la révolutionnaire idée d’y prendre rendez-vous.

Appel téléphonique à la barre du jour bureaucratique suivant. Miracle : un être humain répond, entend, écoute. Semble comprendre. Et indique que pour obtenir un rendez-vous à Services Canada, il faut appeler à Emploi et Développement Social Canada afin de valider la démarche.

Youp … plouf

Eh ben, eh ben, le numéro de téléphone relayé par le quasi amène, presque liant sauveur de l’ARC est, tiens, tiens, celui où le gars de Services Canada au courant du cas avait expliqué la veille qu’il ne pouvait rien faire puisque c’est Revenu Canada qui donne les ordres.

Ça vaut d’être répété : deux jours plus tard, une collègue, numéro quelquechose/bilingue/something, a proclamé la néantitude du dossier, et, donc, l’inexistence fiscale, voire physique du, sniff, citoyen bureaucratiquement, re-sniff, mort.

Une certitude pléonasmement certaine se dégage: ça tourne en rond.

La proverbiale main gauche qui ne sait pas ce que fait la main droite.

La tête

C’est chouette que chacune des mains se sente libre, forte, fière, autonome, indépendante ; le contribuable pourrait en être ému, voire inspiré. Même en prendre exemple en payant dûment ses impôts.

Et espérer, prier ? qu’en attendant, les oreilles fiscales entendent et que le cerveau gouvernemental comprenne quelque chose à quoi que ce soit. Peut-être qu’en appelant madame Bibeau…

Épilogue 

Une douzaine d’heures sur quatre jours sans obtenir de réponse auprès de l’hydre ARCSCEDSC.

À la même question, techniquement différente mais fiscalement similaire, une personne compétente à Revenu Québec a expliqué en trois minutes comment dénouer l’imbroglio.

Trois minutes, une minute de plus que l’attente au bout du fil …

(1) Effectif de la fonction#216B3A0

Un commentaire

  1. Lise Maynard 13 août 2023 à 1:13 pm-Répondre

    Quel texte! J’ai lu avec à la fois un sourire et une rage citoyenne. Ça prend bien un journaliste qui écrit sur « En retrait » pour dénoncer cette merveilleuse institution gouvernementale. Bravo Jean.

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