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Antoine Char
Chaque troisième lundi de septembre tout s’arrête au Japon. Keiro no Hi est une journée fériée en l’honneur des personnes âgées. Et lorsqu’elles prennent leur retraite c’est un peu un deuil, une « petite mort » pour ces bourreaux de travail qui occupent souvent un emploi au-delà de 70 ans. Un record mondial.
L’âge officiel de la retraite est de 65 ans, mais récemment le gouvernement a demandé aux entreprises de laisser travailler leurs employés au moins cinq ans de plus. Il n’y a pas eu de levée de boucliers. Tout le monde a trouvé son compte.
Dans deux ans, un Japonais sur trois aura 65 ans ou plus.
Le premier ministre Fumio Kishida a lancé cet avertissement le mois dernier : le faible taux de natalité et le vieillissement de la population menacent le fonctionnement de son pays. (1).
Même si l’archipel de 125 millions d’âmes (moins 0,43 % en 2022) grisonne à la vitesse grand V, la population active compte près de neuf millions de personnes âgées et elle est appelée à augmenter à cause de la pénurie de main d’œuvre.
Il a beau avoir les têtes les plus blanches du monde, pas question d’ouvrir les frontières à l’immigration, même si elles sont de plus en plus poreuses. Les étrangers représentent encore à peine 2% de la population. Le pays cultive toujours son isolationnisme. Alors ?
« La proportion de Japonais âgés de 65 à 69 ans sur le marché du travail est d’environ 50 %. Au-dessus de 70 ans, elle décline à près de 18 % » , rappelle Scott North, professeur retraité de sociologie à l’Université d’Osaka (échange de courriels).
Maigre pension
Après plus d’une vingtaine d’années d’enseignement cet Américain amoureux du Japon a tiré sa révérence en 2021. « Ici, la pension seule ne suffit pas pour vivre. » Elle est de 607 dollars canadiens.
« Les entreprises réembauchent leurs travailleurs « retraités » à, disons, 60 % de leur salaire précédent pour faire à peu près le même travail qu’ils faisaient auparavant. L’entreprise continue d’utiliser les compétences et les connaissances que les travailleurs ont acquises au cours de leur carrière […] Être réembauchés est le meilleur des cas pour eux : ils restent employés dans la même entreprise, avec les mêmes amis dans un environnement familier. »
Dit autrement, ils ont de longues, très longues carrières dans un pays où les salaires sont pourtant gelés depuis trente ans. Encore faut-il qu’ils gardent le même boulot. Selon le Japan Times, « il n’en demeure pas moins que de nombreux travailleurs âgés ont peu d’expérience en dehors des rôles qu’ils assumaient dans leurs entreprises respectives, un désavantage majeur une fois qu’ils sont lancés sur le marché du travail. En effet, 76,5 %, soit trois personnes sur quatre âgées de 65 ans ou plus inscrites sur la liste de paie en 2020, ont été embauchées dans des emplois irréguliers et mal rémunérés, un nombre de personnes qui a augmenté de 2,27 millions par rapport à la décennie précédente ». (2)
Dans tous les cas, travailler après la retraite est donc chose courante, mais pas uniquement à cause de la modicité des pensions et du coût de la vie très élevé. Le travail est sacré et le dévouement d’un employé à son entreprise l’est tout autant.
Rares sont ceux qui disent : « Bon, j’ai 65 ans ça suffit, j’arrête ! » (3)
Corps et âme au boulot
Si la majorité des Français sont d’accord avec De Gaulle pour qui « la vie n’est pas le travail : travailler sans cesse rend fou », les Japonais eux se donnent corps et âme à leur boulot, peu importe l’âge.
Ils sont connus pour leur abnégation et le stade d’épuisement professionnel est désigné par un terme sans équivoque : karoshi. Traduction : « mort par excès de travail .»
En moyenne, 20 % des Japonais s’échinent plus de 50 heures par semaine et prennent moins de 10 jours de congés par an. C’est un peu se faire hara-kiri. Pourquoi ? La réponse est simple : Tokyo privilégie l’économie par rapport au social.
« Environ 27 % des ménages comptant une personne de 65 ans ou plus vivent dans la pauvreté selon des statistiques récentes », précise Scott North.
Dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), il est de 16 %.
Les « vieux » ont beau être célébrés et respectés, ils sont de plus en plus marginalisés dans la troisième économie mondiale. Beaucoup meurent dans l’isolement sans que personne s’en aperçoive. Les Japonais ont un mot pour l’illustrer : kodokushi (décès solitaire) (4)
Quand un vieillard meurt …
Les familles à trois générations sont de moins en moins nombreuses. L’habitat urbain rend de plus en plus difficile la cohabitation entre enfants, parents et grands-parents.
« Le kodokushi est plus courant car les familles ne sont plus aussi soudées qu’avant. Les enfants quittent la maison à la recherche d’un emploi. Il y a aussi moins d’enfants. Il y avait autrefois le fils aîné et sa femme qui vivaient avec ses parents dans un ménage de trois générations. À cette époque, il y avait toujours quelqu’un pour s’occuper des aînés [… ] », explique Scott North qui vit au Japon depuis plus de 40 ans.
Les « vieux » sont peut-être moins en famille, travaillent bien au-delà de 65 ans à cause de maigrichonnes retraite certes mais surtout parce que le boulot c’est sacré. Eux aussi le sont dans le plus vieux pays du monde.
Qu’attendent les Japonais pour découvrir Hamadou Ambâté Bâ et le citer lors d’un Keiro no Hi ? Car pour l’écrivain malien « quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ! ».
- 1 )- https://asia.nikkei.com/Politics/Kishida-says-Japan-on-brink-of-social-dysfunction-as-births-fall
- 2) https://www.japantimes.co.jp/news/2022/10/17/business/senior-employment-japan/
4) – https://www.nippon.com/fr/in-depth/d00736/
Plus on s’investit dans une carrière,plus l’atterrissage même en douceur peut être laborieux et non sans risque.
Cet article sur la culture du travail au Japon et la situation des personnes âgées est poignant et révélateur. Il est intéressant de voir comment les Japonais travaillent souvent au-delà de l’âge de la retraite pour des raisons économiques et sociales, et comment le vieillissement de la population pose des défis pour le pays. Le concept de kodokushi est particulièrement triste, car il montre à quel point les personnes âgées peuvent être isolées et abandonnées. Merci pour cet article qui offre une perspective importante sur la société japonaise.
J’ai possédé une entreprise tout au long de ma vie et ce n’est pas à la retraite de me dire d’arrêter. Je pense que l’on doit s’arrêter quand on le souhaite, non pas quand on nous le dit. Car on peut dire ce que l’on veut, mais le travail, c’est la vie, c’est ce que nous faisons le plus sur une semaine. Donc c’est radical lorsque l’on cesse notre activité principale.