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Serge Truffaut
Ah, la distribution ! Quel capharnaüm ! Prenez le disque dit le CD dit le « record ». Un jour, on le voit, il est là, mis en vente. Le lendemain et les mois qui suivent, il a disparu. Mais bon, comme le hasard fait bien les choses, enseigne la sagesse dite populaire, voilà que parfois il réapparaît au catalogue d’Amazon, Delmark, Discogs et autres agents de la circulation musicale.
Ce fut le cas tout récemment de Don Cherry. Notre trompettiste chéri avec Lester Bowie, Lee Morgan, Joe Newman, Steve Bernstein, Wadada Leo Smith. Buck Clayton, Johnny Coles, Harry Edison et bien évidemment Dizzy Gillespie. Cela faisait des lunes, les lunes antiques, que nous étions aux aguets.
Oui, oui, nous étions comme ça, aux aguets, car nous sommes entièrement, madame et monsieur, à votre service étant le Nestor Burma qui doit toujours mettre le mystère du jazz « cas-eau » Nous étions en attente de la réincarnation, discographique s’entend, de Don Cherry, moitié Choctaw, moitié Black American né le 8 novembre 1936 à Oklahoma City.
La surprise étant parfois, assure-t-on, divine voilà que nous avons constaté il y a peu une triple réapparition : Sonny Rollins Quartet With Don Cherry Complete Live At The Village Gate 1962, coffret de six compacts publié par Solar Records, Sonny Rollins/ Don Cherry Quartet – The Complete 1963 Paris Concert publié par Gambit Records et enfin Art Deco sur A&M Records, album plus récent car enregistré en 1989.
Don Cherry est connu pour avoir était l’éclaireur de la révolution musicale concoctée et menée à la fin des années 50 par Ornette Coleman, pour l’avoir poursuivie en compagnie de John Coltrane lors de la confection de The Avant-Garde avant de faire l’inventaire des musiques du monde à partir de la Suède dans les années 60 et 70 pour ensuite parcourir la planète en compagnie de ce qui est considéré aujourd’hui et à juste titre un super-groupe puisqu’il rassemblait Dewey Redman au saxophone ténor, Charlie Haden à la contrebasse et Ed Blakwell à la batterie.
Cela précisé, il est évident que le compagnonnage de Cherry avec Rollins ayant été plus long que celui poursuivi avec Coltrane, les CD évoqués plus haut sont plus passionnants. Cela est dû probablement au fait qu’il s’agit d’enregistrements publics réalisés à une époque où la longue improvisation était reine.
Ainsi, la Solitude composée par Duke Ellington est déclinée en près de 16 minutes, Oleo en près de 28 minutes etc. Autrement dit, chacun à leur tour comme les deux ensemble se permettent de creuser les chemins de traverse jusqu’à ce que la rythmique regroupant le batteur Billy Higgins et le contrebassiste Henry Grimes à Paris ou Higgins et Bob Cranshaw au Village Gate de New York, les ramènent à la surface histoire d’éviter l’ennui comme l’épuisement. À noter que dans les deux cas, il n’y a pas de piano.
Mais des trois albums proposés aujourd’hui, celui qui mérite une attention particulière est ce Art Deco publié à la fin des années 80. Ce disque est un bijou qu’on chérit depuis lors. Car il était et reste un antidote à la médiocrité qui distingue un nombre imposant de productions. On pense notamment au très bavard jazz-rock.
Toujours est-il qu’Art Deco propose 10 pièces qui jamais ne dépassent les 10 minutes. Et d’une. Et de deux, il a été réalisé, outre Cherry à la trompette, par James Clay, un saxophoniste ténor du Texas qu’on avait perdu de vue jusqu’alors, Charlie Haden à la contrebasse et le divin, il n’y a pas d’autre mot, Billy Higgins à la batterie. Là encore, il y a absence de piano.
Cherry est là ce qu’il a toujours été, soit le trompettiste des surprises pour reprendre le constat de Dizzy Giillespie. Au ténor, Clay est la définition sonore de suave. Mais ce qui fait de ce disque un incontournable, un sommet dans l’histoire du jazz, est sa mise en relief de l’extraordinaire complicité qu’il y a entre les uns et les autres. Ceci explique cela : Art Deco est l’album subtil du temps présent.