À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : Société

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Dominique Lapointe

Feux, inondations, canicules, tornades … les changements climatiques ne sommeillent plus. Ils se déchaînent. Des choix draconiens s’imposent sur notre mode de vie, entre autres sur nos moyens de transport. On pensait bien avoir trouvé le bouc émissaire idéal, le véhicule utilitaire sport, l’abominable VUS. Mais à vouloir créer un symbole de la guerre climatique, on obtient peut-être l’effet inverse à celui recherché, un enjeu rébarbatif.

Transport et climat

Tout mode confondu, le transport représente environ le quart des émissions de GES au Canada. C’est sensiblement plus au Québec mais, chanceux que nous sommes, c’est notre hydroélectricité qui amplifie la proportion, pas notre consommation de carburant.

De ce vaste domaine, on évalue que le transport routier — individuel, collectif et commercial —  est responsable de plus des trois quarts des émissions. Les véhicules de tourisme, toutes morphologies confondues, totalisent à eux seuls plus de la moitié des émissions, soit environ 60 % des GES sur la route.

Mais au-delà de ce polaroid, c’est la forte progression de cette dépense en énergie dans le temps qui inquiète. Après la pause pandémique, comme il fallait s’y attendre, le marché de l’automobile et les déplacements ont connu un forte reprise, et ce, malgré les hausses fulgurantes du prix du carburant.

Quels VUS ?

On devine facilement que les VUS sont les vedettes du marché. L’an dernier, plus de la moitié des véhicules neufs vendus au Québec étaient des VUS. Ce qui fait dire aux écologistes, dont le groupe Équiterre qui en a fait un cheval de bataille, une campagne même, que les VUS représentent le principal ennemi du climat sur la route.

La distorsion vient cependant de l’amalgame que l’on fait avec la plus vaste catégorie des camions légers, qui inclut les VUS de toutes masses et les camionnettes (pick up). On se retrouve donc avec des taux de consommation qui vont du simple au double entre le très populaire Toyota RAV4, qui fait 7,9 L/100km au combiné, et une camionnette Ford F150, le champion toutes catégories des ventes année après année au pays, qui lui peut consommer 12, 16, voire 19 L/100km selon la configuration choisie.

En fait, d’après le Guide de consommation de carburant de 2023 du gouvernement canadien (1), les VUS les plus populaires, sont des véhicules qui consomment en moyenne entre 7 et 8 L/100km.

En 2022, la moitié des véhicules vendus au Canada étaient des VUS compacts et sous-compacts qui consomment à peine plus (environ 1 L/100km) que leur équivalent berline des mêmes fabricants. On est loin des mastodontes dénoncés. Pourquoi alors ne pas s’en prendre aussi aux voitures compactes ou intermédiaires tout aussi polluantes ?

De la familiale au VUS

Le baby-boom des années 60 a vu la berline se convertir en familiale mieux adaptée aux nouvelles familles plus en moyen de posséder une voiture neuve.

Si l’Europe a conservé davantage cette tradition de la familiale, devenue beaucoup voiture de loisir avec le temps, l’Amérique l’a presque fait disparaître avec l’avènement des fourgonnettes et mini-fourgonnettes. Ce fut la métamorphose du camion de livraison en véhicule de tourisme.

Les plus aventuriers, eux, pencheront pour les 4X4, des véhicules à quatre roues motrices, massifs et très énergivores. L’espace d’une génération cependant.

Dans les années 1990, on observe une sorte d’amalgame de ces valeurs du marché. On désire un véhicule confortable, pratique, maniable, mais qui, espère-t-on, saura faire face aux soubresauts des cours du pétrole qu’on expérimente déjà.

Les fabricants japonais dameront rapidement le pion aux Américains en assoyant des véhicules offrant plus d’espace dans les trois dimensions sur des châssis de voitures compactes. Économie de R&D, de temps et surtout de consommation.

Une véritable révolution ! Les Corolla, Civic, Fiesta, Escort et cie qui ont fait les belles années de la petite voiture au Québec disparaissent lentement du paysage.

Les VUS se vendent aujourd’hui sensiblement plus cher que leurs équivalents berlines. Certains y voient un complot de l’industrie qui abandonnerait les segments plus classiques pour mousser ses profits. C’est comme si on voulait expliquer la popularité des écrans de télé plats par la disparition des écrans cathodiques. Pour le meilleur et pour le pire, ce sont les modes de consommation qui changent, et les producteurs de biens et services s’adaptent. Ils n’imposent pas. Au mieux, ils devinent (voir notre texte de novembre 2022 au sujet du mythe de l’obsolescence programmée) (2).

Véhicule non utilitaire dangereux ?

Pour élaborer sa campagne, Équiterre a commandé une étude (3) au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) qui est fort intéressante.

On y apprend que 38 % des propriétaires de VUS utilisent tout l’espace de chargement au moins une fois par semaine. Autant utilisent tous leurs sièges au moins une fois pendant la semaine. Bien peu selon Équiterre … Mais qui peut se vanter d’exploiter autant le potentiel de sa voiture ?

Trois propriétaires sur quatre affirment ne remorquer aucune charge. Pas surprenant car la majorité de ces véhicules n’ont pas la puissance ni la structure pour tirer des charges lourdes. On ne les achète pas pour ce faire, une tâche réservée davantage aux camionnettes.

On reproche également aux VUS et camionnettes d’être trop impliqués dans les collisions. Comment pourrait-il être autrement alors qu’ils composent les 3/4 de la circulation ? Mais depuis leur constante ascension dans le parc automobile lui-même en inflation depuis les années 1990, les bilans routiers se sont sans cesse améliorés.

On invoque avec raison le capot élevé et les montants larges des camionnettes qui, en plus de réduire la visibilité, heurtent les parties vitales des piétons. Mais, rappelons-le, on ne parle pas ici des petits VUS, les plus populaires.

La guerre climatique

C’est une véritable guerre qui s’annonce et les prochaines années seront cruciales, avec ou sans El Niño. Nul doute que l’automobile et surtout son électrification à un prix raisonnable et l’énergie nécessaire pour l’alimenter, sera des enjeux majeurs pour la réduction des GES.

Mais tous les citoyens et les acteurs sociaux-économiques seront appelés à mener ces batailles.

Il n’est pas certain qu’en cherchant à isoler la moitié de la population en prétextant qu’elle fait les mauvais choix de vie sur un bien de consommation autant émotif, on réussira à infléchir une tendance inéluctable intimement liée à l’amélioration de la qualité de vie. La réaction des automobilistes sur le médias sociaux est éloquente : « Lâchez-nous avec les GES », comme dirait l’autre à Don Quichotte.

Si le problème climatique est indiscutablement du côté des véhicules que l’on conduit, il est tout autant, sinon plus de ce que l’on en fait.

Les automobilistes circulent en majorité seuls matin et soir pour aller au travail. C’est de loin pire que de ne pas aller en forêt avec un VUS, autre reproche qu’on adresse aux propriétaires de ces véhicules. Si on fait la route avec deux collègues, on réduit nos émissions de 66 %. C’est considérable !

L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) a développé une application pour téléphone afin de faciliter les couplages en co-voiturage pendant les travaux au tunnel Louis-H-La Fontaine. Un projet pilote vertueux certes, mais bien en-deçà de ce qu’on devrait et pourrait faire.

Les incitatifs gouvernementaux et corporatifs au co-voiturage sont pratiquement inexistants alors qu’ils devraient être une priorité tout aussi importante que le transport collectif.

Le samedi, vous arrive-t-il d’aller à l’épicerie en voiture le matin, en après-midi à la quincaillerie, et passer en fin de journée chez le nettoyeur ? Ce n’est guère mieux que de faire tourner son véhicule stationné pour le réchauffer en hiver … ou le refroidir en été.

Et si l’abominable était assis derrière le volant ?

1- Guide de consommation de carburant 2023

https://ressources-naturelles.canada.ca/efficacite-energetique/efficacite-energetique-transports-carburants-remplacement/guide-consommation-carburant/21003

2- En-Retrait.com, novembre 2022

https://en-retrait.com/obsolescence-programmee-le-mythe-2/

3- Rapport CIRANO-Équiterre sur l’utilisation des VUS au Québec

https://www.equiterre.org/fr/articles/rapport-cirano-vus-utilisation

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