À propos de l'auteur : Antoine Char

Catégories : International

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Fracturés politiquement, les États-Unis le seront encore plus avec la tentative d’assassinat contre Donald Trump, qui s’ajoute à la décision le 1er juillet de la Cour suprême, à majorité conservatrice, d’accorder une immunité partielle à l’ancien président concernant son procès fédéral pour tentative d’inverser illégalement les résultats de l’élection de 2020.  Pour la juge dissidente Sonia Sotomayor, cette décision fera d’un président « un roi au-dessus des lois ». Elle est loin d’être la seule à s’inquiéter pour la démocratie américaine minée par l’hyper-partisanerie.

Antoine Char

Partisan antipathy. Deux mots. Ils s’entourent d’une ribambelle de synonymes : animosité, répugnance, aversion, allergie, inimitié … Cette antipathie partisane domine le paysage politique occidental, surtout américain.

Pour Victor Bardou-Bourgeois, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, cette polarisation « fait référence à un sentiment profond d’aversion et d’opposition envers les personnes faisant partie d’une autre formation politique que la sienne ». (échange de courriels).

Dans le contexte américain, il s’agit d’un phénomène documenté (1) « qui s’accentue depuis plusieurs années où par exemple les démocrates tendent à percevoir négativement les républicains et vice versa ».

Le scrutin uninominal majoritaire à un tour favorise automatiquement le bipartisme et les États-Unis en sont un exemple parfait avec les républicains et les démocrates. Deux camps polarisés à l’extrême et cela n’est pas seulement dû au saut de Donald Trump dans l’arène politique en 2015.

 « Bien-être » de la nation menacé

Déjà en 2014, le Pew Research Center, think thank de Washington, faisait ce constat : 43 % des républicains avaient des « opinions profondément négatives » du Parti démocrate. Les démocrates n’étaient pas plus tendres à leur égard avec un pourcentage de 38 %. (2)

« Il n’y a rien de nouveau à ce que les républicains n’aiment pas le Parti démocrate ou, à l’inverse, que les démocrates n’aiment pas le Parti républicain. Mais le niveau d’antipathie que ressentent les membres de chaque parti à l’égard du parti adverse a augmenté au cours des deux dernières décennies.

« Non seulement un plus grand nombre de membres des deux partis ont des opinions négatives sur l’autre camp, mais ces opinions négatives sont de plus en plus intenses. Et aujourd’hui, beaucoup vont jusqu’à dire que la politique du parti adverse menace le bien-être de la nation. »

Cela n’empêche pas Betsy Sinclair, professeure de science politique à la Washington University de St. Louis (Missouri) d’ironiser : « (…) la plupart des républicains ne pensent pas réellement que les dinosaures et les humains parcouraient la Terre ensemble, mais de nombreux démocrates pensent que c’est une croyance républicaine commune. En réalité, un républicain sur quatre pense cela, et pour les démocrates, c’est un sur cinq ». (3)

Selon elle, très peu de membres du parti de l’éléphant et celui de l’âne « souhaitent une interdiction des sodas, et relativement peu de démocrates souhaitent que tout le monde paie plus d’impôts. Cependant, cet alignement est largement invisible pour le grand public. Nous regardons tous le monde à travers des lunettes teintées de partisanerie ».

Compromis = capitulation

C’est particulièrement vrai dans le théâtre politique de Washington, tant au Sénat qu’au Congrès et cela reflète une opinion publique aux positions beaucoup plus tranchées et pour qui tout compromis est en fait une capitulation.

« Parfois, les membres du Congrès souhaitent travailler avec le président ou les membres d’un autre parti, mais ils ont peur de le faire de peur que leurs partisans ne les traitent de traîtres – et peut-être les rejettent lors des prochaines élections primaires », soutient Travis N. Ridout, de la Washington State University (échange de courriels).

La culture du compromis a donc du plomb dans l’aile et on le voit dans les shutdowns. Il y en a eu une vingtaine depuis 1980. Les arrêts des activités gouvernementales n’existent pratiquement pas dans les autres démocraties.

Pa ailleurs dans un système de multipartisme, comme au Canada par exemple, on évite de s’attaquer personnellement à un rival. Aucun parti ne veut s’aliéner de futurs partenaires potentiels au sein d’une coalition, lesquels pourraient s’avérer ensuite essentiels à la formation d’un gouvernement.

La représentation du monde à travers une vision de classe partisane est-elle plus prononcée aux États-Unis ? La réponse du professeur Travis : « Les recherches montrent que les sentiments de partisanerie ont tendance à être plus forts aux États-Unis que dans des pays comparables, même s’il existe encore un bon pourcentage de la population qui ne ressent aucun attachement à l’un ou l’autre des partis – et peut même ne pas aimer les deux partis. »

Alexander Peter Landry, de l’Université de Standford est d’accord : « (…) je dirais qu’elle est plus importante que d’autres démocraties à l’heure actuelle »  (échange de courriels).

Pour un pays qui se veut « exceptionnel » en se targuant d’être la « cité sur la colline », la polarisation affective gangrène la vie politique entre un « tribalisme de gauche » et un « tribalisme de droite ». Les « républicains de gauche » et les « démocrates de droite » ont pratiquement disparu. L’adversaire est devenu l’ennemi. L’émotionnel a pris le dessus sur des arguments politiques rationnels.

S’il  y a parfois des ententes (comme ce fut le cas en avril pour l’aide de 95 milliards $ à l’Ukraine), la règle reste le combat à mort des opinions dans lequel les médias traditionnels et bien sûr les réseaux sociaux sont partie prenante. Chacun réduit la réalité à la sienne, gommant comme peau de chagrin la culture du compromis, carburant de toute démocratie. Résultat le moral des Américains est en chute libre. Selon un sondage du New York Times publié le 1er août 2023, seuls 23 % d’entre eux estiment que le pays est « sur la bonne voie » et 65 % déclarent qu’il a pris la « mauvaise direction ».

L’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, a marqué les esprits et si elle a été condamnée par une majorité de républicains, rares furent ceux ayant participé à la commission d’enquête parlementaire sur cet assaut qui ferait désormais des États-Unis une « anocratie », un pays n’étant ni tout à fait une démocratie, ni tout à fait une dictature.

Il est vrai que la récession démocratique est mondiale.

Fracturés politiquement, surtout depuis la victoire de George W. Bush sur son rival démocrate Al Gore en 2000, les États-Unis le seront encore plus avec la décision le 1er juillet de la Cour suprême, à majorité conservatrice, d’accorder une immunité partielle à Donald Trump concernant son procès fédéral pour tentative d’inverser illégalement les résultats de l’élection de 2020. Pour la juge dissidente Sonia Sotomayor, cette décision fera de tout locataire de la Maison-Blanche « un roi au-dessus des lois ». Elle est loin d’être la seule à s’inquiéter pour la démocratie américaine minée par l’hyper-partisanerie.

« Eux contre nous »

Les Américains ne se reconnaissant pas dans le « eux contre nous » se réfugient dans le camp des « indépendants », ou d’indécis, mal à l’aise dans les deux grands partis. Il y a bien un millier d’indépendants se présentant à la présidentielle du 5 novembre, dont Rober F. Kennedy fils, mais ils n’ont aucune chance de se retrouver à la Maison-Blanche. George Washington est le seul président à avoir été élu alors qu’il était un candidat indépendant.

Certains chercheurs affirment que les Américains sont tellement polarisés politiquement et culturellement qu’ils sont au bord de la guerre civile. (4) Travis N. Ridout ne le croit pas,« même si je pense que la probabilité d’incidents de violence politique est probablement plus élevée qu’elle ne l’a été depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970. Certes, il existe des incidents d’antipathie partisane qui sont médiatisés (peut-être exagérément) par les médias, mais des millions de démocrates et de républicains vivent paisiblement les uns à côté des autres ».

Alexander Peter Landry est d’accord. « La grande majorité des partisans politiques américains rejettent le recours à la violence politique. »

Fort bien, mais l’antipathie partisane a plongé démocrates et républicains dans une longue guerre des tranchées. On est loin du temps où John Wayne lançait ceci au lendemain de la victoire de John F. Kennedy sur Richard Nixon : « Je n’ai pas voté pour lui, mais c’est maintenant mon président et j’espère qu’il fera du bon boulot ! »

 

 

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