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Rudy Le Cours
La pénurie de logements abordables et sociaux s’étire depuis des années partout au Québec, au point d’avoir engendré celle de l’itinérance.
Les causes sont multiples : abandon du soutien financier au logement social par Ottawa au siècle dernier, laisser-faire de Québec, hausses des coûts de construction, pénuries de main-d’oeuvre, locations à court terme, spéculation tous azimuts et incapacité du marché d’assurer tout seul le droit fondamental de pouvoir se loger selon ses moyens.
Il y a enfin le contrat de travail spécifique au Québec qui freine la mobilité de la main-d’oeuvre, nourrit le corporatisme professionnel, stimule la concurrence intersyndicale et empoisonne souvent la vie sur les chantiers.
Pour marquer les esprits, la Société canadienne d’hypothèques et de logements (SCHL) a rappelé l’automne dernier qu’au rythme actuel des mises en chantier, il allait manquer 860 000 logements au Québec en 2030 (1).
Cette pénurie qu’attise une immigration jugée excessive même par Ottawa, bien que timidement, pousse à la hausse le prix des loyers, là où il reste encore des logements inoccupés.
Cela fait à peine un an que le gouvernement Legault reconnaît du bout des lèvres qu’il y a crise. Ce n’est qu’à l’automne qu’il a enfin signé avec Ottawa une entente pour investir 1,8 milliard en cinq ans pour accélérer la construction de logements sociaux et abordables. Cette somme représente à peine 8000 unités. Toutes les autres provinces s’étaient entendues avec le fédéral bien auparavant.
« Ça fait plusieurs années qu’on ne prend pas au sérieux la crise du logement, fait remarquer Frédéric Lauzon Duguay professeur en organisation et ressources humaines à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Cela entraîne une spéculation outrageante. »
Quelques éléments de solution
Pour résoudre cette crise, il n’existe pas de panacée. Il faudra un bouquet d’initiatives, l’effort d’arrache-pied de toutes les parties et surtout un maître-d’oeuvre déterminé.
La Société d’habitation du Québec croit en détenir une : préfabriquer pour réaliser des gains de productivité. Son président Claude Foster soutient que cette façon de construire peut diminuer de jusqu’à 30 % le temps pour livrer un appartement, sans pour autant recourir à la « soviétisation » de l’architecture (2).
Sean Fraser, ministre fédéral responsable du Logement, mise pour sa part sur la relance des « Maisons de la Victoire » mises aux normes actuelles. Lancé après la guerre, ce catalogue proposait une série de plans pré-approuvés de manière à devancer les mises en chantier (3). Il s’agit toutefois avant tout d’unifamiliales alors que la rareté des terrains et les prérogatives environnementales militent plutôt désormais pour la densification urbaine.
Dans le but de freiner la spéculation qui hypothèque l’abordabilité, la ministre fédérale des Finances Chrystia Freeland a dernièrement prolongé jusqu’en 2027 l’interdiction pour les étrangers d’acheter une propriété.
Québec a de son côté lancé un programme de formation accélérée qualifiante en charpenterie-menuiserie, conduite d’engins de chantier, ferblanterie et réfrigération, un peu calqué sur celui imaginé au cours de la pandémie pour former des préposés aux bénéficiaires dont on manquait cruellement. Cette dernière initiative est critiquée par les syndicats qui y voient la primauté de la productivité sur la compétence et la sécurité au travail.
Concurrence pour une main-d’oeuvre rare
Reste une réalité incontournable, il manque de bras pour concrétiser tout ce qui est sur la table à dessin. La Commission de la construction du Québec soutient que l’industrie aura besoin d’au moins 16 000 nouveaux travailleurs par année d’ici 2027.
On en compte environ 200 000 présentement, assujettis à la Loi sur les Relations de travail dans l’industrie de la construction (R-20).
Les données de décembre de l’Enquête sur la population active indiquent plutôt 315 000, soit 13 000 de plus qu’un an plus tôt. L’écart de quelque 115 000 personnes s’explique par le nombre de personnes qui ne sont pas assujettis à R-20. Ce sont par exemple les petits entrepreneurs ou les personnes qui se concentrent dans la rénovation.
À la demande d’En Retrait, Statistique Canada précise que, de ces 315 000, 40 500 sont des femmes, 32 400 seulement sont des immigrants et, par dessus tout, 60 900 ont 55 ans et plus. Plus troublant, seulement 124 400 oeuvrent dans la construction de bâtiments, les autres étant dans le génie civil ou des entrepreneurs spécialisés.
Bâtiment n’est pas synonyme de logements. Le terme inclut aussi les immeubles commerciaux (entrepôts), institutionnels (écoles) ou industriels (Northvolt).
Bref, dans cette industrie, la main-d’oeuvre est avant tout masculine, pure laine et vieillissante alors que les besoins de bâtir ballonnent.
Le Québec fait face à un autre défi. Les investissements en bâtiments et travaux publics représentent 9 % de son PIB, contre 12 % à l’échelle du Canada, selon une récente étude de Desjardins (4). La part dédiée au bâtiment est en recul depuis trois ans comme en fait foi le recul des mises en chantier alors que les besoins du segment industriel accaparent plus de main-d’oeuvre.
Où est le logement ?
Le premier ministre François Legault répète depuis la reprise de la session que son gouvernement revient à ses cinq priorités de base : santé, éducation, économie, environnement et fait français. Deux grands absents de cette liste, le transport en commun et surtout le logement.
S’il manque de main-d’oeuvre dans la construction, où et comment va t-on allouer ses bras ? À l’ambitieux plan d’infrastructures d’Hydro-Québec qui réclame à lui seul 35 000 personnes ? À la filière batterie ?
Au prolongement du métro ou de l’autoroute 19 ? À la réfection des écoles et des hôpitaux ou du Stade Olympique ?
Rien n’indique ou ne suggère que ce sera au logement.
Chose certaine, on ne sent aucun leadership, de compréhension ni même de sensibilité de la part de la ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau, seuls semblent l’intéresser les soucis parfois légitimes des propriétaires. Il est significatif que les quelques initiatives prises par Québec face à cette crise l’ont été par d’autres ministères.
Du nombre, la plus importante, soit la réforme de la Loi R-20, présentée au début du mois par le ministre Jean Boulet, risque d’aggraver la crise du logement avant de commencer à la résoudre.
Le décloisonnement des 26 métiers régies par R-20 pour enrichir les tâches de chaque travailleur plaît aux promoteurs, mais pas aux syndicats qui y voient une diminution de la compétence ou de la sécurité sur les chantiers. Chose certaine, ailleurs au Canada, il n’y en a que sept et les chantiers ne sont ni plus lents, ni plus dangereux.
On devine où s’en va la prochaine négociation : « Pour que le changement du contenu des emplois soit accepté, il doit y avoir reconnaissance que l’enrichissement des tâches entraîne des ajustements des salaires », fait remarquer M. Lauzon Duguay.
Mobilité et rivalités syndicales
L’autre enjeu de la réforme parrainée par le ministre Boulet concerne la mobilité de la main-d’oeuvre, une spécificité québécoise.
Hors Québec, les travailleurs de la construction peuvent être embauchés partout, peu importe leur lieu de résidence. En vertu de la certification de compétence Cercle rouge, un Manitobain ou même un Québécois peut travailler sur un chantier albertain.
Pour travailler sur un chantier québécois, il faut d’abord et avant tout demeurer dans sa région. On en compte 16, ce qui complique la vie des promoteurs et donneurs d’ouvrage.
Ce n’est pas tout, l’affiliation syndicale crée des rivalités. Présentement, la FTQ-construction représente 43 % des travailleurs, le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) 23,2 %, le Syndicat québécois de la construction 19 %, la CSD-Construction 8,7 % et la CSN-Construction 6,1 % (5).
Pour compliquer le tout, cette répartition varie selon le type de métier et selon la région (6). Ainsi, 86,8 % des monteurs-assembleurs sont affiliés au Conseil provincial tandis que 72 % des syndiqués de la construction sont représentés par la FTQ sur la côte-Nord (6). Bref, un casse-tête quand vient le temps d’embaucher.
C’est pourtant perçu comme une forme de sécurité d’emploi pour toutes les centrales. Elles défendent bec et ongle cette disposition du contrat de travail.
Par le passé, les syndiqués n’ont pas hésité à paralyser tous les chantiers pour appuyer leurs revendications. Cela a entraîné deux lois d’urgence, en 2013 et 2017.
Réformer R-20, sans consultations préalables avec les syndicats n’est pas de bon augure. Déjà en branle, la mobilisation syndicale va s’accélérer au cours des prochains mois. D’autant plus que, du 1er mai au 2 juin, commence la nouvelle ronde de maraudage entre les centrales.
Sans plan robuste de l’envergure d’un projet de société pour endiguer la crise du logement, cette réforme nécessaire, comme toutes les petites mesures déjà annoncées, ressemble toutefois bien davantage à du contreplaqué sur des fenêtres brisées.
Ce plan doit figurer dans le top 3 des priorités du gouvernement Legault, avec la santé et l’éducation. C’est même essentiel, ne serait-ce que pour recharger ses batteries.
3- https://www.ledevoir.com/politique/canada/803668/ottawa-fait-revivre-idee-maisons-apres-guerre?
4.Desjardins, études économiques. L’industrie de la construction : clé de voûte pour contrer la crise du logement.