À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie

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Antoine Char

La pandémie, puis la relance de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt, compliquent la vie des emprunteurs. Ils doivent payer davantage pour se financer. On fait beaucoup état des acheteurs de maison, mais c’est aussi le cas des gouvernements dont le coût de la dette s’alourdit. Heureusement, ils disposent d’un peu de temps et de ressources pour faire face à la musique, toujours plus stridente.

Rudy Le Cours

Le printemps dernier, Washington ne pouvait plus emprunter pour se financer. Un psychodrame se jouait au Congrès autour du relèvement du plafond de la dette fédérale qui avait atteint 31 400 milliards de dollars américains. Pour l’exercice de 2022, le déficit s’élevait à 3,77 milliards par jour, soit les besoins d’argent neuf pour faire fonctionner l’État et refinancer la portion de la dette arrivée à échéance. Par un jeu d’écritures comptables, le Trésor a étiré l’élastique jusqu’à la limite du début juin pour éviter le défaut de paiement aux conséquences à la fois dramatiques et imprévisibles. 

Durant tout le déroulement du bras-de-fer au Congrès, les prêteurs (caisses de retraite, compagnies d’assurance, fortunes privées, etc,) ont été privés du placement le plus liquide au monde, les bons du Trésor. Cela a accru leur nervosité, ils étaient friands d’opportunités.

Pour les emprunteurs, c’était une belle occasion à saisir, une fenêtre qui ne se représenterait pas de sitôt. Dès qu’un accord sur le relèvement du plafond jusqu’en 2025 a été conclu, à la toute dernière heure, Washington a recommencé à remplir ses coffres. Bref, il emprunte 1000 milliards cet été, de quoi drainer et embourber les marchés obligataires (1).

Québec tire son épingle du jeu

Toujours à l’affût d’occasions lorsqu’il fait appel aux marchés, Québec a choisi de tâter celui des États-Unis. En avril, il y a emprunté 3,5 milliards de dollars américains pour une durée de cinq ans. Comme un dollar américain achetait 1,33 canadien à cette date, il a engrangé 4,664 milliards. Cet emprunt, le premier en deux ans chez l’Oncle Sam, lui a permis d’avancer considérablement son programme de financement pour l’année budgétaire en cours. Au 30 juin, trois mois seulement après le début de l’année fiscale 2023-2024, déjà 46,9 % étaient en poche, contre 30 % seulement pour l’exercice 2022-2023 dont le programme d’emprunts était aussi de l’ordre de 25 milliards (2).

« La décision d’emprunter sur le marché américain en début d’année financière a été motivée par la qualité de la fenêtre d’exécution présente et la volonté du Québec de retourner emprunter sur le marché américain après une absence de deux ans » a précisé par courriel à En Retrait Philippe Bérubé, conseiller en communications au ministère des Finances.

À la différence de Québec, Queen’s Park a choisi de bouder le marché américain, jusqu’ici. Au 30 juin, seulement 26,9 % de ses besoins d’argent chiffrés à 27,5 milliards avaient été financés.

Chaque année, le Québec, tout comme l’Ontario, parviennent à boucler leur programme d’emprunts, leur dette bénéficiant d’une note de crédit enviable et leurs obligations d’une bonne liquidité.

Malgré le retard apparent, si on compare le programme d’emprunts de 2022-2023 à celui en cours, Québec était parvenu à compléter son programme d’emprunts à 108,1 %, l’an dernier. L’excédent aura servi à combler à l’avance les besoins financiers de cette année.

Évidemment, l’avenir restant une grande inconnue, surtout en cette période où les prévisionnistes brandissent les risques de récession à cause des politiques monétaires restrictives des banques centrales, mieux vaut profiter des embellies sur les marchés quand elles se présentent.

Les prêteurs plus exigeants

Les risques de récession et de nouveaux tours de vis attendus des banquiers centraux perturbent quelque peu les marchés obligataires, là où se financent avant tout les gouvernements. Les prêteurs se montrent un peu plus gourmands qu’à la période exceptionnelle où les taux d’intérêts étaient enlisés dans des creux historiques.

C’est durant cette époque bénie des emprunteurs que le Québec a tâté le marché américain, la fois précédente. En juillet 2020, il avait écoulé un emprunt de 3,25 milliards américains, pour une durée de cinq ans. Le taux d’intérêt officiel consenti (le coupon, dans le jargon obligataire) était fixé à 0.6 % seulement. Le coupon de l’emprunt d’avril dernier est plutôt de 3,625 %, soit un écart de plus de 3 points de pourcentage. Cet écart reflète en grande partie l’agressivité des banquiers centraux à resserrer les conditions de crédit.

Ce n’est pas tout. Selon leur appétit, les prêteurs peuvent se contenter d’un rendement quelque peu inférieur à celui du coupon, s’ils sont affamés, ou supérieur s’ils se montrent quelque peu capricieux. En 2020, ils avaient demandé un rendement de 0,9 point de base (100 points de base égalent un point de pourcentage) de plus que le coupon. En avril, ils ont exigé 2,2 points de base de plus, ce qui reste assez élevé.

Il n’y a d’ailleurs pas que les prêteurs américains qui se montrent plus sourcilleux.

En 2020-2021, Québec est parvenu à trouver preneur pour des emprunts de 10 et de 30 ans à des taux inférieurs au coupon sur le marché canadien. Ce taux est établi après analyse minutieuse des conditions du marché.

En 2022-2023, période qui correspond à la remontée inédite du taux directeur de la Banque du Canada, Québec a dû consentir des écarts considérables par rapport aux coupons de ses obligations pour boucler quelques emprunts. Ainsi, le 19 juillet 2022, les prêteurs ont obtenu un rendement de 4,276 % pour détenir une créance venant à échéance en 2053. Le coupon était de 2,85 %. Dit autrement, l’emprunt fixé à 500 millions, a gonflé le Trésor public de seulement 377,4 millions (4).

Bien sûr, Québec a ajusté ses flûtes depuis en augmentant la valeur du coupon. Cette année, jusqu’ici, l’écart entre le taux du coupon et le taux consenti aux prêteurs canadiens s’est beaucoup rétréci.

Une dette toujours plus essentielle

Durant les deux premières décennies du millénaire, les prévisions budgétaires des gouvernements fédéral et provinciaux ont surestimé en général le service de la dette, c’est-à-dire la part des revenus fiscaux nécessaires pour la financer. Le loyer de l’argent étant faible, le renouvellement des emprunts s’est fait à des conditions plus avantageuses que ceux venus à échéance. Cela a facilité le retour à l’équilibre budgétaire ou a diminué les déficits anticipés.

Ces temps vertueux appartiennent désormais à l’Histoire.

Dans le calcul du service de la dette à venir, il faut considérer à la fois les nouveaux besoins d’argent pour de nouvelles infrastructures (hôpitaux, écoles, métro, etc.) ou pour combler le déficit courant, mais aussi pour la dette à refinancer.

Ainsi, sur les quelque 25,8 milliards du programme d’emprunts québécois de 2023-2024, 13,4 milliards servent au refinancement d’une partie de la dette brute, estimée à 222,6 milliards cette année, dont le financement passé arrive à échéance. Au cours des deux prochains exercices, ce seront plus de 16 milliards. (5)

Mince consolation, Québec avait créé en 1993 le Fonds d’amortissement des régimes de retraite qui représente sa part de cotisations dans les fonds de pension de ses employés, cadres et députés. Cette cagnotte de quelque 125 milliards couvre désormais les engagements des régimes. Québec compte donc y puiser modérément à l’avenir pour limiter ses emprunts. La montée des taux d’intérêt, rappelons-le, a l’avantage de diminuer la valeur des promesses faites aux prestataires présents et futurs des régimes, selon les hypothèses actuarielles en vigueur.

Cela dit, les emprunts nouveaux ou à renouveler coûteront plus cher. Leur poids accru dans les opérations courantes laissera moins d’argent pour financer les besoins toujours grandissants en santé, éducation et transports. 

Tout cela, sans compter qu’il faudra allouer beaucoup plus de ressources pour faire face à la crise du logement et à la lutte contre les changements climatiques.

Bref, comme les responsabilités de l’État sont appelées à gonfler tout comme ses besoins financiers, songer à baisser les impôts relève de l’irresponsabilité, voire de l’hérésie.

La sagesse la plus élémentaire suggère plutôt que les ponctions fiscales devront augmenter. 

Et le plus tôt sera le mieux.

1- https://www.lapresse.ca/affaires/economie/2023-06-09/etats-unis/apres-l-impasse-sur-la-dette-un-emprunt-de-1000-milliards.php

2- http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/emprunts/fr/EMPFR_Quebec_2023-2024.pdf et http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/emprunts/fr/EMPFR_Quebec_2022-2023.pdf

3- https://www.ofina.on.ca/french/borrowing_debtfr/borrowing_fr.htm

4- http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/emprunts/fr/EMPFR_Quebec_2022-2023.pdf

5- Plan budgétaire 2023-2024, Section I

 

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