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Mineurs dans la province du Katanga.
Claude Lévesque
Les combats qui sévissent dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis deux ans et qui ont redoublé d’intensité au cours des derniers mois ont forcé plus d’un million de civils à fuir, portant à 5,7 millions le nombre de personnes déplacées dans ce pays.
Il s’agit d’une des pires catastrophes humanitaires dans le monde à l’heure actuelle. On en parle relativement peu mais elle remonte au moins au milieu des années 1990. Peut-être faut-il en déduire qu’on s’habitue à tout ce qui perdure …
L’insécurité alimentaire sévère touche plus de 25,4 millions de personnes, dont 3,5 millions étaient en situation d’urgence alimentaire, annonçait le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) dans un communiqué en février 2024. (1)
Le « scandale » géologique
La RDC représente le deuxième pays du continent africain pour la superficie et probablement le plus richement doté en richesses naturelles, principalement minérales bien qu’il regorge aussi de plantes et d’animaux sauvages.
Cela ne l’empêche pas de croupir au 187e rang sur 194 (2) (pour le revenu par habitant et au 180e rang sur 195 pour l’indice de développement humain (3) . On a souvent dit que les richesses minérales du Congo, si abondantes qu’on a déjà qualifié ce pays de « scandale » géologique, ont constitué une sorte de malédiction.
Le fait d’avoir subi la colonisation prédatrice aux mains du roi des Belges (1885-1908), puis de l’État belge (1908-1960), n’a sûrement pas aidé mais, sans remonter aussi loin dans le temps, on doit mentionner la convoitise que suscitent encore aujourd’hui ces richesses minérales et, ce qui n’est pas sans rapport, les contrecoups du génocide rwandais (1994) et la contagion des nombreux conflits qui sévissent dans d’autres régions de l’Afrique.
La Guerre froide et ses suites
Dès l’indépendance en 1960, l’ex-Congo belge est secoué par des divisions ethniques dans lesquelles les camps soviétique et occidental s’immiscent, surtout dans les riches provinces minières du Kasai (diamants surtout) et du Katanga (cuivre, cobalt, uranium, notamment). Après cette période de violence et d’instabilité, le Congo, rebaptisé Zaïre, subit pendant 32 ans, soit de 1965 à 1997, la dictature de Mobutu Sese Seko, qui sera renversé quelques années après la fin de la Guerre froide, abandonné par le camp occidental.
Une bonne partie des problèmes actuels trouvent en fait leur origine durant cette dernière période et particulièrement dans les séquelles du génocide rwandais, quand le régime du Tutsi (4) Paul Kagame, victorieux à Kigali, a mené campagne contre les génocidaires, notamment la milice Interahamwe, mais aussi contre les centaines de milliers de Hutus innocents qui fuyaient le Rwanda dans les forêts du Congo voisin.
Des milices apparentées au groupe tutsi et soupçonnées d’obéir aux ordres de Kagame font depuis ce temps la pluie et le beau temps dans le nord-est de la RDC, surtout dans le Nord et le Sud-Kivu (5), exploitant surtout les mines de coltan, ce minerai qui a permis à tout un chacun sur la planète de se doter de son inséparable compagnon, le téléphone portable, qu’on dit aussi intelligent.
Les avatars du M23
Le Mouvement du 23 mars, ou M23, celui dont on parle le plus ces temps-ci, fait partie d’une constellation qui, au dire de certains analystes, compterait ou aurait compté jusqu’à une centaine de milices.
Il est composé d’anciens officiers des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Tutsis pour la plupart, ils avaient d’abord fait partie d’un groupe rebelle appelé Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dont l’origine remonte à 2006. Ils avaient été intégrés à l’armée en vertu d’un accord de paix signé le 23 mars 2009 mais ils se sont rebellés en mai 2012, estimant que les termes de cet accord n’avaient pas été respectés par Kinshasa et adoptant le nom de Mouvement du 23 mars en référence à ce texte.
En 2012, les combattants du M23 avait pris le contrôle de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, mais avaient dû s’en retirer sous la pression internationale, trouvant refuge en Ouganda, où ils sont restés jusqu’en 2021.
Après une période d’accalmie, « la crise dans le Nord-Kivu s’est intensifiée une nouvelle fois début février 2024, poussant plusieurs milliers d’habitants de Sake et des alentours à affluer dans les camps improvisés aux portes de Goma, déjà surpeuplés», note le quotidien français Le Monde. (6). Sake est située à 20 kilomètres à l’ouest de Goma, sur le lac Kivu.
Le dieu coltan
Le 30 avril, le M23 prend le contrôle de Rubaya, ville située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Goma, là où se trouve probablement la deuxième mine de coltan dans le monde, responsable de 15 % de la production mondiale et approvisionnant des multinationales comme Apple, Tesla et Intel selon l’ONG Global Witness. (7)
« Les affrontements opposant l’armée congolaise et la MONUSCO (8) au M23 se sont ensuite poursuivis autour de la cité de Kanyabayonga », rapporte de son côté Radio Okapi, le média opéré par l’Organisation des Nations unies en RDC depuis 2002. (9) D’autres localités situées plus au nord, près du lac Albert et du parc des Virunga, tombent également aux mains des milices rebelles.
Des experts de l’ONU affirment dans un rapport publié en juillet 2024 que des milliers de militaires rwandais combattent aux côtés des hommes du M23 en territoire congolais (10).
La 5g
Le coltan, un minerai composé essentiellement de niobium [ou colombium] et de tantale est particulièrement convoité depuis l’apparition de la 5G. Le tantale est essentiel à la fabrication des téléphones portables, dont la 5G a entraîné la multiplication ou le remplacement, et de plusieurs autres appareils nécessitant des condensateurs (batteries compactes d’une grande puissance). Le prix du coltan a augmenté rapidement alors que se déployait la « cinquième génération » en téléphonie mobile… et que s’ annonçait la vague de « l’intelligence artificielle générative ».
La RDC a récemment été détrônée par le Rwanda en tant que principal producteur de coltan. L’Australie, le Brésil, le Canada, l’Espagne, le Venezuela et la Chine produisent également ce minerai mais en quantités bien inférieures. Des gisements ont par ailleurs été récemment découverts en Côte d’Ivoire.
On connait l’existence du coltan au moins depuis le XIXe siècle. On lui a trouvé depuis longtemps des applications industrielles et même militaires, mais c’est à la fin des années 1990 que ce minerai a fait l’objet d’une véritable ruée et celle-ci s’est produite dans l’Afrique des grands lacs.
En 2003, un groupe de chercheurs de l’Université du Québec à Montréal a produit un rapport sur ce phénomène. « En décembre 2000, grâce à la bonne performance des titres technologiques, des ventes des téléphones portables et de la demande des manufacturiers pour des condensateurs de tantale, la valeur marchande de la colombo-tantalite (coltan) a atteint sa valeur record. Par conséquent, on vit en République démocratique du Congo (RDC) une véritable euphorie minière puisque la région regorge de cette ressource. Pourtant, outre les groupes « rebelles » de la région, peu d’intérêts locaux semblent avoir profité de l’ascension de ce matériau sur les marchés mondiaux. (11)
Les guerres du Congo
La période décrite correspondait à la « deuxième guerre du Congo » (12) et, en même temps, à ce que l’industrie des technologies de l’information appelait déjà la troisième génération (la 3g).
En 2010, la Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme publiait un rapport sur le « Projet mapping des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit humanitaire commises de 1993 à juin 2003 » (période qui comprend les deux guerres du Congo). « Ces dix années ont […] été marquées par une série de crises politiques majeures, des guerres ainsi que de nombreux conflits ethniques et régionaux qui ont provoqué la mort de centaines de milliers, voire de millions de personnes », peut-on y lire.
Le 25 avril 2024, le gouvernement congolais a adressé une mise en demeure au groupe informatique américain Apple, qu’il accuse d’acheter des minerais passés en contrebande depuis la RDC jusqu’au Rwanda voisin. (13) La multinationale et le Rwanda ont rejeté les accusations portées par les avocats de Kinshasa.
1 République démocratique du Congo : Plan de réponse humanitaire 2024, OCHA, février 2024
2 Rapport annuel 2021 du FMI
3 Rapport sur le développement humain 2021-2022, Programme des Nations unies pour le développement
4 Les Tutsi, un des deux principaux groupes au Rwanda et au Burundi avec les Hutus, constituent surtout une catégorie socio-professionnelle, étant traditionnellement des éleveurs, davantage qu’une ethnie puisqu’ils parlent la même langue que les Hutus
5 Le présent article mentionne les anciennes provinces, au nombre de 11, plutôt que les 26 nouvelles divisions, qui se chiffrent à 26 en vertu de la constitution de 2006
6 M23 au Nord-Kivu: comment l’est de la RDC plonge dans un effroyable chaos, Laureline Savoye, Cécile Bonneau, Élisa Bellanger et Arthur Carpentier, Le Monde, 28 mars 2024.
7 Coralie Pierret, Les richesses minières de la République démocratique du Congo suscitent l’avidité des puissances locales et globales, Le Monde,12 juin 2024
8 Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, mise en place par l’ONU en 1999.
9 Radio Okapi, La force de la MONUSCO appuie les FARDC dans les combats contre le M23 à Kanyabayonga, 14 juin
10 Philippe Chapleau, L‘ONU épingle les prédateurs rwandais dans l’est du Congo, Ouest France, 11 juillet 2024
11 Patrick Martineau, La route commerciale du coltan, Groupe de Recherche sur les activités minières en Afrique (UQAM), mai 2003.
12 Conflit qui sévit de 1998 à 2001, après que Laurent Désiré Kabila décide de s’affranchir de ses alliés rwandais
13 « Minerais du sang »: La RDC cible Apple France et les États-Unis dans le cadre d’une action judiciaire, Jeune Afrique (avec l’Agence France-Presse), 14 juin 2024