À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : Jazz

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Serge Truffaut

À Chicago, le jazz se joue encore et toujours le poing levé. La ville demeure en effet le chef lieu des contestataires qui y sont nés ou qui s’y sont installés. En d’autres mots, dans la ville des vents on souffle et on cisèle les notes qui font écho aux luttes syndicales, ici aussi intenses qu’à Detroit et davantage qu’à New York, et aux combats pour les droits civiques. Si les Black Panthers furent fondés en 1966 à Oakland, c’est à Chicago qu’ils installèrent leur siège social.

Musicalement, cette culture pour la manifestation permanente s’est traduite tout d’abord par la création en mai 1965 de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM). Les pianistes Jodi Christian et Muhal Richard Abrams, le batteur Steve McCall et le compositeur/trompettiste Phil Cochran furent à la manoeuvre. Leur principal objectif ? Protéger l’intégrité du jazz. Veiller à ce qu’il ne soit plus pollué par les vices commerciaux imposés par les « gros » canons de l’industrie.

Très vite, vont les rejoindre Anthony Braxton, Jack DeJohnette, les membres de la « plus-meilleure » phalange du jazz qui dérange, soit The Art Ensemble of Chicago, Fred Anderson, Nicole Mitchell, Amina Claudine Myers, Leroy Jenkins, Kahil El’Zabard, Fred Hopkins, Wadada Leo Smith, Henry Threadgill, Chico Freeman, Ernest Dawkins et bien d’autres.

C’est à Chicago que Sun Ra, le « plus-meilleur » chef d’orchestre d’une formation qui décape plus que toute autre, qui est plus originale que toute autre, fonda cette dernière qui régale encore aujourd’hui. C’est à Chicago qu’ont élu domicile les membres du Black Artist Group mis sur pied, lui, à St-Louis. Parmi eux, il y avait Oliver Lake, saxophoniste et poète, Hamiet Bluiett, le « plus-meilleur » baryton de l’histoire, et quelques autres.

Avant de poursuivre, peut-être faut-il spécifier que c’est à Chicago que furent enregistrer les premiers disques de jazz. C’est là que Louis Armstrong et King Oliver ont gravé leurs premiers enregistrements et se sont installés. Que c’est également là que furent ouverts les premiers clubs de jazz dignes de ce nom en pleine prohibition.

Aujourd’hui, certains avocats d’un jazz sans compromis, d’une culture née dans le delta du Mississippi et non du Danube, s’étant installés au vert, notamment dans les environs de Woodstock, Maurice Brown, Corey Wilkes, le vétéran Roscoe Mitchell, Freeman et autres veillent au grain. Ils maintiennent le fil du jazz au poing levé.

De ce groupe, le saxophoniste et compositeur Ernest Dawkins est la figure de proue. Que ce soit avec son New Horizons Ensemble ou avec le Ethnic Heritage Ensemble ou encore en quartet, Dawkins est au jazz actuel ce que Art Blakey fut au jazz d’hier. Soit le gardien d’une certaine conception du jazz, un passeur, un messager.

Né le 2 novembre 1953 à Chicago, Dawkins a commencé son apprentissage musical à l’âge de huit ans sur la contrebasse avant d’opter pour la batterie au début de l’adolescence et choisir les saxophones un peu plus tard. À l’instar de la majorité de ses collègues, l’église et les centres communautaires du South Side de Chicago ont été les principaux lieux de son éducation. À cela il faut ajouter ceci : la présence dans son quartier de musulmans et d’Haïtiens. Autrement dit, d’horizons musicaux divers.

Au fil des ans et plus exactement de ses enregistrements et prestations, il va s’employer à faire l’alchimie entre le jazz, par exemple, des Jazz Messengers de Blakey, les rythmes haïtiens et moyen-mrientaux et non avec l’école russe du piano. Le tout augmenté parfois d’une dissertation musicale logeant à l’enseigne de la contestation, voire de la colère ainsi qu’en témoigne sa longue composition consacrée au lynchage d’une jeune Emmett Till.

Ce dernier épisode permet de souligner, on n’en sera pas étonné, qu’au saxophoniste Dawkins est le défenseur d’un style incandescent qui rappelle le parti-pris du « plus-meilleur » jazzman de l’histoire : Charles Mingus. Quant à sa formation, elle est évidemment au diapason : le tromboniste Steve Berry, les trompettistes Maurice Brown et Corey Wilkes, le contrebassiste Darius Savage et le batteur Isaiah Spencer déclinent constamment les notes de l’intensité.

Si le jazz de Dawkins n’est pas particulièrement reposant, il n’en est pas moins essentiel, voire vital.

Suggestions discographiques :

Mean Ameen par le New Horizons Ensemble. Étiquette Delmark.

Live At The Original Velvet Lounge par le New Horizons Ensemble. Étiquette Delmark.

Afro Straight par Ernest Dawkins. Étiquette Delmark.

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Le 24 septembre dernier, le saxophoniste Pharoah Sanders est décédé chez lui à Los Angeles. Il avait 81 ans. Protégé de John Coltrane et de Sun Ra, Sanders fut, avec Archie Shepp, la figure de proue d’un jazz où la densité, voire la colère, avait la priorité. Après un bref passage à vide dans les années 80, il revint sur le devant de la scène en mettant notamment en relief sa quête spirituelle.

 

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