À propos de l'auteur : Diane Précourt

Catégories : Tourisme

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Diane Précourt

On évoque souvent la notion de « démocratisation » du tourisme par laquelle le voyage, non plus réservé à une élite richissime et privilégiée comme ce le fut longtemps, est maintenant enveloppé d’une aura d’accessibilité tous azimuts pour l’ensemble du peuple. À tel point que des humanistes comme le psychologue Maslow s’accordent pour le placer au rang de besoin dans la pyramide des satisfactions chez l’humain. L’offre s’étant ainsi multipliée devant la demande pressante des clientèles, une concurrence féroce s’est installée, avec comme résultats une poussée des tarifs vers le bas et, du même coup, une explosion des services proposés. Un passeport pour le plus grand nombre. Extrapolons vers une sorte de populisme dictant la crainte d’une invasion de son espace vital, voire la menace de « l’autre ».

Si le populisme n’est pas toujours extrême, il n’est presque jamais centriste, soutiennent les experts. Qu’il soit de gauche ou de droite, il s’exprime différemment au sein de la sphère touristique. D’un côté, on y voit le saccage de son environnement physique et social par des hordes d’individus en quête de sensations « pas dans ma cour ». Des meutes de touristes en goguette, caricaturent certains. À l’opposé du spectre se profilent la peur de l’étranger, même du rebelle fauteur de troubles, et l’expression absolue du « c’était mieux avant », lorsque le voyage était l’apanage d’une bourgeoisie aisée et savamment articulée. Ainsi, « l’autre » ne serait pas le même selon son orientation sociopolitique.

Fora Turistes

De plus en plus d’illustres villes et régions très convoitées réglementent de diverses manières l’afflux de visiteurs, afin, prétendent-elles, de maintenir un équilibre entre les retombées économiques liées à cette industrie et la qualité de vie de leurs habitants. Les « locaux » versus les « intrus envahissants » … quoique lucratifs. L’attrait du profit et, pour certains pays, de l’entrée de devises, versus la préservation d’une espèce de patriotisme intrinsèque.

L’exemple de Barcelone est éloquent, là où se multiplient des graffitis tels que Fora Turistes, ou « Dehors les touristes » en catalan. Sans compter le cas archiconnu de la fragile Venise, submergée de visiteurs depuis des lunes, qui nage dans une mer de restrictions pour garder la tête hors de l’eau. En plus de toutes les nouvelles limitations destinées aux plateformes comme Airbnb, et de la pression qu’exercent les changements climatiques dans le monde.

Ajoutons-y, pour illustration extrémiste, le Trump Travel Ban adopté par l’ancien président des États-Unis en 2017, bloquant l’entrée au pays de l’oncle Sam des voyageurs provenant de contrées majoritairement musulmanes. Un décret à la fois hautement controversé et pourtant approuvé par de nombreux États-Uniens, toutes allégeances confondues. Et une décision que le successeur de Donald Trump à la Maison-Blanche, Joe Biden, s’est empressé de renverser en faisant de son abrogation l’une de ses premières interventions en tant que président.

La lutte des classes

La montée du tourisme de masse et du surtourisme a incité nombre d’entreprises du secteur à déployer des trésors d’imagination afin de maintenir un standard et un décorum propres à combler le voyageur dit « de première classe », en préservant son statut à l’écart des « autres ». Cela, tout en conservant une pléthore de produits plus bas de gamme destinés aux foules, dont les revenus constituent quand même une source financière alléchante. Nous sommes bien près ici de coller sur l’industrie du tourisme le principe du 99 % par rapport au 1 % de la population.

Ainsi, l’époque où les régions touristiques se résumaient à peu de chose près au pouvoir idyllique de grandes cités internationales et de quelques destinations soleil exotiques, alors réservées au gratin des collectivités, relève de l’histoire. Sauf pour quelques rares territoires encore vierges, la planète sourit à tous. Pour les Québécois, le cas de la Floride est révélateur : cet État « voisin » fut d’abord le terrain de jeu de gens nantis avant de devenir le solarium d’une légion de snowbirds, dont plusieurs y sont même devenus propriétaires immobiliers.

Le tourisme s’est popularisé au cours du XXe siècle, voilà pur euphémisme. Le tourisme s’est polarisé au cours des dernières décennies, voilà pure évidence. Mais s’est-il démocratisé pour autant ? En y regardant de près, on constate que la hiérarchie sociale est là aussi le miroir de sa représentation dans l’activité humaine en général. Le nier serait faire preuve d’une ignorance crasse. Mais on dit qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’ignorance.

En vrac

Le premier Observatoire universitaire du populisme au Canada a été fondé dans le cadre de la Chaire de recherche York sur le populisme, les droits et la légalité, détenue par Emily Laxer, professeure agrégée de sociologie au campus Glendon de l’Université York. « Le populisme de gauche, peut-on lire sur le site Web, se manifeste notamment dans des mouvements comme Occupy Wall Street, avec son slogan Nous sommes les 99 %, et dans le Parti travailliste britannique sous la direction de Jeremy Corbyn, dont le manifeste de campagne de 2017 s’intitulait For the Many, Not the Few. Quant au populisme de droite, il est « décrit comme ayant une structure triadique dans laquelle le peuple est menacé à la fois d’en haut par les élites et d’en bas par les infâmes Autres ».

 La Passe Archipel obligatoire de 30 $ par personne de 13 ans ou plus, qui devait entrer en vigueur au printemps 2024 aux îles de la Madeleine, est devenue facultative. La municipalité a fait marche arrière, officiellement pour des raisons techniques. Mais le tollé suscité par cette annonce, autant de la part de Madelinots que de citoyens d’ailleurs dans la province, n’y est probablement pas étranger. Certains y voyaient même une entrave aux libertés individuelles des Québécois. Volontaire ou pas, cette taxe n’aurait rien à voir avec le surtourisme aux Îles, selon les autorités, et viserait plutôt à « assurer des infrastructures récréotouristiques de qualité ». tourismeilesdelamadeleine.com

Venise devient la première ville touristique au monde à imposer un droit d’entrée de 5 euros aux visiteurs journaliers foulant le sol entre 8 h 30 et 16 h, nous apprend l’Agence France-Presse. Pour le maire Luigi Brugnaro, il s’agit d’une « expérimentation », lancée le 25 avril 2024 et visant à endiguer le surtourisme. Limitée cette année à 29 jours de grande affluence, la nouvelle taxe est en vigueur de mai à juillet. Les petits malins qui chercheraient à contourner la règle s’exposent à une amende de 50 à 300 euros.

– Au Japon, la ville de Fujikawaguchiko, située près du mont Fuji, a décidé d’ériger une barrière visuelle vers le célèbre volcan, trop prisé pour les photographies, dont l’accès sera d’ailleurs payant et restreint dès l’été 2024, selon l’Agence France-Presse. Cette mesure s’ajoute à l’interdiction de prendre des photos dans le quartier des geishas à Kyoto.

– Il est écrit dans le ciel que les dispositions anti-surtourisme sont appelées à proliférer au même rythme que l’afflux excessif de visiteurs en plusieurs lieux de la planète.

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