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Le 22 septembre la Cour fédérale confirmait l’interdiction de séjour de l’ex-président catalan Carles Puigdemont sur le territoire canadien en se rangeant derrière les arguments de l’Espagne qui le poursuit pour « rébellion, sédition, détournement de fonds, prévarication et désobéissance » pour avoir tenu un référendum sur l’indépendance. La position pour le moins peu nuancée du Canada n’a soulevé aucune vague dans les chancelleries, illustrant ainsi l’isolement diplomatique quasi total du gouvernement indépendantiste de la Catalogne sur la scène internationale.
Daniel Raunet
Le 27 octobre 2017, 53 des 188 députés du parlement catalan votaient l’indépendance de la Catalogne, mais cette indépendance théorique n’aura duré que quelques heures. Le gouvernement espagnol destitua illico le président catalan Carles Puigdemont, ordonna de nouvelles élections et jeta en prison une dizaine de personnalités politiques. Les Catalans ont continué à élire des majorités indépendantistes, mais « l’exemple catalan » a perdu de son lustre.
L’indépendantisme catalan a connu son apogée avec la tenue du référendum du 1er octobre 2017 que Madrid n’a pas pu empêcher malgré une pluie d’injonctions et les interventions musclées de sa police. Succès selon Carles Puigdemont, ce vote illustrait la fragilité du camp indépendantiste. Le Oui l’avait emporté par 90,18 %, mais 58 % des électeurs n’avaient pas voté, dont la plupart des partisans de l’unité espagnole.
Le camp indépendantiste s’érode. Depuis le printemps 2019, les sondages font passer le Non en avant du Oui. En mai dernier, le Centre d’études d’opinion de la Généralité accordait 48,7 % aux adversaires de l’indépendance contre 44,9 % à ses partisans.
Toutefois, il est un point sur lequel les Catalans restent farouchement opposés à l’Espagne, le droit à l’autodétermination. 75 % d’entre eux considèrent que le peuple catalan possède le droit de décider lui-même de son propre destin. Ce qui s’oppose à la constitution espagnole qui proclame que l’Espagne est une nation indivisible.
Statut éviscéré
Pourtant tout devait bien aller. En 2003, les parlements catalan et espagnol avaient adopté un nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, réforme ratifiée par un référendum catalan. Or le Parti populaire (au pouvoir de 2011 à 2018) l’a immédiatement contesté et en 2010 le Tribunal constitutionnel d’Espagne, en grande partie composée de juges ultraconservateurs, a éviscéré le statut. Les juges ont rayé les mots « nation catalane », éliminé la prédominance de la langue catalane et aboli un mécanisme limitant les interventions de Madrid en Catalogne.
Jusqu’alors les élites « catalanistes », dominées par les chrétiens-démocrates, étaient d’obédience autonomiste, mais ce coup de force judiciaire les a forcées à un constat d’échec. Depuis, la droite ex-autonomiste prône l’indépendance, rejoignant ainsi le grand parti historique du refus, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC).
Avec la Candidature d’Unité populaire (CUP), un petit parti anticapitaliste, les trois formations indépendantistes contrôlent le Parlement et le gouvernement catalans, mais leur coalition ne représente que 49 % de l’électorat.
L’arrivée au pouvoir de la gauche en Espagne en 2018 a permis une certaine décrispation. Les neuf prisonniers politiques incarcérés depuis la répression de 2017 ont été libérés, quoique les tribunaux espagnols tentent toujours, sans succès, de mettre la main sur une dizaine d’indépendantistes exilés, dont l’ex-président Carles Puigdemont.
Langue et immigration
Comme au Québec, la question linguistique demeure centrale. Seuls 31,5 % des Catalans sont de langue maternelle catalane (2019, contre 52,7 % d’hispanophones. Cela s’explique par la longue répression sous la dictature franquiste, mais aussi par l’immigration massive de travailleurs hispanophones à partir des années 60 et d’étrangers plus récemment.
Aujourd’hui, le tiers des habitants de la Catalogne sont nés ailleurs. Bien que 94 % des 7,5 millions de Catalans comprennent le catalan, 36,1 % l’utilisent régulièrement, contre 45,2 % pour l’espagnol. Dans la capitale, le catalan recule chez les jeunes. Selon une enquête quinquennale de la Ville de Barcelone, 28,4 % des jeunes de 15 à 34 ans déclaraient utiliser cette langue de façon usuelle l’an dernier, contre 36,5 % en 2015.
Contrairement au Québec, le mouvement indépendantiste s’appuie davantage sur des organisations de la société civile que sur les partis politiques. 500 000 personnes dans la rue en 2005 et 2006, un million en 2010, 1,5 million en 2012 et 2013, 2,3 millions en 2014 pour une consultation sur l’avenir du pays, plus de 2 millions de bulletins lors du référendum sur l’indépendance le 1er octobre 2017 [sans compter les 700 000 probablement saisis par la police espagnole], les grands moments des deux dernières décennies sont essentiellement dus à la force mobilisatrice d’organisations comme l’Association des municipalités pour l’indépendance et les ONG Òmnium culturalet Assemblea nacional catalana.
Dans le camp indépendantiste, c’est la cacophonie. L’ERC a désormais un des siens à la tête du gouvernement, Pere Aragonès, tandis que l’ex-président Puigdemont aspire à diriger la stratégie et les relations internationales depuis son exil belge.
Il a constitué un Conseil de la république dont la quasi-totalité des membres est issue de son propre parti, Unis pour la Catalogne [JxC]. De son point de vue, la proclamation de la république est chose faite, il ne reste plus qu’à multiplier les actes de rupture pour la traduire dans les faits. L’ERC, elle, privilégie la négociation avec Madrid pour résoudre l’impasse. Voie unilatérale à l’indépendance ou sécession négociée ? On a entendu cela ailleurs.
La « Table de dialogue » entre les gouvernements de Madrid et de Barcelone a repris en septembre dernier, mais elle fait du sur place. La délégation catalane réclame en priorité l’acceptation par l’Espagne de la tenue d’un référendum d’autodétermination ainsi qu’une loi d’amnistie. Pour Madrid, la tenue d’un nouveau référendum est hors de question.
Les Catalans ont même perdu leur ancien allié dans la coalition espagnole, le parti Podemos, qui a rangé au placard ses positions en faveur de l’autodétermination. Le gouvernement central du socialiste Pedro Sánchez veut parler d’autres choses, essentiellement du transfert d’un plus grand nombre de responsabilités au gouvernement catalan dans des domaines comme les infrastructures et les services sociaux.
Les indépendantistes commencent à mordre à l’hameçon. Leurs représentants aux Cortès à Madrid, y compris JxS, s’apprêtent à voter le budget espagnol sans avoir rien obtenu sur le fond. Les nationalistes catalans, basques et galiciens sont essentiels à la survie du gouvernement espagnol minoritaire, mais personne ne peut se permettre de le faire tomber.
Pedro Sánchez tente de réformer le Tribunal constitutionnel, cadenassé par des juges ultraconservateurs, mais la droite, le Parti populaire, bloque le processus, une tactique qui n’est pas sans rappeler celle du Parti républicain aux États-Unis. Verrou judiciaire et verrou constitutionnel, l’Espagne se veut nation unitaire. Rien n’est réglé, la morosité s’installe.