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Ramsan Kadirov, le président de la république (fédérée) de Tchétchénie et allié de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine.
Claude Lévesque
La guerre en Ukraine fait rage depuis 46 semaines. La stratégie russe a connu des ratés évidents. Les difficultés éprouvées par les militaires de la Fédération de Russie ont généralement été suivies d’un redoublement de férocité dans les combats.
Dans ces circonstances, il n’est pas rare que ce soit les hommes de Ramzan Kadirov, le président de la république (fédérée) de Tchétchénie et allié de Vladimir Poutine, ou les mercenaires du groupe Wagner, une entité assez mystérieuse dirigée par l’oligarque Evgueni Prigogine, qui soient envoyés au front.
Le groupe Wagner a ceci de particulier que son alignement avec le Kremlin n’est pas officiellement admis même s’il devient de plus en plus évident.
L’allégeance prêtée à Poutine par Ramzan Kadirov est clairement du domaine public. Elle a eu lieu après la mort, le 9 mai 2004 dans un attentat à Grosny, du père de Ramzan, Akhmad Kadirov. Le fils a succédé au père car ce dernier dirigeait la Tchétchénie depuis octobre 2003 avec la bénédiction de Poutine, après avoir d’abord appuyé les indépendantistes.
Tant Prigogine que Ramzan Kadirov ne se gênent pas pour critiquer les généraux ou le ministre de la Défense, Serguei Choigou, mais jamais, ou si peu, ils ne s’en prennent à Vladimir Poutine. Ils font le sale boulot pour ce dernier, tout en s’enrichissant.
Les exactions commises ou ordonnées par Ramzan Kadirov sont nombreuses si on en croit les organisations de défense des droits fondamentaux de Russie ou du monde occidental.
Nous avons demandé à Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), spécialiste de la géopolitique du sport et de la Russie, de nous parler des deux groupes de miliciens dans le contexte de la guerre en Ukraine.Il a publié l’année dernière un ouvrage intitulé Géopolitique de la Russie aux éditions La Découverte.
Comment Kadirov, un islamiste, est-il devenu un « fidèle » allié de Vladimir Poutine ?
Il faut savoir que Ramzan Kadirov a succédé à son père, Akhmad Kadirov après l’assassinat de ce dernier dans un attentat commis dans un stade de football dans le centre de Grosny. C’était en 2004, après la défaite des indépendantistes dans la seconde guerre de Tchétchénie. Vladimir Poutine a passé un pacte d’abord avec le Akhmad Kadirov puis avec son fils Ramzan. Ce pacte disait ceci : vous me prêtez allégeance en échange de quoi je vous offre des garanties financières (la Tchétchénie est la région la plus financée par l’État central) et je vous laisse une certaine liberté de gouvernance en Tchétchénie. (…) La stabilité est primordiale pour Vladimir Poutine car les guerres de Tchétchénie avaient mis à mal la structure même de la Fédération russe.
Kadirov, qui est de religion musulmane et de culture clanique et montagnarde, va construire une forme d’islam bien spécifique, soit un mélange de soufisme radical et de culture tchétchène où souvent la charia prédomine. Cela est toléré par Poutine, qui évidemment est au courant. Il n’a pas d’autre choix que de laisser faire parce que la culture tchétchène est très différente de celle de la Russie.
Kadirov est en train de devenir très puissant, du moins dans son fief. Peut-il devenir une menace pour Poutine ?
Je pense qu’il ne peut pas constituer une menace pour Poutine parce que, dans la culture tchétchène, la question du don et du contre-don est fondamentale. En ce sens, Kadirov doit la paix à Vladimir Poutine. Je pense que, tant que Poutine sera vivant, il ne se retournera pas contre celui qui l’a aidé. Si jamais quelqu’un d’autre devait succéder à Vladimir Poutine, alors il faudrait se poser des questions. (…)
Ce que vous décrivez ressemble beaucoup à la féodalité. Peut-on dire que dans certaines régions, la Fédération de Russie est devenue en quelque sorte féodale, si tant est qu’elle a déjà cessé de l’être ?
Je pense que la structure de la Fédération de Russie n’est pas véritablement féodale mais plutôt impériale. Il y a un rapport entre le centre et la périphérie qui est particulier. En périphérie vivent souvent des minorités ethniques très importantes qui disposent de leurs propres coutumes, de leurs propres lois, de leurs propres langues et religions. Il faut savoir qu’aujourd’hui, il y a 22 républiques parmi les 89 régions que compte la Fédération de Russie. Ces 22 républiques sont des régions où vivent souvent des minorités ethniques importantes. On peut penser à la Tchétchénie, au Daghestan, au Tatarstan, à la Bouriatie, etc. Bref, un empire est un territoire sans frontières, ou plus précisément dont les frontières s’étendent. Elles n’ont pas vocation à s’arrêter. Aujourd’hui, on le voit en Ukraine, où la Russie cherche à s’étendre.
Puisque nous parlons de l’Ukraine, quelle est l’ampleur de la participation des Tchétchènes sous le commandement de Kadirov ?
Je crois qu’on en a recensé 10 000 sur le terrain mais il n’y a pas de certitude. Ce qui est important, ce n’est pas tant l’efficacité des hommes de Kadirov sur le terrain que l’image que cela envoie. Il faut que ça fasse peur. Les Tchétchènes terrorisent les Ukrainiens et les Ukrainiennes, mais aussi les populations occidentales, pour donner l’impression que les Ukrainiens ne font pas le poids.
On dit que les Tchétchènes en Ukraine sont particulièrement violents.
J’ai la sensation qu’on essaie de montrer qu’on est capable de torturer, de violer, de tuer, comme les miliciens de Wagner. On les envoie sur le terrain en leur disant de faire le sale boulot et en les assurant que l’armée russe passera ensuite. Terroriser est très important. L’armée russe terrorise probablement elle aussi mais c’est moins visible. C’est aussi l’héritage des deux guerres de Tchétchénie, qui ont contribué à donner une image assez négative du Tchétchène.
Vous avez mentionné le groupe Wagner. Est-ce que maintenant, le pouvoir russe admet l’existence de ce groupe et le fait que la Russie y a recours ?
Officiellement il ne l’admet pas, mais il ne le cache plus. Auparavant on s’en cachait, suivant la stratégie du déni plausible. On disait qu’on ne savait pas. Aujourd’hui ce n’est plus possible de faire semblant. Surtout depuis que Prigogine a fait son « coming out » il y a quelques mois.
Existe-t-il en Russie, dans le contexte de la guerre en Ukraine, d’autres Kadirov ou d’autres Prigogine ?
À ma connaissance ce sont les deux seuls, mais il n’est pas impossible d’en voir apparaître d’autres dans les prochains mois parce que l’armée russe est en difficulté et que le régime Poutine cherche des solutions.
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Les sources suivantes ont notamment été utiles pour la rédaction de cet article : « Guerre en Ukraine : Poutine de plus en plus influencé par le groupe Wagner face aux échecs de l’armée russe », La Dépêche, 12 janvier 2023; « Putin’s terror playbook : if you want a picture of Ukraine’s future, look to my home, Chechnya » texte d’opinion écrit par Lana Estemirova, fille de l’activiste Natalya Estemirova, assassinée le 15 juillet 2009, et publié dans The Guardian le 13 avril 2022.