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Marie-Josée Boucher
La participation des personnes âgées sur le marché du travail est en constante hausse.
La pénurie de main-d’œuvre est sur toutes les lèvres. Parmi les solutions proposées pour y remédier, faire appel à des personnes à la retraite de 50 ans et plus, voire stimuler leur retour par certains incitatifs, caractérise désormais le marché du travail.
Marie-Josée Boucher
Dans l’actualité, signalons qu’on a notamment sollicité le retour des retraités du réseau de la santé lors des campagnes de vaccination contre la COVID, de ceux de l’enseignement, en regard du manque flagrant d’enseignants dans les écoles et, avec le cafouillage actuel de son système informatique et un fort achalandage, de ceux de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
« Il y a une tendance assez claire de la hausse de participation des travailleurs plus âgés au marché du travail. Une des premières raisons, c’est que ces travailleurs, de nos jours, sont plus éduqués que les travailleurs âgés précédemment », observe Benoit Dostie, professeur titulaire au département d’économie appliquée à HEC Montréal.
Cette hausse ne figurait pas sur le radar en 2015, quand Julie Dufresne, fondatrice et présidente du site internet emploiretraite.ca, préparait le lancement de sa plateforme, qui met en lien des employeurs avec des chercheurs et chercheuses d’emploi de 50 ans et plus. « Je n’arrivais pas à trouver des statistiques sur le retour au travail de ce groupe d’âge au Québec et au Canada ! », raconte-t-elle.
C’est le 17 mars 2017 qu’elle a lancé emploiretraite.ca, simultanément dans toutes les régions du Québec.
Elle reconnaît que les débuts ont été difficiles. « C’était un phénomène nouveau. Les employeurs voulaient de la relève. À l’époque, j’étais alors obligée de leur demander : qu’est-ce qu’une relève? Les 15-24 ans formaient alors 10 % de la population du Québec ! », rapporte-t-elle.
Mme Dufresne estime qu’en 2023, la relève, dans une organisation, se définit davantage dans une optique de moyen et de long terme plutôt que selon l’âge.
Deux éléments clés
La pénurie de main-d’œuvre s’est accentuée après 2017, à laquelle s’est ajoutée la pandémie. La combinaison de ces deux facteurs a radicalement changé la donne.
Selon Benoit Dostie, ceux-ci ont surtout été favorables à ceux et celles qui ont voulu revenir sur le marché du travail. « Une des demandes des travailleurs plus âgés qui voulaient garder un certain attachement au marché du travail et qui ont aussi d’autres obligations, consistait à avoir des conditions de travail plus flexibles. C’était difficile à obtenir auparavant.»,
Selon le professeur, les personnes de 50 ans et plus doivent tenir compte de leur propre santé, de celle de leurs proches, particulièrement s’ils sont proches aidants, de la technologie dont la mutation est de plus en plus rapide, et du manque de formation à l’endroit des travailleurs âgés.
Données provinciales, nationales et internationales
Benoit Dostie nous a fait parvenir une étude de l’Institut du Québec. Intitulée Allonger les carrières : défis et opportunités pour pallier les pénuries de main-d’œuvre et publiée en octobre dernier par les chercheurs Emna Braham et Simon Savard, elle indique notamment que le Québec tire de l’arrière par rapport à l’Ontario.
Chez notre voisin, le nombre de travailleurs âgés de la tranche 60-69 ans sur le marché du travail est passé de 40,3 % en 2011 à 46,3 % pendant que le nombre de ces travailleurs au Québec, de 31,3 % en 2011, atteignait 39,1 % dix ans plus tard.
De plus, en regard des autres pays du monde, le Canada se classait au 6e rang, en 2021, avec 43,8 % de travailleurs de 60 à 69 ans, après le Japon, la Suède, la Norvège, les États-Unis et les Pays-Bas.
Formation, formation, formation
Julie Dufresne martèle que c’est au chapitre de la formation qu’il faut agir. « Dans mes conférences auprès des employeurs, je leur recommande, dès le jour 1, de bien accueillir les travailleurs d’expérience et d’investir en formation. Nous avons beaucoup de travailleurs candidats qui ont 55 ans et qui ont le goût de travailler encore 10 ou 15 ans.»
Depuis la création de son site, Julie Dufresne affirme qu’il a attiré plus d’un million d’utilisateurs. L’inscription est gratuite pour les candidats et candidates de 50 ans et plus.
Atouts des travailleurs d’expérience
Julie Dufresne souligne l’apport indéniable des travailleurs d’expérience pour une organisation en recherche de personnel. « Ils ont connu et résolu des problèmes. Ils ont souvent un réseau de contacts et ont développé une méthode de travail. Ils ont le goût de s’accomplir dans le contexte où les valeurs de l’entreprise les rejoignent. C’est un stade de carrière complètement différent.»
De plus, les personnes de 50 ans et plus ne sont pas carriéristes. « Elles sont là pour aider. C’est un bon match entre la nouvelle génération et ces personnes. Ça dépend encore de l’employeur et comment il les intègre.»
Des témoignages souhaités
Nous avons tenté en vain d’interviewer des employés de 50 ans et plus et leurs employeurs.
La Société de transport de Montréal (STM) et la maison de vêtements Simons ont décliné notre demande d’entrevue. Le grossiste montréalais spécialisé en fruits et légumes Chenail n’a pas répondu à notre demande. Ces employeurs cités, qui recherchent du personnel, figurent sur le site emploiretraite.ca.
Secteurs d’activité recherchés
On pourrait croire que certains secteurs d’activité sont plus recherchés que d’autres pour les personnes d’expérience. « À priori, ce sont tous les secteurs. C’est clair qu’il y a actuellement des pénuries plus marquées dans le commerce au détail et la restauration », estime Benoit Dostie.
« À ma grande surprise, outre la santé et l’éducation, l’administration et les ressources humaines se démarquent. Pour gérer du personnel, pour bien embaucher, ça prend un certain vécu et une intuition qui sont plus raffinés avec le temps!», lance Julie Dufresne.
Perspectives
Québec et Ottawa encouragent l’apport d’un plus grand nombre de personnes âgées sur le marché du travail.
Le gouvernement provincial a créé le programme Initiative ciblée pour les travailleurs expérimentés (ICTE) pour les personnes de 50 ans et plus. Ottawa s’est doté, de son côté, du programme Initiative ciblée pour les travailleurs âgés (ICTA), qui s’adresse aux personnes de 55 à 64 ans.
« Les prochaines personnes âgées seront encore plus éduquées. On pense que les conditions de travail vont s’améliorer en termes de flexibilité. Donc, plusieurs éléments militent pour une continuation de la hausse du taux d’activité des personnes âgées », considère le professeur titulaire à HEC Montréal.
« Je suis convaincue que ce marché est grandissant », soutient Julie Dufresne. « Les personnes de 50 ans et plus restent en santé plus longtemps et elles ont une belle qualité de vie. Il y a davantage d’ouverture de la part des employeurs sur les plans de l’horaire et de la flexibilité. Je pense qu’il va y avoir un enjeu de main-d’œuvre et de démographie encore pour les 20 prochaines années », prévoit-elle.
Marie-Josée Boucher