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Jean Dussault
Le 5 novembre, les Américains ne voteront pas en pensant à l’avenir, ils regarderont plutôt dans leur rétroviseur national.
Un miroir qui reflète que les États sont dans un triste état.
«The beacon on the hill», le phare sur la colline qui éclairait le chemin d’une nation naissante il y a 250 ans est éteint; la colline, elle, est aplatie.
La démocratie à l’américaine vieillit tout croche; elle claudique, elle trébuche.
Même sa marchette est fatiguée.
La mythologie
Tous les partis et tous les candidats veulent faire croire que « la prochaine élection est la plus importante de notre histoire ». Ce qu’ils veulent en fait dire, c’est que leur éventuelle défaite sera la pire issue possible pour la nation entière. Et que des lendemains radieux éclaireront le peuple qui aura voté du bon bord. La même rengaine a encore été répétée ad nauseam dans la campagne américaine qui achève.
Un gnangnan bi-partisan !
Le cas 2024
Cette élection-ci est par ailleurs objectivement exceptionnelle : c’est comme s’il y avait deux candidats sortants. Kamala Harris a été élue vice-présidente en 2020, Donald Trump avait été élu président quatre ans plus tôt.
Aux États-Unis, comme chez nous comme ailleurs, le résultat du scrutin dépend la plupart du temps beaucoup plus du bilan d’hier que des promesses pour demain. Dans ce cas-ci, une partie de l’électorat veut congédier la candidate démocrate et une autre partie ne veut pas réembaucher le candidat républicain.
Quel que soit le résultat du prochain scrutin, la plus imposante majorité sera constituée d’électeurs qui auront voté contre un des deux candidats.
La prochaine élection ne sera pas une pub mignonne ni convaincante sur la beauté ni la nécessité d’un scrutin populaire.
Le/la « locataire de la Maison-Blanche », ou « la personne la plus puissante du monde » ne sera pas un gagnant, mais un non-perdant.
Les partys de la victoire n’auront pas lieu à New York ou à San Francisco, ils seront arrosés à Moscou et à Pékin si Trump l’emporte.
Et même une éventuelle défaite républicaine sera célébrée par les dirigeants russes et chinois puisque Trump niera alors la légitimité de l’élection.
L’autosuccession ardue
Dans l’histoire moderne, sept vice-présidents sortants ont tenté d’accéder au plus haut poste à la fin de leur mandat comme numéro deux. Six ont échoué : seul George H. W. Bush a réussi. Bush père a ainsi été le premier v.p. en poste à déménager à la Maison-Blanche. Il a aussi été le premier président depuis Franklin Delano Roosevelt à prolonger le mandat d’un parti au-delà de deux élections.
Mme Harris a l’avantage de l’habitude américaine de laisser le même parti à la Maison-Blanche pendant deux mandats consécutifs. Mais elle a le désavantage d’être une aspirante sortante.
Deuxième prise
Grand état a été fait des nombreux plafonds de verre que Kamala Harris a fracassés. Sa feuille de route professionnelle est indéniablement impressionnante et ses élections comme procureure générale, puis sénatrice de la Californie ont montré le respect qu’elle a suscité auprès d’un électorat absolument plus progressiste que la moyenne.
Le monde politique américain n’obéit pas aux mêmes règles que la Californie, il fonctionne au gré des convictions, humeurs et préjugés d’une population d’une part très diversifiée, mais d’autre part quasiment consensuelle sur le sexe et la race des élus à Washington.
Extrait du numéro de juillet de En Retrait :« Grosso modo, il y a au Sénat américain deux fois moins de sénatrices que de femmes dans le pays et quatre fois moins de noirs que leur proportion nationale.
Six fois moins de femmes noires que dans la population.»
L’héritage de Biden
Un autre, immense, handicap de Mme Harris est son association à Joe Biden. Donc avec la perception que l’administration sortante a échoué à s’occuper du proverbial américain moyen/ordinaire.
Au-delà ou en deçà de son bilan économique, d’ailleurs plutôt positif, le président Biden n’a jamais envouté l’électorat; il a même échoué deux fois, en 1988 et 2008, à convaincre les membres de son propre parti de lui confier la nomination présidentielle.
En clair, M. Biden est un autre fardeau que porte Mme Harris.
Le cas Trump
Comme d’habitude, Trump innove.
Bien sûr quelques hommes ont fini par gagner après un ou des échecs mais aucun des 46 POTUS précédents n’a jamais été candidat présidentiel au poste qu’il avait auparavant perdu.
Trump est une exception, entre autres statistique.
La moyenne au bâton de Trump est misérable : il est seulement le quatrième président de la longue histoire de son pays à avoir été battu après un seul mandat.
Pourtant, pourtant, il trône sur sa troupe très, très élargie.
L’observateur étranger se demande si le problème vient de l’homme que des Américains vénèrent ou des Américains qui votent pour l’homme en question.
Le violeur, fraudeur, menteur et fabulateur le plus célèbre des États-Unis d’Amérique est le héros et le héraut de plus ou moins la moitié de l’électorat de son pays qui voit en lui rien de moins que le messie.
Du bord de Dieu (ou vice-versa)
Le numéro de septembre 2024 de The Atlantic cite un spécialiste de la jonction entre la politique et les Églises chrétiennes. Dans les réunions, les conventions nationales, à quasi tous les événements, la tradition voulait que les partisans demandent à Dieu d’éclairer leur leader, de lui donner l’inspiration et la sagesse de mener le pays dans la bonne direction.
Ce moule est cassé, selon Bradley Onishi :« Plus personne ne prie pour que Trump prenne les bonnes décisions, les gens prient pour que Dieu aide Trump à gagner .»
L’article de The Atlantic cite de nombreux exemples de sermons/discours inimaginables dans une église québécoise. Dont : « Lord, help us make America great again. »
Le miroir
Les fidèles qui boivent ces prières iront tous voter le 5 novembre.
Ils vont étamer le miroir dans lequel les Américains vont se regarder le 6 novembre.
En même temps que la planète entière saura dans quel genre de monde les Américains auront choisi de vivre.
Et de faire vivre une grande partie du monde.