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Un an que Joe Biden est aux commandes de l’hyperpuissance américaine qui n’est plus ce qu’elle était. Surtout depuis le séjour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Certains parlent même de « déclin ». Vieille prédiction …
Antoine Char
Les « déclinologues » sont nombreux à annoncer la « fin de l’empire américain ». Guerre du Vietnam, attentats du 11 septembre 2001, guerre en Irak, crise financière de 2008-2009, assaut du Capitole le 6 janvier 2021 par des partisans de Donald Trump, départ en catastrophe de l’Afghanistan en août de la même année …
À force de se bousculer au portillon pour jouer les Cassandre, les spécialistes des États-Unis finiront par avoir raison. Les empires ne sont pas éternels et les Américains le savent bien.
Déjà en 1957, quand les Soviétiques lancèrent leur Spoutnik, le premier satellite artificiel de la Terre, nombreux étaient ceux qui voyaient une perte de leadership de leur pays.
Puis, tout à tour, ce furent la fin de la convertibilité du dollar en or par Richard Nixon qui démissionna en 1974 à cause du scandale du Watergate (affaire d’espionnage politique), les chocs pétroliers et les déficits budgétaires de Ronald Reagan dans les années 80.
«L’inquiétude de l’Amérique pour son déclin remonte aux Puritains [arrivés en 1630]», explique Joseph S. Nye Jr., ex-doyen de la Kennedy School of Government à l’Université de Harvard et secrétaire d’État adjoint à la Défense dans l’administration Clinton (échange de courriels).
C’est à lui qu’on doit le concept de soft power, cette «puissance douce» consistant à «séduire et à attirer» surtout par l’influence culturelle, intellectuelle et morale.
Tant que ces deux mots, entrés dans le vocabulaire politique, seront au rendez-vous, grâce surtout aux universités et aux industries du divertissement, ils constitueront «en partie seulement» un frein à la détérioration de l’image de marque des États-Unis, croit encore Nye.
«Trompeur»
Pour Richard W. Mansbach, professeur de science politique à l’Iowa State University, parler de «déclin» est «trompeur» car « il n’y a pas eu de déclin absolu de la puissance dure [hard power] ou douce des États-Unis. Tout ce qui s’est passé est un changement relatif. Cela signifie que d’autres pays sont devenus plus riches et plus influents […] L’affirmation déclinante a conduit Joseph Nye à souligner que lorsque l’idée a émergé pour la première fois, le contraste était simplement avec 1945, lorsque l’Amérique représentait environ 45 % de l’économie mondiale, une anomalie résultant de la Seconde guerre mondiale. Il y a à peu près le même scénario aujourd’hui parce qu’il y a eu un changement relatif depuis 1990, depuis la fin de la Guerre froide».
Pour lui, comme pour Nye, l’Amérique sait se réinventer et rebondit à chaque fois que les «déclinologues-déclinistes» prédisent sa chute.
La peur même du déclin, la « protégerait ». La vision est un peu naïve. Ne sommes-nous pas entrés dans un monde « post-américain », comme le soulignait en 2011 Fareed Zakaria dans son livre The Post American World ? Oui, mais, rappelle le journaliste de CNN dès les premières lignes, « ce n’est pas un livre au sujet du déclin de l’Amérique mais plutôt de l’ascension de tous les autres ».
Cette ascension est réelle, surtout celle de la Chine. Ses ambitions mondiales la poussent tous les jours un peu plus, à contester le leadership américain. Sur tous les fronts.
Mais le siècle chinois n’est pas pour demain. L’Empire du Milieu devra patienter. Le «hard power» chinois (puissance économique et militaire) est certes présent sur l’échiquier mondial, mais son «soft power» n’est pas au rendez-vous: la Chine est loin de faire rêver culturellement et politiquement.
« Une planète parmi d’autres »
Dès 1973, le premier ministre japonais Tanaka Kakuei avait lancé ceci : « Les États-Unis ne sont plus le soleil entouré de planètes, ils sont une planète parmi d’autres .»
Un diagnostic aujourd’hui d’actualité, rappelle Pierre Mélandri, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il croit que les « revers et échecs qu’ils ont accumulés ont peu à peu altéré l’éclat unique dont ils avaient un temps brillé. Ils restent, il est vrai, une puissance plus importante que les autres et, dans la mesure où celles-ci ne semblent pas prêtes à prendre le relais, ils chercheront sans doute à réaffirmer leur leadership. Mais dans le monde apolaire en train de pointer, ils ne l’exerceront que de façon intermittente et comptée ». (chapitre Le déclin de l’Empire américain, tiré du livre La fin des Empires, 2016)
Et, lors d’un échange de courriels, Mélandri précise : « Je ne suis pas sûr que les déclinologues aient eu tout faux même s’ils ont eu parfois à sous-estimer la résilience des États-Unis.»
Si les États-Unis sont désormais une « planète parmi d’autres », ce sont encore eux qui dominent les prix Nobel avec au moins 40 % des lauréats. Leur système d’éducation a glissé en une génération du 1er au 12 rang mondial, mais, ils investissent encore plus de 5 % de leur PIB dans la recherche. Plus que n’importe quel autre pays.
La Silicon Valley reste l’épicentre mondial d’avancées technologiques qui bouleversent l’écosystème mondial. Ils attirent toujours les chercheurs du monde entier et leur culture populaire reste «number one ». Ils sont une «planète parmi d’autres», mais c’est encore la plus grosse.
Et le « rêve américain » ?
Dans un univers éclaté, les États-Unis ont de plus en plus de mal à jouer les gendarmes du monde, rôle qu’ils ont perdu dans les sables irakiens en 2003. Ils demeurent quand même la première puissance militaire avec un budget de défense de plus de 750 milliards l’an dernier.
Et leur modèle de société ? Il fascine de moins en moins. Le « rêve américain » (inventée par l’historien James Adams Truslow en 1931) n’est peut-être plus source d’émerveillement, mais n’est pas totalement rejeté: il continue à modeler les modes de vie, sur tous les plans, d’une bonne partie de la planète.
Les discours sur la fin du rêve américain et du déclin des États-Unis sont abondants. Donald Trump s’en est servi pour entrer à la Maison-Blanche en 2017. S’il n’est pas mort, si les États-Unis ne sont pas en déclin alors quoi? Optimisme et pessimisme ont toujours fait partie de l’Amérique. C’est son angoisse existentielle.
Et sur le plan intérieur? Pour le Harvard Business Review, « la liste des plaintes des États-Unis semble interminable : les salaires réels sont en baisse. La croissance de la productivité est en baisse. Les entreprises ne sont pas compétitives sur les marchés mondiaux. Les emplois de cols blancs ne sont plus sûrs. L’infrastructure du pays s’effondre. Le déficit fédéral monte en flèche. Le système de santé se dégrade. Les villes sont dangereuses. Les écoles échouent. Le fossé entre riches et pauvres se creuse.»
Ce constat remonte à … juillet-août 1992. « Déjà vu », diraient les Américains.
La planète semble s’enfoncer ou du moins, elle ne semble pas pouvoir s’en sortir. Dans ce contexte d’empietement il n’est pas surprenant que le numéro un mondial ne soit pas détronné du jour au lendemain. Quant aux chiffres, ils dévoilent plutôt un pays où de plus en plus de citoyens se disent précaires et ressentent de plus en plus le poids quotidien peser sur leurs épaules. Il semble que le « américain dream » ait perdu de son élan. En tout cas c’est ce que je constate dans la culture populaire de l’ere numérique. Il suffit de se connecter sur des réseaux sociaux pour le constater. Des sites commes https://www.usdebtclock.org/ ou https://akarsuu.dev/countdownApiTemplate se multiplient et attirent de plus en plus d’adeptes… Après ce n’est peut etre qu’un effet de monde mais encore une fois cela n’en a pas l’air.