À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : Jazz

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Serge Truffaut

Le nouvel album du trompettiste Eddie Henderson s’intitule Témoin de l’histoire. Il l’a bien nommé, son album publié par l’étiquette Smoke Sessions qui ose encore produire du jazz et non du « jazz-machin-chose-hip-hop-école russe du piano-rap-fusion ».

Il est si ben nommé qu’il pourrait être imprimé sur la pochette du dernier disque du contrebassiste Buster Williams. On devrait ajouter immense contrebassiste, car sur cet instrument avec ses camarades Ron Carter, Cecil McBee et Christian McBride mister Williams est dominant.

Toujours est-il que son CD paru également sur Smoke Sessions, mais plus tôt cette année, a été baptisé Unalome. Lui et son collègue Henderson en sont, des témoins de l’histoire, pour avoir été notamment des pionniers. Où, quand comme comment ? Tous deux ont été membres du groupe dirigé au début des années 70 par Herbie Hancock.

C’était l’époque d’Angela Davis, des Black Panthers, de la coupe afro et du poing levé. Et alors ? Hancock avait nommé sa formation Mwandishi. Lui et ses complices furent les premiers avec Miles Davis à infuser les sonorités du synthétiseur dans un style musical qu’on nomma rapidement jazz-fusion ou jazz-rock.

Après des débuts prometteurs, le genre en question s’avéra le théâtre des prétentions et des vanités musicales. C’était à qui jouait dans son coin plus de notes que son voisin. Bref, l’insipidité qui finit par distinguer ce genre l’enterra dans le cimetière des bêtises des années 70.

Cela souligné, dans son nouvel opus, Henderson reprend à son compte certaines des tonalités qui avaient donné naissance, au début des débuts, à une esthétique musicale ayant emprunté davantage aux polyphonies de la mère Afrique qu’au rock des p’tits blancs qui finirent par l’engourdir.

Dès le début de son nouveau CD, ce trompettiste également psychiatre multiplie les clins d’oeil à l’endroit de Miles Davis. Le Miles, pour être précis, de Bitches Brew. Cela souligné on ne sera pas étonné d’apprendre qu’il reprend un classique du genre, soit Freedom Jazz Dance du saxophoniste Eddie Harris qui a fait la fortune des producteurs de disco sans que cela lui rapporte un kopeck. C’est Harris qui développa en effet, en compagnie du pianiste Muhal Richard Abrams chantre du « jazz pété », certaines des bases rythmiques du disco.

Lorsque notre psychiatre ne malaxe pas ici les tonalités qu’il avait développées avec Hancock, il reprend à son compte des standards. On pense à Born To Be Blue de Mel Torme ou It Never Entered My Mind du duo Rogers et Hart. Son aventure il la mène en compagnie du saxophoniste alto Donald Harrison, du pianiste George Cables, du contrebassiste Gerald Cannon et du batteur Lenny White. Son Witness of History a été concocté à l’enseigne du brio.

On sait peu, beaucoup trop peu, que Buster Williams cumule un nombre si élevé d’expériences qu’il est davantage qu’un simple témoin de l’histoire avec un grand H. On l’aura compris, il en reste un des acteurs.

C’est tout simple, il a accompagné une flopée de grands du jazz, les grandes chanteuses, en plus d’avoir imprimé bien de ses notes sur les productions cinématographiques. D’ailleurs le premier morceau de son album nous plonge dans l’univers des films de Jean-Pierre Melville. Contrebasse + vibraphone …

En plus d’avoir été cela, il demeure, pour nous il va sans dire, un des co-fondateurs du meilleur quartet des années 80, soit Sphère qui rassemblait Charlie Route, immense ténor, le batteur Ben Riley, deux anciens du Monk Quartet, et le pianiste Kenny Barron.

Aujourd’hui Williams a encore accompli quelque chose se confondant avec l’unique : il nous fait découvrir une chanteuse extraordinaire. Son identité ? Jean Baylor. La finesse de ses ponctuations combinée à un sens aigu de la retenue — ici pas de « bibeaupe-chabadada »font le sel de cet album. Autrement dit, aucune boursouflure.

À leurs côtés, on retrouve Bruce Williams au sax alto, Stefon Harris au vibraphone, George Colligan au piano et Lenny White à la batterie. Fait en grand partie de compositions originales dont certaines proposant des saveurs latines, ce Unalome est à deux doigts du chef d’oeuvre. Chose certaine, il est une des meilleures galettes de l’année.

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