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Jean Dussault
Entendue d’en haut, la rumeur d’en bas dérange.
Les pouvoirs n’aiment que la parole qui les louange.
Pour faire taire leurs opposants, les dictateurs les tuent.
Pour museler leurs critiques, les élites les huent.
C’est pour ça que la parole est essentielle.
Petite ou grande, chuchotée ou hurlée.
L’histoire patentée ou la réussite inventée, l’aventure décorée ou l’anecdote exagérée amusent ou emballent. Tout comme les tournures, les parures, les fioritures et les enjolivures.
Clamées ici au point d’être slammées.
Pourtant aussi insignifiantes que jolies.
Or, la parole sans sens, ce n’est que des mots, des sons, des bruits.
Pour être utile, la parole doit parler, elle doit dire quelque chose.
Le gros hic
La parole, dite ou écrite, peut choisir d’être narratrice ou fabulatrice. Glissement maudit, la nuance entre les haut-parleurs et les beaux parleurs s’amenuise en titi.
La marge entre les deux est devenue fichtrement mince.
Au point où la réputation de la parole, ben, fait dur.
Ce qui fait un plaisir jouissif à ceux qui ne veulent rien entendre.
Le biais affirmé
Il faut s’opposer au silence.
Au dos courbé. Aux genoux pliés. À la tête baissée. Au regard fuyant.
Réflexe sage dans des pays totalitaires.
Pas sur les terres de mon pays.
Ici, il faut pouvoir tout dire, y inclus n’importe quoi.
Ben non, pas au téléjournal.
Celui de Fox News ou celui de CNN. De RDI ou de LCN.
La parole a l’oreille : elle entend les versions différentes des mêmes affaires.
Le fond de l’affaire
La preuve qu’on vit, c’est qu’on parle ; l’adage prétend que « qui ne dit mot consent ». La réalité est que qui ne dit mot est mort. Parler, c’est dire pfiou ou ouf : on n’a peut-être pas gagné grand-chose, mais on n’a pas tout perdu.
Le goût, l’envie, le désir, le besoin, l’exigence, l’obligation de prendre la parole par le cou peut encourir l’anathème dans ce pas-pays d’ici.
Où les prétendus détenteurs de l’hypothétique harmonie ont peur des couacs.
Lointain, mais toujours présent souvenir d’un auto-collant sur l’établi de l’atelier paternel : « Demande-toi pas ce que les autres pensent de toi, ils s’inquiètent de ce que tu penses d’eux ».(1)
Le rêve rhétorique
Peut-être que, pas si bête, la bêtise elle-même se reconnaît quand quelqu’un écrit ne pas avoir le droit d’écrire, quand quelqu’un crie ne pas avoir le droit de crier.
Vivement que des mains se lèvent pour applaudir ou que des doigts se dressent pour honnir.
Au plus sacrant, les parents doivent montrer à leurs p’tits poux chéris et, oui, à leurs p’tites poutes chéries que leur principal outil est leur langue.
Et que s’en servir encoure qu’il est possible, probable, même certain que quelqu’un quelque part un jour sans doute plus tôt que prévu va leur faire de la peine en disant le contraire.
Faudra que maman et papa ait enseigné à répondre
La dictée à l’école, c’était formateur. Se faire dicter, c’est castrateur.
L’imaginaire à la rescousse du réel
L’imaginaire sert à démontrer, démonter ? l’ordinaire. C’est la lumière, c’est le repère ; c’est un phare dans le brouillard. L’imaginaire, c’est pour chasser les charlatans et autres chantres de malheur qui nous entourent et qui nous entourloupent .
Faut pas laisser les cassandres nous faire peur. Faut pas croire toutes ces histoires qui viennent des thuriféraires des pouvoirs.
Nous autres au Québec, en tout cas ceux de mon âge, on a appris dans le catéchiste qu’il y avait des bons et des méchants; après, ça nous a été confirmé par les films de cowboys. Pis maintenant, on a compris, en tout cas y en a qui ont compris que quand quelqu’un vous raconte son histoire, ça se peut qu’il vous raconte des histoires.
Donc
La parole, cibolle, ce n’est pas juste une parabole en plus court. La parole, ce n’est pas une bébelle, ce n’est pas un privilège, ce n’est pas un droit, c’est une obligation.
La parole, si vous ne la prenez pas, quelqu’un d’autre va la prendre à votre place. Et, probablement pour dire autre chose que ce que vous auriez dit. Ou pire, pour ne rien dire du tout ; pour, horreur, gaspiller le premier outil de l’homme. Et de sa chérie.
Donc, donc la parole : prenez-là mais, ciel, ne la gardez pas pour vous.
La parole s’ennuie terriblement quand elle est seule. Paraît même qu’elle se sent alors comme dans un désert de mots, que sa voix rauque prêche rêche quand ses propos ne trouvent pas d’écho.
Y a rien de pire qu’une parole qui part et qui ne rebondit pas. Triste, triste quand les mots ne se retrouvent pas dans des oreilles ouvertes. Bien sûr, ce n’est pas toujours la faute des mots dits, des fois c’est à cause de maudites oreilles qui ne veulent rien entendre.
Terrible, terrible. À brailler.
Des paroles qui restent en l’air, c’est comme des oiseaux qui ne trouvent pas nid pour nourrir leurs petits.
Triste, triste. À pleurer.
Ça prend une langue pour parler
Pourtant, ce que ça veut dire est là, juste là, sur le bout de la langue.
Le bout de la langue, le bout de la langue ; celui qui lèche, celui qui lape, celui qu’on tire pour faire la grimace à celles et ceux qui la tirent par la queue dans ce pays qui n’en est pas un et où on marche sur la pointe des pieds et où on parle du bout des lèvres.
Ouf ! Ouf ! Re-ouf !
J’en ai la langue à terre. Pis, tout ce qui traîne à terre se fait marcher dessus.
Comme un ver de terre.
Cette langue qui est mienne, elle ne veut pas lécher des culs, elle veut râler, chialer, hurler, pester quand il le faut; ronronner quand ça va bien, chanter quand ça va mieux.
Aussi bercer les p’tits derniers.
Cette langue qui est mienne, elle n’est pas que le legs de ma mère et de mon père, elle est ma mère et elle est mon père, elle est ma terre.
Sans elle, me faudrait me taire ; sans elle, me faudrait me terrer.
(1) «Don’t worry what others think about you, they wonder what you think about them»