À propos de l'auteur : Antoine Char

Catégories : International

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Depuis le début de l’année les Allemands descendent massivement dans la rue contre l’extrême droite. « Plus jamais ça ! » Avec ces trois mots, ils manifestent leurs craintes de voir un passé pas si lointain revenir en force.

Antoine Char

Les vieux démons ne semblent jamais loin en Allemagne et cela donne des sueurs froides au chancelier Olof Scholz. Le 21 janvier il n’a pas hésité à faire partie des manifestations monstres contre l’extrême droite qui monte, monte, monte…

L’AfD (Alternative für Deutschland) a le vent en poupe, comme tous les partis européens carburant à la « remigration ». Traduction : la déportation des immigrés non européens dans leur pays d’origine, surtout africains.

La formation créée en février 2013 est désormais le deuxième parti le plus populaire selon tous les sondages. Et dire que l’Allemagne se targuait, à cause de son sombre passé, d’être un solide mur contre l’extrémisme !

Dans le poumon économique de l’Union européenne, le ras-le-bol des « laissés-pour-compte » va donc grandissant. La vulgate populiste séduit. Comme en Italie, gouvernée depuis octobre 2022 par Giorgia Meloni, dirigeante du parti postfasciste Fratelli d’Italia et en Hongrie notamment où le Fidesz de Viktor Orbán au pouvoir depuis 2010 a été reconduit en 2022 pour un quatrième mandat consécutif.

De manière générale, à trois mois des élections européennes, les partis d’extrême droite ont le vent en poupe dans l’UE comme l’ont encore montré les élections législatives portugaises du 10 mars avec la montée du parti antisystème Chega (Assez) qui a doublé le nombre de ses voix. Ils pourraient même prendre le contrôle du Parlement européen pour la première fois. (1) À l’instar de l’UfD, leur discours est anti-euro.

Tendance mondiale

Pour l’historien allemand Jens-Christian Wagner, il n’y a rien là de surprenant. « La montée de l’AfD s’inscrit dans une tendance mondiale vers des partis et des mouvements allant de la droite populiste à l’extrême droite et prônant des positions autoritaires, antilibérales et souvent racistes et antisémites. » (échange de courriels).

Comme leurs « frères » américains et européens, ils croient dur comme fer que leurs gouvernements ne se soucient guère de leurs préoccupations en ces temps d’inflation 2.0 et de crise de pouvoir d’achat. Une idéologie du ressentiment qui inquiète les démocraties sur le Vieux Continent comme ailleurs.

Wagner, spécialisé dans l’ère nazie, précise cependant ceci : l’idéologie de l’AfD est similaire à celle du national-socialisme.

Un exemple ? Un des leaders du parti a appelé à la fin du « culte de la culpabilité » en référence aux efforts du pays pour entretenir la mémoire de la Shoah (« catastrophe » en hébreu) et en tirer les leçons afin que le passé ne se répète pas. Elle imprègne toujours la vie politique allemande.

« L’AfD représente des positions révisionnistes historiques claires à l’égard du national-socialisme et de ses crimes. Il rejette une vision critique des crimes nazis et des leçons qu’on en tire (respect de la démocratie, de l’humanisme et des droits de l’homme) en les qualifiant de  » culte de la culpabilité  ». »

 « Fiente d’oiseau »

Comme si ce n’était pas assez, un des leaders du parti créé dans ce qui fut la République démocratique allemande (RDA), a déjà décrit le national-socialisme comme « une fiente d’oiseau » dans l’histoire allemande « par ailleurs glorieuse ».

Tout cela inquiète. Pas étonnant de voir les Allemands descendre chaque semaine dans les rues. Plus de deux millions l’ont fait depuis le début de l’année. Les nostalgiques du nazisme n’ont pas disparu du paysage politique allemand. Ils restent la mauvaise conscience du pays.

Directeur de la Fondation qui administre les camps de concentration de Buchenwald et de Mittel-Bau-Dora, Jens-Christian Wagner croit que « l’AfD se distingue des autres partis populistes de droite et d’extrême droite d’autres pays par ses positions clairement  » völkische  », c’est-à-dire des concepts racistes et biologiques qui ont été développés en Allemagne dans le premier tiers du 20e siècle et ont également façonné le national-socialisme […] »

Tout peut changer

L’historien se dit inquiet même si l’AfD n’est représentée qu’à l’échelon régional et local. Mais tout peut changer d’ici les élections allemandes de septembre 2025. Le parti rêve d’un scénario à la finlandaise ou à la slovaque où l’extrême droite ne dirige pas le gouvernement, mais en fait partie.

Ou mieux encore de dominer le paysage politique allemand comme le fait aux Pays-Bas Geert Wilders avec son Parti de la liberté islamophobe qui a remporté les législatives de novembre dernier. Le réveil serait alors brutal pour les Allemands, même si le retour des chemises noires et brunes relève de la science-fiction politique.

À la question combien de temps l’Allemagne pourra-t-elle maintenir l’AfD à l’écart du gouvernement, Jens-Christian Wagner répond : « Au niveau fédéral, il est extrêmement improbable que l’AfD entre au gouvernement. Aucun des autres partis représentés au Bundestag [Parlement] n’est prêt à travailler avec lui, et l’AfD ne peut pas gouverner seule avec environ 20 % des voix (selon les sondages actuels). Cependant, dans certains länders de l’est de l’Allemagne, notamment en Thuringe et en Saxe, le risque d’une participation de l’AfD au gouvernement est très réél […] »

Et que faire pour que cela n’arrive pas ? « Il faut convaincre les nombreux non-votants d’aller aux urnes et ceux qui sont sur le point de basculer vers l’extrême droite de voter pour les partis démocrates. En revanche, les électeurs convaincus de l’AfD peuvent difficilement être  » ramenés  » car ils vivent dans leur propre bulle, inaccessibles avec des arguments. »

Alors, peut-on, doit-on interdire l’AfD pour mieux protéger la démocratie allemande ? (2) « Le débat est vif en Allemagne à ce sujet », rappelle Michèle Weinachter, maître de conférences en études germaniques contemporaines à l’université de Cergy Pontoise (à une quarantaine de kilomètres de Paris).

Question « importante », « complexe », « entre liberté d’expression, démocratie et nécessité de défendre la démocratie » . (échange de courriels).

Dans un monde marqué par la montée des formations se targuant d’être la « voix du peuple », jouant sur les inquiétudes, les ressentiments et marqué par la déroute des partis traditionnels, vivre dans sa chambre d’écho politique n’est bien sûr pas propre aux Allemands.

Ces derniers cependant, dans leur immense majorité, espèrent que William Faulkner (1897-1962) avait tort lorsqu’il rappelait ceci dans Requiem pour une nonne (1951) : « Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé. »

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