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Serge Truffaut
Le 22 avril dernier, Charles Mingus, le monumental parmi les nobles du jazz, aurait eu 100 ans. Histoire de singulariser l’importance de cette date, de la sortir de son apparente banalité, le label Résonance publiait le lendemain un inédit intitulait Mingus – The Lost Album From Ronnie Scott’s, sous la forme de deux CD ou trois vinyles.
Le surlendemain et les jours, voire les semaines, d’après, on constata une avalanche de faits dont Mingus était évidemment le dénominateur commun. Du Wall Street Journal à la RTBF, de médias allemands à ceux d’ailleurs, Mingus fut à l’honneur.
En France, la radio publique fit la totale: une émission spéciale suivie de la transmission, en deux soirées, d’un spectacle enregistré par Radio-France à Chateauvallon en août 1976. Bref, l’homme en colère occupait à nouveau le devant de la scène. En d’autres termes, la logique était respectée.
Car il n’est pas nécessaire de cogiter pendant des heures, de disserter en long et en large sur les valeurs musicales de Mingus, sur ses passions sonores pour réaliser qu’au fond il y a Mingus d’abord et les autres. Bon. Histoire de modérer cette sentence, disons qu’il y a Mingus, Armstrong, Ellington, Monk, Coltrane, Parker, Davis. Après, il y a les autres.
Cela souligné, on retient que le grand Charles ou plus exactement ses compositions restent encore et toujours d’actualités. Là, on tient à préciser qu’il s’agit bel et bien de ces actualités qui alimentent jour après jour le rythme de l’Histoire. Mingus, on insiste, fut de loin le plus politisé des musiciens de jazz. Il le fut tellement qu’il croisa le fer avec Miles Davis plus d’une fois et toujours avec ardeur, voire brutalité.
Il a écrit Remember Rockefeller At Attica ? Remplacer le nom propre et le lieu et ça donne Remember Poutine At Boutcha. L’envie vous prend d’entendre un manifeste politique ? Écouter Fables of Faubus. Un édito sur le nazisme ? Free Cell Block F, ’Tis Nazi USA. Un commentaire sur les ravages du trafic de la cocaïne ? Écouter Cumbia & Jazz Fusion. Ou…
Ou encore une suite musicale conçue pour le bénéfice du réalisateur Elio Petri lorsque celui-ci adopta le roman que Leonardo Sciascia avait consacré aux multiples vices des chrétiens-démocrates en Italie ? Écouter Todo Modo. Sur le racisme dit ordinaire ? Black Bats And Poles et beaucoup d’autres.
Elle est d’autant plus d’actualité, l’oeuvre de Monsieur Mingus, que rares sont aujourd’hui les musiciens de jazz quelque peu révoltés. Pour faire court, mettons que l’on évolue désormais sous le régime des labels dirigés par des préposés à l’ambiance, les ECM et consorts. Mettons qu’à part Archie Shepp, la scène du jazz-politique est vide. Passons.
Plus haut, on a évoqué l’homme en colère, l’homme qui écrivit une extraordinaire autobiographie intitulée Moins qu’un chien. Comme il était ainsi, il était évidemment passionné. La plupart du temps. Cela dit, il tenait à s’entourer de musiciens qui ne faisaient pas dans la dentelle. Et sur ce front, Mingus nous a autant gâtés que son idole Duke Ellington: les saxophonistes Booker Ervin, George Adams, Bobby Jones, Ricky Ford, les trompettistes Johnny Coles, Jack Walrath, les pianistes Horace Parlan, Jaki Byard et Don Pullen, sans oublier le batteur Dannie Richmond ont tous été repérés et dirigés par maître Charles.
Pour ce qui est de l’inédit mentionné plus haut, disons qu’il est un pied de nez effectué par Resonance à l’endroit de CBS. Car c’est bel et bien CBS, cet énorme acteur de l’industrie, qui avait décidé d’enregistrer plusieurs shows de Mingus au Ronnie’s Scott, célèbre club de jazz londonien, en août 1972, pour une éventuelle publication.
Mais voilà que quelques mois plus tard, CBS décidait de virer tous les musiciens de jazz sous contrat à l’exception de Miles Davis. On l’aura compris, depuis lors les bandes sont demeurées dans les archives d’on ne sait quel sous-sol, jusqu’au jour où les limiers de Resonance – étiquette spécialisé dans la diffusion d’inédits -, mettent la main dessus.
Le résultat est comme d’habitude : à la hauteur de l’homme. Plein de verves, et de rebonds. En un mot : passionnant.
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La 38e édition du Festival international de musiques actuelle de Victoriaville se tient du 16 au 22 mai. Parmi les artistes invités, on a retenu le nom du saxophoniste baryton Mats Gustafsson. Il faut confesser que de cette esthétique musicale, on ne connaît pratiquement rien. Pour en savoir plus: fimav.qc.ca
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Bassiste virtuose, c’est le cas de le dire, Charnett Moffett est mort des suites d’une crise cardiaque le 14 avril. Il avait 54 ans. Très apprécié de ses collègues mais aussi des producteurs. Moffett avait accompagné notamment les frères Marsalis, McCoy Tyner et Pharoah Sanders.