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Le drame des pensionnats catholiques voués à l’éradication des cultures autochtones n’a pas fini de susciter l’indignation. Avec raison. Surtout qu’il s’y mêle souvent un remugle de violences sexuelles… et que le gouvernement fédéral est directement impliqué dans ce scandale. Mais notre passé collectif cache aussi d’autres ignominies. Des bavures honteuses, immorales, qu’il ne faut surtout pas oublier.
Michel Bélair
Dans la plupart des sociétés, les victimes ont très souvent le même profil, ou du moins un profil similaire. Et encore plus quand on parle de groupes ou de collectivités, ce profil de base ressemble à celui des moins nantis, des démunis, des diminués de toutes sortes et des différents de tout style. Au siècle dernier au Canada, «from Coast to Coast» ou presque, c’est dans cette catégorie générale qu’on classait les autochtones — qu’on nommait encore «les sauvages» dans mes livres d’école primaire —, les «attardés mentaux», qu’on appelait globalement «les fous» quand Hippolyte-Lafontaine était encore Saint-Jean-de-Dieu, et les déviants toutes catégories, qu’ils soient orphelins, homosexuels, boiteux, trisomiques ou épileptiques. Les moins qu’humains.
C’est de ces presqu’oubliés que nous parle le plus récent roman de Maureen Martineau, Les enfants de Godmann paru récemment chez VLB. Et aussi de ceux et celles qui se sont donnés le droit de se servir littéralement de ces mis à part pour «expérimenter» de nouveaux traitements déshumanisants… souvent afin d’allonger leur CV en prétextant faire avancer la science.
Un passé douloureux
Cette triste histoire s’amorce avec le décès suspect d’un vieil homme à l’hôpital de Gatineau, quelques mois avant le début «officiel» de la pandémie de Covid 19. Alors que le personnel infirmier est débordé, épuisé plutôt par le temps supplémentaire obligatoire (TSO), l’homme de 83 ans a succombé à une surdose d’insuline. Mais Judith Allison de la Sûreté du Québec, qui mène déjà ici sa quatrième enquête, constate sur les lieux que la victime a été castrée, post mortem. Ce qui pose déjà une foule de questions. Pourquoi? Comment? Par qui? L’enquête sera longue et nous fera tous plonger dans un passé douloureux.
On apprendra bientôt que la victime, un certain Viktor Godmann, médecin; psychiatre plutôt, n’est regretté par personne et qu’il était franchement détesté par son entourage. En fouillant sa résidence, Judith et son équipe découvrent peu de choses mais les caméras de surveillance de l’endroit la mettent sur la piste de visiteurs récents, des «activistes» albertains menés par une documentaliste venant d’Edmonton: Elisabeth Blair. Allison devine alors queViktor Godmann avait un lourd passé… que lui reprochait Blair et son groupe.
Différents indices lui permettent ainsi de découvrir que, dans les années 1960, Godmann avait joué un rôle important dans un centre pour «déficients» près de la ville de Red Deer: la Provincial Training School. Et comme l’interrogatoire du personnel surchargé de l’hôpital de Gatineau n’a rien donné, c’est là qu’on retrouvera la policière après qu’elle ait persuadé son patron de la nécessité de porter l’enquête en Alberta.
Il faut dire que le lecteur, lui, sait déjà que c’est là que tout s’est joué puisqu’il connaît depuis le début le calvaire vécu par certains «pensionnaires» de la Provincial Training School. Précisément ceux qui accompagnaient Elisabeth Blair à Gatineau dans le but d’obtenir des excuses de Godmann. On comprendra bientôt l’ampleur du drame qu’ils ont vécu.
Le Sexual Sterilization Act
En Alberta, Judith Allison est attendue de pied ferme. Elle doit faire face au paternalisme de juridiction des agents de la GRC, cela va de soi, mais une tout autre opposition l’attend aussi puisque des survivants qui dirigeaient l’institution à l’époque jouent toujours un rôle influent dans la communauté de Red Deer. Ces gens tiennent à protéger leur réputation; surtout la docteure Mary Parlby qui siégeait alors au Conseil eugénique qui décidait tout à fait légalement de stériliser les enfants «pour leur bien» en invoquant le Sexual Sterilization Act adopté en 1928 dans la province.
Elle apprend aussi que ceux et celles qui étaient là ne choisissaient surtout pas d’y être; la Provincial Training School accueillait des orphelins, des autochtones, des filles-mères, des malades sans famille ou myopes,… et tous ceux dont personne ne voulait à cause de leur «anomalie» ou autre. Ils étaient classés dans des catégories auxquelles il était fort difficile d’échapper: idiot, imbécile, moron, borderline. Godmann, et l’équipe qu’il dirigeait d’une main de fer, prétendait vouloir ré-insérer les patients les plus méritants par le biais de puissants médicaments et par la stérilisation. Abracadabra.
Avant de rencontrer tout ce beau monde, Allison prendra contact avec les membres de l’expédition venue à Gatineau pour enregistrer les excuses de Godmann dans le cadre d’un documentaire sur cette triste époque qui ressemble à celle dont ont été victimes ici ceux qu’on a surnommés «les orphelins de Duplessis». Elle en sortira déchirée avec la conviction d’avoir à prendre la décision la plus difficile de sa vie.
Car une fois revenue au Québec, l’enquêtrice doit conclure l’enquête sur la mort de Viktor Goldman qui a bien été assassiné à l’insuline avant d’être castré… tout cela par deux personnes différentes. On vous laisse découvrir vous même qui est passé aux actes et comment. Mais Judith, elle, sort doublement marquée de son enquête. Elle doit d’abord accuser le choc de cette déshumanisation légale de personnes autonomes et créatives malgré le handicap de certains. Et accepter en même temps la possibilité de porter et de donner la vie à un enfant affligé du syndrome de Waardenburg puisque son amoureux en est porteur. Qui sait, son enquête l’aidera peut-être à prendre sa décision…
Évidemment, nous sommes face à une œuvre de fiction même si le Sexual Strelization Act a bien existé en Alberta — la loi a été abolie en 1972. Et si dans les années 1950 au Québec, plus précisément à l’Hôpital de Verdun, un certain docteur Lehman a utilisé des psychotropes puissants auprès de ses patients. Il faut reconnaître à Maureen Martineau le mérite et le talent d’avoir campé cet épisode malheureux de façon si dramatiquement concrète.
Les enfants de Godmann
Maureen Martineau
VLB Éditeur, Montréal 2022, 416 pages
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