À propos de l'auteur : Pierre Deschamps

Catégories : Livres

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Au lever du jour, le château-fort de Bichû Matsuyama, situé au sommet du mont Gagyū, semble flotter dans les nuages.

Le Japon, ce pays de l’éphémère – on n’a qu’à penser à l’hanami, une pratique qui consiste à contempler des cerisiers en fleur –, offre au regard des visiteurs d’étonnantes constructions qui retiennent l’attention par leurs dimensions et l’environnement immédiat qui les ceinture. Dans l’horizon de quelques agglomérations urbaines ou périurbaines, l’œil est immanquablement attiré par des châteaux-forts au gabarit qui étonne. Pour apprécier l’histoire, l’architecture, les particularités de ces sites souvent d’une beauté étonnante, plonger dans Encyclopedia of Japanese Castles, de William de Lange (Toyo Press, 2021, 598 pages) est un pur ravissement. Dans ces lieux, on ne s’imagine pas jouer aux cowboys et aux indiens, mais aux samouraïs et aux rônins.

Pierre Deschamps

« Nous reconnaissons l’art de bâtir comme l’une des manifestations les plus complètes et les plus caractéristiques d’une civilisation et nous jugeons volontiers les peuples sur ce qu’ils ont bâti », affirme l’architecte Florent Guillain dans Châteaux-forts japonais (Bulletin de la Maison franco-japonaise, tome XIII, No 1 – Tokyo, 1942, 216 pages – une monographie consacrée à neuf châteaux), le premier ouvrage en langue française sur le sujet. Il faudra attendre Le Château et sa ville au Japon, de Christian Kessler (Sudestasie, Paris, 1995, 393 pages – une monographie consacrée à dix-huit châteaux) pour qu’un second ouvrage sur le sujet soit offert au lecteur francophone. Depuis, plus rien. Aussi l’ouvrage de William de Lange mérite-t-il toute notre attention.

Un désintérêt latin

La parution de cet ouvrage en langue anglaise est aussi l’occasion de rappeler ce que déplorait déjà Florent Guillain dans l’introduction de Châteaux-forts japonais : « Parmi les ouvrages sur le Japon, ceux qui traitent de l’architecture japonaise, ne font que des allusions aux forteresses ; ceux qui sont écrits en langue française, ou traduits en français, n’en donnent aucune description complète. Les seuls travaux en langue européenne sur la question, sont à ma connaissance », deux articles en langue anglaise, l’un paru en 1877 et l’autre en 1910 !

Avec Encyclopedia of Japanese Castles, la tendance se maintient. Les châteaux-forts japonais, en dépit de l’immense popularité des mangas en France, sembleraient n’être d’aucun intérêt pour les éditeurs en langue française. Thank you Shakespeare !

Rasez, il en restera toujours quelque chose

Conflits entre clans, tremblements de terre, incendies, bombardements de la Seconde guerre mondiale ont marqué l’histoire des châteaux-forts japonais depuis les temps primitifs de la période Yayoi (environ 800-400 avant notre ère à 250 de notre ère) jusqu’à aujourd’hui.

Au fil du temps, entre 20 000 et 30 000 forteresses auraient été bâties. Un total toutefois fort difficile à déterminer, car « pour ce faire, il faudrait tout d’abord avoir une définition précise de ce qu’est exactement un château-fort », signale William de Lange, qui ajoute que tout au long de l’histoire du Japon, le notion de château-fort a pris diverses acceptations.

Quoi qu’il en soit, il semblerait qu’un bon millier de châteaux-forts existaient en 1615, au moment même où le shogun Tokugawa Ieyasu (dont le clan dirigea le Japon de 1603 à 1868) édicta la loi Un château, une province. Ce qui conduisit à la destruction d’un nombre élevé de places-fortes.

Des deux cents ouvrages qui ont été préservés à ce jour, seuls douze possèdent encore leur donjon d’origine, dont, au nord-ouest de Okayama, le château-fort Bichû Matsuyama (voir photo ci-dessus), particulier à plus d’un titre puisqu’il perche à 430 mètres d’altitude, que sa première structure a été bâtie en 1240 et que son donjon a été achevé en 1681.

En détail et en image

L’encyclopédie de William de Lange offre une iconographie riche de cartes, de plans, de gravures, de peintures, dont plusieurs fort anciennes, ainsi que de photos des 19e, 20e et 21e siècles.

Villes fortifiées, lois régissant la gestion des châteaux, fonctions des constructions satellites, rôles des gardes responsables de la sécurité des lieux, sièges et autres menaces, tout y passe, offrant au lecteur une plongée dans un passé révolu, mais riche d’une organisation de ces lieux guerriers assez unique.

L’architecture toute particulière de ces châteaux est abondamment détaillée par des plans associés à divers systèmes de construction, à différents types d’arrangement et de forme des pierres constituant les murailles qui les protègent, à de multiples exemples d’aménagement.

Tout est dit sur les donjons, leur emplacement sur un site, les systèmes de défense et les murs d’enceinte qui les enserrent, les entrées, les barrières, les ponts d’accès jusqu’à l’agencement des tuiles de toit et quelques particularités uniques entre toutes : le sceau des clans présents à la rencontre de deux arêtes de toit et une sculpture protectrice représentant un dauphin sur le faîte du toit.

Une somme impressionnante

Plus de trois cents pages sont consacrées à la seule description des châteaux-forts proprement dits. Les originaux, comme ceux qui ont été totalement ou partiellement reconstruits – pour témoigner de l’histoire du Japon avant l’arrivée des étrangers –, et ceux dont il ne reste que des ruines.

L’ouvrage se clôt par une série de cartes des régions du Japon sur lesquelles est indiqué l’emplacement des forteresses, par un tableau fort utile pour distinguer les différentes époques qui ont marqué l’histoire du pays, par un glossaire japonais-anglais des principaux termes utilisés par l’auteur, par une abondante bibliographie, et par un index fort étendu.

Des planches de salut

Pour l’anecdote, arrêtons-nous à Kyoto, cette ancienne capitale du Japon qui a conservé tant de sites et de coutumes d’autrefois. Dont le château-fort Nijo, remarquable pour ses peintures murales et un système de défense – intérieur – d’un genre très particulier.

Si certains dirigeants – dictateurs ou non – font goûter les mets qu’on leur sert, au Japon, des gens de pouvoir se sont assuré que leur sommeil ne les conduise à la mort. Car dans la nuit se glissent parfois des ombres qu’on présume mal intentionnées.

D’où la légende liée au plancher rossignol de ce château. Sous une pression exercée sur le parquet, les clous qui y fixent les planches en bois frottent contre des pinces, émettant un grincement comparable à des pépiements. D’où la référence à cet oiseau dont le mâle est réputé pour pousser des cris stridents. Il s’ensuit que tout déplacement non annoncé occasionnait aussitôt l’intervention des gardes assurant la sécurité et la quiétude du sommeil du shogun.

Signalons enfin la toute récente parution d’un autre ouvrage de William de Lange, toujours chez Toyo Press : The Siege of Osaka Castle, un siège qui se conclut par la mainmise du clan des Tokugawa sur tout le Japon pendant plus de deux siècles.

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