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Louiselle Lévesque
Louiselle Lévesque
Juin 2022, il y a un an, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) remportait une éclatante victoire. Après des années de lutte acharnée et de pressions sur le gouvernement du Québec, la nouvelle Loi sur le statut professionnel des artistes venait d’être adoptée par l’Assemblée nationale, permettant à l’UNEQ de devenir un véritable syndicat ayant la capacité d’agir et de négocier une première entente collective avec les éditeurs pour le bénéfice de tous les auteurs.
Cette avancée spectaculaire dans la défense des intérêts socioéconomiques des écrivains avait pour corolaire l’imposition de cotisations, comme cela se fait dans tous les syndicats, histoire de donner à l’UNEQ les moyens d’assumer ses nouvelles responsabilités. Un changement qui peut être comparé à une mini-révolution dans le milieu littéraire où la tradition syndicale est inexistante.
Le fil des évènements
Mais six mois après avoir connu l’exaltation de cette percée inespérée, début décembre 2022, tout a basculé. Une descente aux enfers s’est amorcée. Le débat entourant la question des cotisations a tourné au vinaigre. Des opposants à l’idée de verser une cotisation ont fait preuve d’une rare virulence sur les réseaux sociaux, entrainant l’UNEQ dans une crise d’une ampleur imprévue et dont les conséquences risquent de se faire sentir encore longtemps.
Fin mars 2023, démission en bloc du conseil d’administration à la suite du rejet en assemblée générale de la proposition visant à percevoir des cotisations sur les redevances versées aux auteurs. Le taux avait été fixé à 2,5 % pour les membres de l’UNEQ et à 5 % pour les non-membres, se basant sur la norme en vigueur notamment à la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC).
Une contestation déconcertante
Cette campagne pour obtenir les pouvoirs d’un vrai syndicat avait pourtant été menée depuis des années à visière levée. Et personne à la direction ne s’attendait à une telle réaction.
Suzanne Aubry, qui assumait la présidence de l’UNEQ depuis 2017, a été sidérée de voir que la fronde venait de ses propres rangs, les auteurs, et non pas d’éditeurs réticents à se plier à l’obligation de négocier avec l’association. « C’est les auteurs eux-mêmes qui ont fait dérailler le processus. Il faut le dire. Il faut être honnête là-dessus. C’est une minorité très active. »
Ce qui est particulier, poursuit Suzanne Aubry, c’est que les éditeurs de leur côté avaient accepté le principe. L’UNEQ avait entamé avec l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), qui représente 80 maisons d’édition au Québec, des négociations sur l’établissement de clauses minimales en deçà desquelles aucun contrat ne pourrait être signé avec un membre ou un non-membre. Il s’agirait d’un plancher pour tous les auteurs. Évidemment, ces pourparlers ont dû être suspendus.
Une association affaiblie
En plus du directeur général, Laurent Dubois, plus de la moitié du personnel a décidé de quitter l’UNEQ au cours des derniers mois, une saignée qui entraînera une perte d’expertise inquiétante pour l’avenir déplore l’ex-présidente. « C’est dramatique et la seule raison à ces départs, c’est cette toxicité qui a été créée par une minorité d’écrivaines et d’écrivains sur les réseaux sociaux. »
Un manque de solidarité
Selon Suzanne Aubry, les plus réfractaires au versement de cotisations font partie de ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. « En général, je dirais que les opposants les plus acharnés sont des auteurs qui font de bons revenus avec leur plume. Ils n’ont pas besoin de la protection d’un syndicat ou de l’UNEQ. Ils ont de bons contrats. Ils n’ont pas besoin de payer de cotisations syndicales et ils vont tout faire pour ne pas en payer. »
Il y a selon elle un travail d’éducation et d’information à faire. « Il faut poursuivre le dialogue et faire comprendre que le bien commun c’est le fondement même d’un syndicat. Et le bien commun c’est quoi? Ça veut dire que les plus riches paient pour les plus pauvres. »
L’écrivaine a bon espoir que la majorité restée silencieuse au plus fort de la controverse se manifeste davantage. « Il y a beaucoup d’auteurs et d’autrices qui m’ont écrit pendant les évènements et après aussi, pour exprimer leur désarroi, leur révolte, leur dégoût, leurs craintes aussi devant la violence qui a régné sur les réseaux sociaux de la part d’une minorité. Il faut toujours le dire, ce n’est pas une majorité, loin de là. »
Le Québec à l’avant-garde
Une loi qui inclut les écrivains et qui étend le régime de négociation d’ententes collectives au domaine de la littérature n’est pas monnaie courante selon Suzanne Aubry. Un tel encadrement n’existe pas dans le reste du Canada ni en France où les auteurs sont confrontés à des groupes d’édition extrêmement puissants précise-t-elle.
« C’est ça qui est assez incroyable. Le Québec est le seul endroit dans le monde où il y a une loi sur le statut de l’artiste de cette envergure. Il n’y a pas un seul pays à ma connaissance où il y a une loi comme celle-là. On est des précurseurs. »
Sortie de crise ?
Fin mai, un nouveau conseil d’administration a été élu, composé d’écrivains qui reconnaissent l’importance de la mission syndicale de l’UNEQ et qui sont prêts à collaborer à trouver des solutions assure le nouveau président, Pierre-Yves Villeneuve. « Oui ça a peut-être été trop vite. Il y a peut-être eu des erreurs de communication. »
Il y a l’aspect nouveauté dont il aurait fallu mieux tenir compte selon lui. « Quand on parle aux membres, certains vont nous dire avoir voté non parce qu’ils ne comprenaient pas ou manquaient d’information. »
Le nouveau président constate que plusieurs auteurs sont d’accord avec le principe de la cotisation mais ne sachant pas trop comment cela fonctionnerait ils ont voté contre. « Il faut arriver avec de nouvelles formules, de nouvelles idées qui conviennent à notre réalité. On doit consulter nos membres pour aller de l’avant, parce qu’il y a eu une mauvaise compréhension de ce qui se passait. »
Un travail solitaire
Les écrivains sont habitués à travailler en solitaire ajoute Pierre-Yves Villeneuve, d’où leurs hésitations à faire cause commune. « On est notre propre agent, notre propre avocat, notre propre comptable. On fait vraiment tout, tout seul. On est seul quand vient le temps de rencontrer notre éditeur. On met tellement d’efforts de façon individuelle que l’on a de la difficulté à sortir de ce modèle-là. »
Une accalmie pour se reconstruire
« Si l’on se fie aux réseaux sociaux, le plus gros de la crise est derrière nous. La tempête est passée » affirme le nouveau président. « La priorité c’est vraiment de trouver notre nouvelle direction générale, pour se réorganiser, revoir nos besoins immédiats. »
Les causes profondes de cet épisode tumultueux de l’histoire de l’UNEQ, fondée en 1977 par les Jacques Godbout, André Major et Nicole Deschamps, n’ont pas fini de nous interpeller. Comment un bond aussi prodigieux pour l’amélioration des conditions dans lesquelles les auteurs exercent leur art a pu tourner au cauchemar et en conduire certains à risquer de mettre en péril la survie même de leur association?
D’autant plus que le nouveau cadre législatif représente probablement l’évènement le plus structurant pour le milieu littéraire québécois depuis l’adoption en 1979 de la Loi sur le livre. Cette politique, pilotée par le ministre des Affaires culturelles de l’époque Denis Vaugeois, reste une pièce maîtresse du développement des entreprises culturelles québécoises dans le domaine du livre.
La syndicalisation constitue à son tour un progrès majeur qui aurait permis aux écrivains québécois, qu’ils soient célèbres ou peu connus, d’avoir la chance d’être soutenus et protégés comme jamais auparavant.