À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : International

Partagez cet article

Jean Dussault

Jean Dussault 

Il faut voir la Statue de la Liberté de très près pour constater que son talon droit est levé.

Le guide a expliqué que cela signifie que la Liberté est en marche.

Il n’a pas répondu à la question facétieuse du touriste : vers l’avant ou vers l’arrière ?

Un immense symbole

C’est gravé dans le socle : « Un symbole de paix, de bien-être et de compassion. »

Lors de son inauguration en 1886, ce cadeau des Français aux Américains proclamait un idéal envoûtant. Plus ou moins un siècle après leurs révolutions respectives, les deux peuples bombaient le torse d’espoir et montraient leurs muscles de fierté.

La lecture d’un compte-rendu du centième anniversaire de l’inauguration de «La Statue parmi les statues» illustre l’ampleur de l’inspiration qu’elle traduisait encore à ce moment-là. (1)

Ni le cuivre ni le granite du monument le plus visité des États-Unis n’ont flétri depuis, mais l’ouverture et la vision illustrées par la Statue font face à des vents incessants, même violents. Y inclus à ses pieds.

Ellis Island

Juste à coté de «Liberty Island» se trouve la platement nommée Ellis Island. Ça a été la porte d’entrée dans l’Eldorado promis  aux « accablés, aux pauvres, à ces masses prostrées qui aspirent à la liberté, aux rejetés des autres rivages ». (2)

Le Musée national de l’Immigration est modeste dans sa forme et immense dans sa signification. Pas de vantardise, pas de glorification à l’eau de rose, pas de nationalisme ostentatoire.

Des centaines de photos : des visages fatigués après la longue et pénible traversée ; des regards dont on ne saurait dire s’ils sont froids ou déterminés, s’ils traduisent l’espoir ou l’inquiétude. Des sourires naturels ou forcés. Des yeux écarquillés ou tombant. Des allures éperdues.

Des histoires, tellement d’histoires, tellement d’Histoire.

D’où le surnom : l’Île de l’Espoir, l’Île des Larmes.

Les archives indiquent que, de 1890 à 1952, 12 millions d’immigrants ont débarqué à Ellis Island. Les statistiques officielles montrent que 40 % des Américains d’aujourd’hui ont un  ancêtre qui est passé par cet ancien centre de tri.

En d’autres chiffres, 135 millions d’Américains sont des Ellisséens.

Premier arrivé …

Les Américains sont comme des propriétaires de chalet sur un beau lac : des êtres humains conscients de leur statut, jaloux  de leur propriété.

Et, sans doute majoritairement, résolument déterminés à protéger leur acquis, même souvent surtout à ne pas le partager.

Charmant ou condescendant, c’est selon, l’argument se fait au nom de l’économie/nation/plage/planète menacée.

Ainsi, d’anciens immigrants pensent que les déchus d’aujourd’hui doivent être refoulés à la frontière, surtout celle du sud. Après tout, il y a une limite au nombre d’affamés qui peuvent partager la tarte nationale.

« Tough luck ».

Dans la même logique, des propriétaires de chalets craignent que d’éventuels acheteurs de futurs chalets nuisent à l’environnement, surtout au leur. Celui que leur âge, leur chance et leur argent ont permis d’être les premiers à occuper.

Après tout, il y a une limite au nombre de parvenus qui peuvent partager le gâteau local.

Tant pis.

Évidemment, le tort causé par le rejet est incommensurablement plus grand dans le premier cas que dans le deuxième, mais l’attitude défensive est la même.

La politique

Un ancien, peut-être futur président des États-Unis veut bloquer l’entrée des « empoisonneurs du sang national » en provenance de « pays de marde ». Définition floue, mais qui se résume à noirs, bruns ou musulmans, ou un mélange des trois.

Les gouverneurs républicains du Texas et de la Floride ont envoyé, « shippé » quasi comme des colis, de récents migrants chez eux vers les États démocrates du Massachussetts et de New York pour « leur montrer l’ampleur du problème ».

Au sud, loin des yeux de Lady Liberty, le comité d’accueil est formé de barbelés flottant au large du Texas, de rouleaux acérés étalés sur la rive du Rio Grande, des garde-côtes, du mur, des Rangers, du désert de l’Arizona.

Et quand même, des milliers de personnes continuent de pleurer, de souffrir et de mourir pour toucher le petit orteil de Madame Laliberté.

Questions et questionnement

L’administration Biden présumée plus ouverte que la précédente, et peut-être future, est enfermée dans un tunnel de contradictions, politiques et humaines. Il lui faut chercher l’appui de la classe moyenne, celle qui se sent le plus menacée par la soi-disant invasion de « ces gens-là ».

Et en termes humanistes et économiques, il faut ouvrir la porte à tant et tant de femmes et d’hommes.

Il faut inviter des immigrants riches sans vendre des passeports ; il faut accueillir des immigrants pauvres sans ajouter à la déjà longue liste des démunis.

Il faut distinguer entre réfugiés menacés dans leur pays et prétendus persécutés.  Entre désespérés et aventuriers.

Il faut faire la part entre la main-d’œuvre pas chère et la nécessaire.

Il faut contrebalancer l’assimilation et l’intégration.

Il faut décider d’américaniser les nouveaux venus pour les inclure dans l’historique «melting pot» ou contribuer à agrandir les ghettos existants.

Pauvres et riches

Des milliers de personnes tentent chaque jour d’entrer dans la maison américaine sans avoir frappé à la porte.

Des Cubains rament vers l’Amérique centrale pour remonter en marchant jusqu’au paradis terrestre.

Des Chinois volent vers l’Amérique du Sud pour se sauver, à pied, aux États-Unis.

Et, oui, Trump a raison, il y a des pays de schnoutte au sud, et donc des foules de désespérés marchent vers le nord pour un avenir meilleur.

Tout élu ou aspirant au pouvoir qui prétend avoir une réponse simple aux questions d’immigration est un menteur.

L’aimant américain

Dans tant et tant de pays, trop et trop de familles réunies autour de la table se demandent dans une angoisse oppressante où il fera mieux vivre. Ou, au minimum, moins mal pour l’avenir des enfants.

La décision la plus difficile de toute une vie.

Des multitudes  de courageux ou téméraires,  audacieuses ou désespérées vont continuer de migrer.

L’attrait des USA provient de la promesse et de l’espoir.

De la détresse et du désespoir.

Ce n’est pas près de changer.

(1 ) People Were Screaming #222BF4D

(2) «Give me your tired, your poor, Your huddled masses yearning to breathe free, The wretched refuse of your teeming shores».

Laisser un commentaire